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Échangeur du Nord : « L’échangeur a permis la fluidité de la circulation, mais le pôle économique de Tampouy est détruit », selon un riverain

Publié le vendredi 10 mai 2019 à 23h00min

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Échangeur du Nord : « L’échangeur a permis la fluidité de la circulation, mais le pôle économique de Tampouy est détruit », selon un riverain

Ils sont nombreux, les riverains qui ont vécu le démarrage du chantier de l’échangeur du Nord (le 26 novembre 2015) comme un cauchemar. Parmi eux, Issaka Traoré, qui tenait une alimentation sise non loin du feu tricolore du CMA Paul-VI (route nationale N°22 Ouaga-Kongoussi). Dans cette interview, M. Traoré fustige le gouvernement, notamment le ministère des Infrastructures, et l’entreprise Sogea Satom, pour leur manque de « professionnalisme ».

Lefaso.net : Qu’est-ce que vous reprochez au ministère en charge des Infrastructures ?

Issaka Traoré : On a dû abandonner nos activités à cause des travaux de construction de l’échangeur du Nord. Cela ne s’est pas fait dans les normes, parce que lorsqu’ils ont lancé l’intention du projet, nous, nous voyions l’échangeur sur le pont. On ne savait pas qu’il allait s’étendre jusqu’à la hauteur du CMA Paul-VI.

C’était vraiment aux techniciens de sensibiliser les gens, de nous montrer l’étendue de la zone de traçage du projet, et de nous prévenir de tout ce qu’on court comme risques afin qu’on puisse se préparer. Chaque année, en impôts, TVA et autres, tout cumulé, je versais environ 10 à 11 millions de F CFA à l’État. Tout ça, c’est perdu. Pour déménager, je n’avais pas besoin de plus de 6 millions de F CFA. Mais, ils ne nous ont rien dit, jusqu’à la fermeture des voies le 24 mai 2016, nous empêchant même d’accéder à nos lieux de commerce.

Le 25 mai, la mairie a notifié à l’entreprise qu’elle ne peut pas fermer les voies sans avoir au préalable fait un communiqué. En réaction, au Conseil des ministres tenu le même jour, un décret a été pris, signifiant que les voies seront fermées ce jour, 25 mai 2016. C’est seulement le 20 juillet 2016 que le chantier a été déclaré comme un projet d’utilité publique. Et c’est signé par tout le monde dont le chef de l’État Roch Marc Kaboré, l’ex-Premier ministre Paul Kaba Thiéba, le ministre des Infrastructures Éric Bougouma.

Précisément, dans votre zone, un panneau indiquait clairement ceci : « Vous aurez bientôt un nouveau voisin ». Est-ce à dire que vous n’avez pas accordé du crédit à cela ?

Vous, vous comprenez cela, peut-être parce que vous êtes une technicienne. Il y a combien d’opérateurs économiques qui ne sont pas allés à l’école et qui ne peuvent pas lire les noms des avenues sur le plan, encore moins de retrouver la voie qui mène vers chez eux ? Je soutiens avec la dernière énergie que les techniciens n’ont pas joué leur rôle.

Face à cette situation, est-ce que vous avez entrepris des actions ?

Nous avons eu une rencontre chez le chef de Tampouy qui, à son tour, a convoqué la mission de contrôle de l’entreprise. La réunion a connu la participation d’un conseiller de la mairie de l’arrondissement N°3. À l’occasion, les membres de la mission ont reconnu que le chef du projet, qui est un agent du ministère des Infrastructures, leur avait demandé de former des équipes pour sensibiliser les gens et leur faire savoir quand est-ce que les travaux vont démarrer et quels risques ils courent, mais qu’ils ne l’ont pas fait.

Chacun, individuellement, puisqu’on ne s’est pas constitué en association en son temps, a attaqué l’entreprise en justice par le biais de son avocat. Le Tribunal du commerce a proclamé son incompétence, parce qu’en Conseil des ministres, le gouvernement avait pris la décision que le projet de l’échangeur du Nord est un projet d’intérêt social.

Cette décision décline toute responsabilité de l’entreprise de tout ce qui va arriver comme dommage sur les riverains, les opérateurs économiques. Mon avocat a alors déposé une plainte au Tribunal administratif depuis mars 2018. À la date d’aujourd’hui, on ne nous a pas encore appelés pour une première audience.

