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Dieudonné Marie Compaoré : "La fraude s’intellectualise au Burkina"

Publié le mardi 2 août 2005 à 08h14min

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Depuis 1994, la Coordination nationale de lutte contre la fraude essaie de traquer les fraudeurs avec les moyens que l’Etat lui alloue chaque année. La détermination des hommes de Dieudonné Marie Compaoré est réelle.

Mais dans un contexte de "corruption" et d’"impunité" la traque n’est pas toujours très encourageante. Le coordonnateur de la lutte contre la fraude fait avec nous, un tour d’horizon des activités de sa structure, ses succès et ses déboires.

Comment va la fraude au Burkina ?

Après près de 10 ans d’activités, le constat est que la fraude s’intellectualise. Ce n’est plus le petit fraudeur de Pouytenga qui contourne la douane à vélo. La fraude ne se trouve plus dans les magasins, elle s’est déplacée dans les bilans des sociétés.

Cela veut dire que ce sont de grosses sociétés structurées qui s’adonnent à cette pratique ?

Tout à fait. Il faut appeler les choses par leur nom. Nous sommes un peu gênés parce que la fraude ne régresse pas. Cela tient à deux phénomènes : c’est le fait de la corruption (et ça, personne ne peut le nier) et de l’impunité. Je ne parle pas de cette impunité à connotation politique. Voyez ! le commerçant qui fraude aujourd’hui ne risque pas grand chose. Quand on le prend, il transige pour payer une amende. C’est comme une loterie : s’il passe, c’est bon mais si on le prend, l’amende est-elle dissuasive ? Ce sont des questions que nous nous posons actuellement. Le recouvrement même des amendes est souvent difficile. Nous sommes obligés de passer par des huissiers et par des avocats.

La solution selon vous ?

Je pense qu’il faut mettre l’accent sur la répression, renforcer la répression. Pour cela, la relecture de certains textes est nécessaire.

Vos moyens de lutte ne sont donc pas adaptés si des fraudeurs restent impunis et récidivent ?

Ecoutez ! (Il se redresse) vous voulez que je me jette à l’eau, et je n’ai pas l’habitude de noyer le poisson dans l’eau. Si vous faites allusion au dossier OMA-Senisot qui a défrayé la chronique, nous avons eu à gérer le dossier. Le ministère du Commerce a eu à envoyer une équipe et l’agrément de l’intéressé a été retiré. Le dossier est donc en justice et on a commis un avocat qui le suit mais jusque-là, rien ne bouge.

Cette situation vous décourage -t-elle ?

Quand on fait des efforts et on consent des sacrifices, je vous assure que cette situation n’est pas pour nous encourager.

Est-ce à dire que la commission nationale de lutte contre la fraude fait sa part de travail et le reste de la chaîne pas ? Dans ce cas, n’êtes-vous pas esseulé ?

Dans cette situation, oui. Mais je ne jette la pierre à personne parce que personne ne connait les contraintes de chaque acteur de la chaîne de répression de la fraude. Mais pour marquer les esprits et dissuader les éventuels contrevenants, dans un cas où la faute est claire, la sanction aurait dû venir rapidement. Après ce dossier, la coordination a diligenté d’autres enquêtes de ce genre et je dis que si le premier dossier avait eu une sanction à la hauteur du forfait largementt médiatisé, cela aurait eu un effet dissuasif.

La presse a également fait écho d’une autre affaire, celle de la société Mégamonde...

Nos services ont connu ce dossier. Il a demarré ici. Mais il n’est pas encore arrivé en justice. L’enquête se poursuit avec des moments de blocages et d’avancées significatives comme dans tout dossier. Suite à un article paru dans votre journal (Ndlr pays n°3390 du 10 mai 2005), l’avocat de Mégamonde nous a envoyé une lettre peu encourageante. Il y a un proverbe mossi qui dit que là où vous avez trébuché, vous ne faites pas d’histoire ; c’est plutôt là où vous êtes tombé que vous voulez faire la bagarre. Les gens croient que la lutte contre la fraude est la seule affaire de la douane, de la coordination, des impôts, etc.

Tout le monde doit y contribuer. Même s’il s’agit d’un gros client, il faut avoir la tête froide et attendre l’aboutissement du dossier. Ce n’est pas parce que la presse a dit ceci ou cela sur un dossier, que cela vient de chez nous et qu’il faut envoyer une lettre avec ampliation à mes supérieurs hiérachiques, au procureur, etc.

Vos supérieurs hiérachiques soutiennent-ils fermement vos actions ?

Affirmatif, comme on le dit chez les militaires. Actuellement nous sommes très soutenus. C’est ce qui explique que nous avons des actions osées. Depuis la tenue des rencontres Gouvernement-Secteur privé, le soutien moral est sans faille. Quand nous envoyons une requête pour des actions précises, il n’y a pas de problèmes car nous intervenons sur des bases claires, légales et dans le respect de la dignité humaine.

