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Soudan : Le combat inachevé de Garang

Publié le mardi 2 août 2005 à 07h50min

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"Yeux bridés et rieurs, visage rond, crâne dégarni, barbe piquée de poils blancs". On ne verra plus ce visage de bouddha que décrivait si bien un journaliste de JAI, et cette silhouette marquée par un embonpoint du ventre. John Garang de Mabior, ancien guerrillero devenu premier vice-président du Soudan, a perdu la vie dans un crash d’hélicoptère.

Accident ou attentat ? Les circonstances encore troubles du drame laissent la place à toutes les supputations. Seule une enquête indépendante permettra de tirer tout cela au clair. Toujours est-il que ce décès est un séisme dans la vie déjà agitée du Soudan qui, en dépit du cessez-le-feu avec les rebelles du Sud, doit éteindre d’autres foyers de tension, notamment au Darfour.

Du côté du gouvernement soudanais, on versera sans doute des larmes, on réservera tous les honneurs à la dépouille de Garang, on célébrera son sens du pragmatisme. Mais tout cela ne sentira-t-il pas, quelque peu, de l’hypocrisie ? Les dirigeants arabes et musulmans à Khartoum, on l’a vu, ont accepté de signer les accords de paix avec l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) sous la contrainte.

C’est à leur corps défendant qu’ils se sont résolus à partager le pouvoir (et les richesses du pays) avec leur ennemi le plus irréductible, John Garang. Cet homme, qui a fait voir de toutes les couleurs aux dirigeants successifs du Soudan, depuis 1983, est arrivé à ses fins à force de lutte, d’opportunisme politique mais aussi grâce au soutien des Etats-Unis.

Ce sont les attentats du World Trade Center, en 2001, qui ont constitué le déclic de cette pression décisive, l’Amérique ayant classé le régime soudanais dans l’axe du mal. Certes, le Soudan a un précédent dans le soutien au terrorisme (il a même abrité Ben Laden), mais l’engagement américain a aussi une forte odeur de pétrole, cet or noir dont regorge la région du Sud-Sudan.

Pour des raisons nobles (lutte contre l’oppression, l’intolérance religieuse et le terrorisme), Washington défend en même temps ses intérêts géostratégiques. Mais la mort de Garang ne va-t-elle pas contrarier un schéma qui, même s’il rétablit la justice pour une partie du peuple soudanais, n’en ouvre pas moins les vannes du pétrole pour les Etats-Unis ?

La réaction des partisans de Garang peut être déterminante pour la suite du processus. C’est vrai que des mécanismes de succession existent. Mais tout ce peuple qui avait accueilli par des "alléluias" l’accord de paix signé à Nairobi l’entendra-t-il de cette oreille ? Au moment où ils croyaient voir le bout du tunnel, les gens du Sud deviennent brutalement orphelins de leur leader.

Déjà, à Khartoum, on fait état de violentes émeutes qui ont éclaté dès l’annonce de la mort du vice-président. Personne ne pourra convaincre ces manifestants que l’accident d’hélicoptère qui a coûté la vie à John Garang est dû à des "problèmes de visibilité" comme l’a indiqué Khartoum. La situation se présente sous des perspectives incertaines.

Dans le meilleur des cas, on assistera à une lutte interne pour succéder à Garang, et au pire, une nouvelle rébellion pour venger la mort de l’ex-vice-président. Il se pose dès lors, le devenir de ce long combat mené par les rebelles et dont ils n’ont pas encore vu les fruits. Le reversement de 50% des revenus du pétrole pour le développement de la région, n’est en effet pas encore effectif, sans parler de l’avenir politique du Sud Soudan qu’un référendum en 2011 devra clarifier.

On ne peut occulter aussi l’impact de cette mort dans la situation d’ensemble de la région, au regard des liens très étroits qu’entretenait Garang avec l’Ouganda et le Kenya. La dimension internationale de cette mort se répercute jusqu’aux Etats-Unis qui perdent ainsi un homme de confiance qu’ils ont réussi à propulser au sommet de l’Etat soudanais. Ce qui leur garantissait un regard sur les agissements du régime islamique (pour ne pas dire fondamentaliste) de Khartoum.

Les Américains trouveront-ils l’homme de rechange pour continuer à avoir l’oeil sur l’évolution politique, économique et militaire du Soudan ? Comme on le voit, Omar El Bechir, le président soudanais, devra répondre à bien des interrogations, et, surtout donner les gages que la disparition de Garang n’est pas préméditée et calculée.

Le Pays

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