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Diaspora : « Ici au Congo, la nationalité burkinabè est un avantage dans le monde des affaires », explique Lassina Ouattara, homme d’affaires burkinabè

Publié le lundi 8 avril 2019 à 22h04min

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Diaspora : « Ici au Congo, la nationalité burkinabè est un avantage dans le monde des affaires », explique Lassina Ouattara, homme d’affaires burkinabè

L’histoire qui le lie au Congo (Brazzaville) est passionnante et a connu un début pénible. Elle mérite aussi d’être connue. Comme de nombreux autres aventuriers, Lassina Ouattara, puisque c’est de ce jeune qu’il s’agit, est arrivé au Congo en novembre 2001, en provenance de son Bobo-Dioulasso natal, où il est né en 1977. Sans argent à son arrivée, et avec pour seul compagnon le dépaysement, Lassina Ouattara va puiser dans ses valeurs intrinsèques pour se faire une place… Aujourd’hui, il est un homme d’affaires inscrit sur la « short list » des voix qui comptent dans ce milieu au Congo. Marié et père de trois enfants, Lassina Ouattara est aussi spécialiste en prospective stratégique et management des PME (Petites et moyennes entreprises). C’est un homme plein de tonus, débordant d’ambitions et qui a les propos toujours orientés vers sa patrie, que nous avons rencontré à travers cette interview au cours de laquelle il a aussi été question de la vie de la communauté burkinabè dans ce pays de l’Afrique centrale.

Lefaso.net : Qui est Lassina Ouattara et quelle histoire le lie au Congo-Brazza ?

Lassina Ouattara : Avant tout propos, permettez-moi de vous présenter toute ma reconnaissance d’être venu et de m’avoir permis cette interview dans un journal aussi crédible que Lefaso.net. J’avais simplement une vision claire et précise de ma vie de diaspora : réussir sans être salarié, malgré l’adversité. Les débuts ont été marqués par de petits boulots, plongeur dans un restaurant de fortune, chargeur de camions, ouvrier, blanchisseur et petit commerce ambulant, etc.

Durant mes petits boulots, j’avais en neuf mois économisé 30 000 CFA et j’ai décidé d’aller au marché de Poto Poto, à Brazzaville, pour être vendeur ambulant de petits objets. En trois mois d’activité, j’ai réalisé une épargne de 50 000 F CFA de bénéfice, que j’ai envoyée à ma mère chérie à Bobo, et j’ai continué mon commerce avec mon fonds de commerce initial de 30 000 F CFA.

Au bout de huit mois passés au marché, j’ai pu me construire la réputation d’une personne digne de confiance et presque tous mes fournisseurs me le signifiaient.
Tout change entre octobre et décembre 2003, où un matin, un Sénégalais, du nom de Kalilou Famata, décédé en août 2004 (paix à son âme !) m’appelle et dit : « Mon petit, il y a un Paskistanais qui a du lait en poudre de 25 kg en stock, qui ne marche pas du tout ; il m’a demandé de lui trouver quelqu’un à l’effet de le solder, je sais que tu es capable ».

Après quelques jours, le Pakistanais me fait confiance. Il m’a livré à crédit 200 sacs, à raison 25 000 F CFA le sac de 25kg à cause de la caution morale du Sénégalais. En moins de quinze jours, j’ai pu tout vendre et lui faire le versement convenablement.

Le Pakistanais finit par me donner l’exclusivité de la vente du stock de près de 20 conteneurs de 40 pieds, que je livrais aux clients de Brazzaville et de Kinshasa RDC.
Finalement, un mois après, il y a une pénurie de lait en poudre sur le marché de Brazzaville, le sac pris à 20 000 CFA s’est alors vendu à 50 000 CFA ; soit un marge net 30 000 CFA sous l’effet la loi de l’offre et de la demande. En deux mois, tout le stock est soldé et je me suis retrouvé avec 56 millions de francs CFA comme bénéfice et tout est parti de là.

En résumé, je dirai que malgré l’adversité, des valeurs qui me sont chères (telles que la confiance en soi et l’estime de soi) m’ont permis d’être à la fois endurant que persévérant pour surmonter les difficultés.

Cependant, je reste foncièrement conscient que cette histoire n’a pas fini d’être écrite. J’évite donc de tomber dans le piège de l’auto-satisfaction. Tant que je serai vivant et en bonne santé, j’aurai des rêves à réaliser et des nouveaux défis à relever. Sans rêves ni défis, il n’y a plus de vie mais plutôt une existence.