Toutefois, je suis convaincu que si cela venait à se réaliser, c’est sûr qu’on aurait raison parce qu’il y a tout un boulevard de preuves en notre faveur. Même l’avocat le plus nul du monde ne peut pas rater ce procès. On va gagner, mais contre qui ? C’est contre l’État bien évidemment. Mais ce qui est décevant dans l’histoire, c’est que, selon les textes, on ne peut pas contraindre l’État à exécuter une décision de justice.

Visiblement, vous êtes remonté contre le gouvernement…

Oui, je le suis. Il faut que ces gens jouent balle à terre au lieu d’insister pour avoir raison. Le problème, c’est aller jusqu’à mentir parce que le Secrétaire général (SG) du ministère des Infrastructures m’a dit que lorsqu’ils ont fini de tracer les voies de contournement, ils ont laissé un registre au niveau des arrondissements N°3 et N°2 pour que tous ceux qui se sentent concernés passent s’enregistrer pour avoir les informations nécessaires. J’ai demandé si réellement ils ont posé les registres aux lieux indiqués. Aussi, j’ai posé la question de savoir quel moyen de communication ils ont utilisé pour inviter les gens. Je peux vous assurer qu’il n’y a pas un seul riverain qui participe à nos réunions qui peut venir aujourd’hui témoigner qu’effectivement il a eu l’information.

Le deuxième mensonge du SG est relatif à l’organisation d’audiences publiques en début janvier. Il faut noter qu’avant de tirer ma conclusion, j’ai fait ma petite enquête. Je suis allé à la mairie de l’arrondissement N°3 de Sig-Nonghin pour vérifier ces informations. Les interlocuteurs directs des travaux à la mairie, ce sont les gens de la voirie. Je les ai vus, par exemple, le conseiller Albert Bonkoungou, et ils m’ont dit : « M. Traoré, nous sommes désolés parce que nous ne sommes pas au courant d’un registre qui était posé ici pour que les gens viennent s’enregistrer, ni au courant de la tenue d’audiences publiques ».

Peut-être au ministère, les gens se contentent seulement du rapport que la mission de contrôle vient déposer. Si tel est le cas, je dis au ministre et à son SG que c’est un faux rapport qui a été déposé par la mission de contrôle. Je suis prêt à répondre partout s’il le faut.

La confiance est donc rompue entre les personnes affectées par l’échangeur du Nord et le ministère des Infrastructures ?

La confiance se mérite. Continuer dans le mensonge ne sert à rien. On ne peut pas gouverner un pays sur la base du mensonge. Si aujourd’hui, ils reconnaissent franchement qu’ils sont responsables de notre situation et qu’ils n’ont pas les moyens pour nous dédommager, il n’y a pas de problème ; parce que si on n’accepte pas le pardon, le torchon va toujours continuer de brûler entre les deux parties prenantes.

À vous écouter, la construction du 4e échangeur dans la ville de Ouagadougou a été un échec sur le plan économique…

Évidemment. Tout ce qui était ici, c’était le pôle économique de Tampouy. Aujourd’hui, tout est détruit. Il n’y a plus rien qui fonctionne. Il y a des gens qui sont venus retirer les tôles et les portes des bâtiments ; ça ne fait pas joli à voir, vu la structure de cet échangeur. Le souci aussi, c’est que l’État ne peut pas démolir ces maisons parce que dès le départ, il a déclaré qu’il ne dédommage pas les propriétaires terriens tant qu’il n’a pas touché à leur bâtiment.

À ce jour, comment vous vous débrouillez pour joindre les deux bouts ?

Moi, j’ai d’autres activités que j’exerce. J’ai une boutique de vente de pièces détachées en ville. Je fais également de l’élevage à Saponé. Ce n’est pas l’alimentation qui pouvait arrêter quelque chose pour moi, même si je reconnais avoir perdu 40 à 50 millions de F CFA. Au-delà de ma personne, il faut voir la situation des treize autres employés. C’était des gens qui s’occupaient de leurs familles. Ils sont où aujourd’hui ? J’aurais appris que parmi les garçons, certains sont partis à l’aventure.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
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