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Mauritanie : coup d’Etat refondateur ?

Publié le lundi 8 août 2005 à 08h05min

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Le Président Maaouya Ould Taya a été finalement victime d’un coup d’Etat. La chose était dans l’air et il était le tout premier à multiplier les avertissements pendant qu’ici et là, on dénonçait pourtant les mises en scène grotesques d’un président atteint de mégalomanie et de la psychose de l’encerclement. Ca y est : les carottes semblent cette fois-ci cuites pour le grand baroudeur qui, conscient que le pouvoir a changé de main, a décidé de rester quelques jours au Niger, de renvoyer l’avion présidentiel à Nouakchott et de voir venir.

L’homme sait très bien que ceux qui ont perpétré le coup sont du dernier carré des fidèles qui lui permettaient de résister et de déjouer les multiples assauts que son pouvoir a connus. Sans pudeur et sans fausse honte, il confesse sur RFI d’abord sa surprise ("Les perspectives politiques, économiques, sociales et culturelles étaient prometteuses, le pays vivait une démocratie pluraliste apaisée et le forum des partis politiques tenu mi-avril devait améliorer sensiblement les rapports entre l’opposition et nous"), puis exprime son dépit en se référant au célèbre adage : Mon Dieu, préserve-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge". S’il faut boire le vin parce qu’il est tiré, on peut se demander quel en sera le crû, et là, les enchères semblent encore ouvertes.

Où va pencher le nouveau pouvoir ? Oeuvrera-t-il vraiment pour la justice et la démocratie ou Ely Ould Mohammed Vall et Maaouya Ould Taya, ce sera "bonnet blanc et blanc bonnet" ? Pour Alain Antil, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri), spécialiste de la Mauritanie qui s’entretenait avec Libération et dont El Watan du 06/08/05 a repris les propos , "’Changer pour que rien ne change’, c’est la formule qui résume cette révolution de palais. En effet, selon l’expert français, la promesse des militaires de ’rétablir la démocratie’ en Mauritanie ’sonne creux. Les nouveaux hommes forts sont des caciques qui n’ont aucun intérêt à fouiller le passé d’un régime auquel ils ont collaboré à plein. Il n’y aura sans doute pas de grande redistribution des cartes, mais une négociation âpre pour les postes et les contrats les plus juteux’. ". Il n’en manque pas qui s’appuient sur le comportement plutôt avenant des nouveaux maîtres de Nouakchott, notamment avec l’épouse du président démis, pour confirmer cette analyse.

En effet, la suspicion de continuité est ici alimentée par le fait que la nouvelle équipe ne peut pas valablement, en succédant à l’ancienne, demander le partage sous bénéfice d’inventaire. Tous ses membres sont responsables solidairement de tout ce qui a été fait depuis vingt ans. Le risque de s’assurer des protections mutuelles est plus que plausible. C’est sans doute ce qui amène certains partis, même minoritaires, à condamner le putsch et d’autres plus représentatifs à se tenir à l’écart en attendant de voir le régime mieux préciser ses objectifs pour laisser libre cours à leur enthousiasme. Cette réserve est encore plus justifiée à leur sens en raison des liens étroits entre le nouveau chef de l’Etat et le parti de Ould Taya, le Parti républicain démocratique et social (PRDS), ce qui explique que ce dernier n’exclut pas de soutenir le nouveau pouvoir. De là à penser que la junte va se civiliser selon un schéma maintenant consacré en Afrique pour retrouver, après le passage à des élections, sa place au sein de l’Union Africaine, il n’y a qu’un pas que beaucoup franchissent. Parbleu ! Ce qu’on a fait pour les Bozizé et autres, pourquoi le refuserait-on au Colonel Ely Ould Mohammed Vall ? Il y a maintenant jurisprudence constante.

Autre interrogation : le président Ould Mohammed Vall va-t-il basculer dans le camp de la Françafrique ou maintenir comme son prédécesseur, une position d’indépendance vis-à-vis d’elle ? Ici, beaucoup estiment que les jeux ont été faits pour que la Françafrique rafle la mise. Cette conviction s’alimente dans les réactions au coup d’Etat. Si les pays comme les USA ont condamné franchement et demandé le rétablissement de l’ancien président dans le même ton que le président ivoirien et l’Union européenne, on sait que l’Union africaine ,’a condamné que pour la forme et que la France se frotte au fond les mains. Faut-il s’en étonner quand on connaît les relations plutôt difficiles entre l’ancien président et Jacques Chirac ? Le quotidien français Libération du 05/08 rappelle qu’ " En février, le pays avait suscité des tensions entre Américains et Français. Les premiers souhaitaient organiser dans ce pays le prochain entraînement de la force de réaction rapide de l’Otan. Mais Paris a mis son veto. En mars, le président Ould Taya avait tenté de rencontrer Jacques Chirac lors d’un séjour en France. En vain ". Sur la position de la France par rapport au putsch, le même quotidien rapporte ceci : " La France, elle, s’est montrée plus discrète, faisant part de sa "préoccupation" et rappelant ’sa position de principe qui condamne toute prise de pouvoir par la force et appelle au respect de la démocratie et du cadre institutionnel légal’ ". Voilà dans le style diplomatique français, la reconnaissance du nouveau pouvoir.