Dans quel (s) domaine (s) évoluez-vous et comment se portent vos activités dans ce pays ?

Actuellement, j’ai un domaine d’activé diversifié (le bâtiment, la quincaillerie, l’industrie légère, le consulting et le transport) et grâce aux ancêtres et au bon Dieu, mes activités se portent bien.

Comment jugez-vous le milieu de l’entrepreneuriat brazzavillois par rapport à celui du Burkina ?

Je n’ai pas d’éléments rationnels pour établir une comparaison objective. Seulement, je constate que les entreprises burkinabè sont dans un environnement plus concurrentiel, mais elles sont plus compétitives que celles du Congo. Cependant, grâce au niveau de vie élevé, les entreprises au Congo se font plus de marge bénéficiaire qu’au Burkina.

Comment s’est fait votre processus d’intégration dans le monde des affaires dans ce pays d’accueil ?

Mon processus d’intégration dans le monde des affaires au Congo a été relativement facile. En mars 2004, j’ai acheté mon premier magasin d’alimentation que j’ai géré pendant un an. Entre temps, deux membres de ma famille et mon épouse m’ont rejoint pour m’aider à gérer mon entreprise. Aujourd’hui, je suis membre actif de la COGEPACO (Confédération générale du patronat du Congo), membre consulaire de la Chambre de commerce, d’industrie, d’agriculture et des métiers de Brazzaville et chef d’entreprise.

Avec une telle assise au Congo-Brazza, êtes-vous encore assez attaché à votre pays d’origine, le Burkina ?

Je reste extrêmement attaché à ma chère patrie, que j’aime tant et qui m’a tout donné. C’est pourquoi, je vais au moins une fois par an au Burkina et j’y suis presqu’à tous les évènements majeurs, selon ma disponibilité. Par exemple en 2018, j’y ai été sept fois.

Investir au Burkina, est-ce une perspective pour vous ? Si oui, quel (s) domaine (s) avez-vous en ligne de mire ?

J’investi déjà au Faso dans le domaine de l’immobilier et dernièrement, j’ai créé la société SICAF SARL qui dispose d’un site de 4 000 m2 dans la zone industrielle de Bobo. La société évoluera dans le secteur agro-alimentaire, précisément dans la transformation des produits agricoles.

Pour des raisons diverses, des hommes d’affaires sont parfois preneurs de la nationalité de leur pays d’accueil. Quelle est votre situation actuelle par rapport à cette question ?

J’en ai eu l’opportunité à plusieurs reprises ici au Congo, parfois avec des familles de personnalités, mais je ne juge pas nécessaire d’ajouter une autre nationalité à celle d’origine. Je suis Burkinabè. A mon sens, aucun intérêt ne peut me faire renoncer à une partie de moi, car je suppose que ma nationalité burkinabè est une partie intégrante de moi-même dont je ne peux me dissocier.

Avez-vous connaissance d’autres chefs d’entreprise burkinabè au Congo-Brazza ?

Oui, je connais des Burkinabè, chefs d’entreprise ici au Congo et qui s’en sortent également dans les villes de Pointe Noire et Brazzaville. Mais mon esprit de patriote et d’ambitieux trouve qu’il n’y en a pas assez.

Dans le même ordre d’idées, avez-vous l’impression que les Burkinabè de la diaspora ont le sens de l’entreprenariat ?

Je n’ai pas d’éléments rationnels me permettant de répondre à cette question. Je constate simplement que les Burkinabè du Congo tirent leur épingle du jeu, même si j’aurais préféré qu’ils soient plus nombreux, compétitifs et davantage créateurs de richesses dans le domaine entrepreneurial.

Etes-vous en lien d’affaires ou connaissez-vous d’autres chefs d’entreprise burkinabè en Afrique centrale ?

Je ne suis pas en relation d’affaires avec des entrepreneurs burkinabè de l’Afrique centrale, mais plutôt en relation d’amitié avec certains d’entre eux au Gabon, au Cameroun et en RDC (République démocratique du Congo).

En tant que chef d’entreprise, y a-t-il des limites objectives à vos activités du fait de votre nationalité étrangère ?

Pour être franc, ici au Congo, la valeur perçue de la nationalité burkinabè est un avantage dans le monde des affaires. Les Burkinabè doivent tout faire pour garder les valeurs de travail, de dignité et d’intégrité qui sont les piliers de la nationalité burkinabè.

Peut-on avoir une idée de la communauté burkinabè vivant au Congo-Brazzaville (nombre, répartition géographique, domaines essentiels d’activité…) ?

Les Burkinabè du Congo sont estimés à environ 3 000 âmes et sont essentiellement repartis entre Pointe Noire, Brazzaville et Oyo. Ils évoluent dans les domaines du commerce, de l’agriculture et la restauration.

Peut-on dire que c’est une communauté organisée à l’image de celles d’autres pays d’accueil ?

Je peux dire que nous sommes bien intégrés dans l’ensemble et nous sommes organisés en deux associations : l’ARBUCO pour les hommes, créée en 1993 à Brazzaville dont Seydou Yigo est le président, et l’AFBC (Association des femmes burkinabè du Congo), créée en 2017. Ce sont les deux organisations à travers lesquelles nous communions.

En dehors du canal de la justice classique, existe-t-il des mécanismes par lesquels vous résolvez les conflits qui opposent des Burkinabè aux institutions ou aux nationaux ?

Ici au Congo, les voies à l’amiable sont privilégiées pour résoudre les problèmes entre Burkinabè ou entre Burkinabè et les autres nationalités. D’ailleurs, la justice classique intervient très rarement.

Avez-vous connaissance de Burkinabè détenus dans les mailles de la justice pour conflits avec les lois nationales ou avec des individus ?

Effectivement, un de nos compatriotes est en prison à la Maison d’arrêt de Brazzaville à cause d’une fausse accusation de viol sur une fillette de trois ans.

Quelles sont les préoccupations majeures de la diaspora burkinabè résident au Congo-Brazzaville ?

La préoccupation première et principale est le manque du Consul du Burkina au Congo, depuis 2014, suite au décès du défunt consul Souley Ouédraogo.

La plupart des Burkinabè de l’extérieur déplorent l’absence ou un mauvais maillage diplomatique du pays ; ce qui ne permettrait pas à bien de vos compatriotes de bénéficier de couverture. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?

Je partage cette opinion et cela se justifie par la stratégie même de notre diplomatie à l’instar des autres diplomaties des pays africains. En effet, elles sont essentiellement tournées vers les institutions internationales et les grands groupes.

Pour appuyer mes propos, je prends l’exemple certains de nos compatriotes victimes injustement d’emprisonnement au Congo, de rapatriements massifs de la Guinée (Conakry) et de déguerpissement sauvage du mont Péko en Côte d’Ivoire, sans réactions proportionnelles de notre diplomatie. J’espère qu’avec la récente création d’un ministère de la Diaspora (ministère de l’Intégration africaine et des Burkinabè de l’extérieur, ndlr) les choses évolueront.

Le premier Forum de la diaspora, tenu en juillet 2018, a pris des engagements en faveur des Burkinabè de l’extérieur. Sentez-vous un début de mise en œuvre ?

Les premiers fruits du forum se font sentir et le nouveau ministère en charge de la diaspora ne ménage aucun effort dans ce sens. En plus de cela, le contexte sécuritaire de notre pays modifie significativement les priorités des autorités. Je trouve que les résultats sont satisfaisants.

En marge de ce forum, il a été lancé la « cité de la Diaspora » que vous avez d’ailleurs qualifiée d’ « historique ». A un peu moins d’une année de son lancement, les premiers éléments vous donnent-ils une assurance quant à la concrétisation de ce rêve ?

La cité de la diaspora, lancée il y a moins d’une année, est historique. C’est une réalité. Seulement, des difficultés d’ordre opérationnel ne manquent pas. Je reste convaincu que le rêve se concrétisera. Tout récemment, il m’est revenu qu’il y a encore des logements qui n’ont pas été souscrits, malgré les campagnes de communication. La diaspora doit se mobiliser, car sous d’autres cieux, ces villas sont vendues le même jour.

Quels conseils pourriez-vous donner à un Burkinabè qui souhaite tenter l’aventure au Congo-Brazzaville, de façon générale en Afrique centrale ?

Le conseil que je peux donner à mes frères, tentés par l’aventure, c’est de s’armer de courage et de volonté. Une fois au Congo, qu’ils essaient encore, après tout échec, car le succès est la somme des échecs.

Sinon, le Congo en particulier et l’Afrique centrale en générale regorge d’énormes potentialités dont le peuple burkinabè peut tirer profit.

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
(oumarpro226@gmail.com)
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