Le président sénégalais lui, ne s’embarrasse pas de tant de salamalecs. Il a dit tout haut, dès le lendemain du putsch, ce que beaucoup pensent tout bas, dans la Françafrique : "Le putsch semble être consommé, il faut maintenant travailler pour un retour à la démocratie" (lu dans l’article relatif au putsch sur le site de RFI du 5 Août 2005). A ce stade, on pourrait répondre à ceux qui pensent à un " remake " sao-toméen ou togolais, qui contraindrait le président auto-proclamé à remettre le pouvoir en l’état, ce n’est que pur rêve. Ici, c’est bel et bien le schéma Bozizé qui se profile.

La condamnation de l’Union Africaine, la suspension provisoire de la Mauritanie, tout cela c’est du déjà vu. Les nouvelles autorités mauritaniennes ne s’en émeuvent même pas, dont un représentant a souligné sur RFI le 5 Août passé, que s’il y a du regret à devoir s’abstenir de rendre visite pour quelque temps à Alpha Oumar Konaré, le plus important, c’est que la France ait adopté l’attitude somme toute conciliante qui lui vaut reconnaissance.

Mais alors, si les nouvelles autorités sont parties pour être légitimées après une pénitence de rigueur, qu’en sera-t-il de leurs relations avec les Islamistes ? L’organe algérien, La Tribune d’Algérie " du 4 Août dernier, dans un article intitulé : " Connexion officiers de l’armée-Islamistes : Un scénario à la soudanaise ? note ceci : " Les complicités, les collusions et les affinités entre officiers de l’armée et islamistes s’affichent au grand jour...... La revendication faite par le Gspc sur son site Internet finit de convaincre les plus réticents sur l’existence de liens ténus entre les islamistes de la région et l’organisation Al Qaïda, pour le moins sur le plan de l’idéologie et des objectifs". Mais le journal, comme beaucoup, n’est pas convaincu par ce scénario. En effet, le nouveau chef d’Etat, qui reste du même moule qu’Ould Taya, risque de vouloir plutôt préserver l’essentiel de ses alliances et éviter par-dessus tout de se faire des Américains des ennemis, même si par ailleurs la préférence risque de glisser vers la France.

Il reste par ailleurs les questions fondamentales liées à la prise en compte des demandes purement nationales relatives aux questions concernant la re-fondation politique, économique, sociale, diplomatique... Ira-t-on vers un véritable dialogue national sans exclusive qui permette de prendre en compte les demandes des Cavaliers du changement, des Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM), de toutes les structures de la société politique et civile qui ont lutté contre le régime défunt ? La demande formulée par certains partis relative au jugement de Ould Taya trouvera-t-elle un écho auprès des nouvelles autorités quand on sait qu’un tel procès ne peut pas les épargner ? Les relations seront-elles rompues avec Israël ? Marchera-t-on vers la ré-appropriation par le peuple de ses richesses nationales ou les verra-t-on mises aux enchères internationales ? Sur toutes ces questions, les inquiétudes restent lourdes face aux appétits des puissances demandeuses en énergie qui, tels des rapaces, se disputent depuis longtemps déjà la manne pétrolière de cette Mauritanie qui sera classée, dès 2006, parmi les 10 plus grands pays producteurs de pétrole au monde. Les inquiétudes restent également visibles par rapport à la mise en œuvre d’une société véritablement fondée sur la justice et la démocratie. C’est sans doute pour cela qu’ici et là, on observe des appels pressants à l’union sacrée des partis politiques et des organisations de la société civile pour ne pas que l’espoir suscité par le coup d’Etat se perde très vite dans des désillusions.

Mais faudrait-il peut-être nuancer le scepticisme avec la dernière rencontre qui a eu lieu entre les nouvelles autorités, la classe politique et la société civile. Promesse a été en effet faite d’engager immédiatement le retour à une vie démocratique normale, de sorte qu’avant les deux ans, la légitimité démocratique soit rétablie. Les actuels dirigeants ne pourront pas se présenter aux élections, le gouvernement qui sera mis en place sera uniquement composé de technocrates. Un référendum constitutionnel sera mis en œuvre avant un an afin de renforcer les bases démocratiques de la loi fondamentale et de prévoir notamment que les présidents ne pourront plus modifier les constitutions à leur seul profit. Si le sens de la parole donnée vaut quelque chose en Mauritanie et s’il n’y a pas de risque qu’on se retrouve dans une situation pareille à la Centrafrique, il se peut que dans les prochains jours, les réserves se ramollissent et que l’optimisme gagne beaucoup plus en force.

Victory Toussaint
San Finna

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