La fraude, dit-on, est la fille de la corruption. Et qui dit corruption dit trafic d’influence, pots de vin pour étouffer certaines affaires. Avez-vous fait l’objet de ce type de commerce ?

Les dossiers dont vous n’entendez plus parler ne le sont pas du fait des pressions auxquelles vous faites allusion. Mais dans toute mission, il y a des pressions. Pour moi, quand le ministre des Finances qui est mon patron me donne des instructions, ce n’est pas une pression ; mais quand un élu ou un autre membre du gouvernement me donne des instructions, ça ne m’engage pas et ce n’est pas une excuse pour ne pas faire mon travail. Le jour du bilan, c’est moi qu’on juge, ce n’est pas eux. Sinon , les pressions que nous constatons, c’est le cas de cet avocat qui tente de nous intimider ou des gens qui font jouer la fibre parentale, l’amitié ou les accointances politiques pour sortir des mailles du filet. Mais cela ne nous a jamais fait dévier de notre objectif.

N’y a-t-il pas doublon entre vous et la douane sur le terrain de la répression ?

A l’heure actuelle, il n’y a pas de doublon entre nous et la douane. Mais vous faites bien de poser la question parce que la coordination est née sur un malentendu. Lors de la création en 1994, la douane nous a vu comme une structure rivale parce qu’il n’y a pas eu ce travail d’explication, de préparation des esprits pour que nous puissions prendre notre place convenablement. Nos missions n’étaient pas clairement définies et il a fallu beaucoup de temps pour que tout rentre dans l’ordre.

Aujourd’hui, nous travaillons en bonne intelligence au service de l’Etat. Ce que la douane rapporte au budget national n’a rien de comparable avec ce que la coordination engrange. Nous jouons un rôle complémentaire. Pour certaines missions, nous faisons des équipes conjointes. Nous sommes plutôt axés sur le renseignement ; nous arraisonnons le véhicule qui nous intéresse et le conduisons à la police ou dans l’entrepôt de déchargement pour les vérifications d’usage.

Combien la coordination rapporte-elle au budget de l’Etat ?

Notre action est difficilement quantifiable. Pour le budget 2005, on nous demande de faire rentrer 150 millions de F CFA ; c’est peu par rapport aux milliards que la douane encaisse. Les 150 millions qui sont attendus par l’Etat représentent uniquement les pénalités infligées aux contrevenants. Prenons le cas d’un commerçant qui n’a pas reversé la TVA ou son BIC. On procède alors à un redressement qui est versé aux impôts. Ce sont seulement les pénalités liées à ce redressement qui nous sont redevables. Notre action ici est dissuasive puisque ce sont des contrôles a posteriori. Cela peut amener les gens à dédouaner leurs marchandises dans les règles ; cela n’est pas quantifiable.

Vous avez parlé de contrôle a posteriori ; comment se fait l’inspection de la qualité des produits en dehors de la paperasserie que vous contrôlez ?

Certaines de nos actions ne nous rapportent rien en termes financiers. Ce sont des actions de salubrité publique ; ce sont par exemple ces bouteilles d’eau de javel que nous avons retirées du marché parce qu’impropres à la consommation. Trois individus ont été pris en zone non lotie en train de fabriquer du vinaigre et de l’eau de javel qu’ils conditionnaient dans des emballages pour revendre sur le marché. Le CNRST a détecté une concentration de 0,6 % d’alcool alors que la norme est de 12%. Imaginez les conséquences sociales et sanitaires. Au niveau des abattages clandestins, nous avions eu à saisir des quartiers de viande qui contenaient des germes de charbon et de tuberculose.

Vos activités font-elles l’objet d’un rapport annuel et est-il rendu public ?

Chaque année, nous en produisons un et il n’a rien de confidentiel. Il y a le rapport à mi-parcours qui est produit en juin-juillet et le rapport définitif qui est adressé au ministre des Finances. Jusqu’en 2002, le rapport avait une forme littéraire. Actuellement, il est présenté sous forme de tableau.

Quel est votre plus grosse prise ?

C’est un dossier que nous appelons Gestramar qui nous a opposés à une société ivoirienne à l’époque. La perte subie par l’Etat était de l’ordre de 750 millions. Mais comme c’est une société qui n’était pas sur place, on n’a pu récupérer que la moitié de la somme. La société s’est fait liquider intelligemment pour échapper au paiement. Ce que nous avons pu récupérer, ce sont les avoirs de la société au Burkina auprès de societés telles Sitarail, Cimat..
Nous avons utilisé au niveau des impôts l’avis à tiers détenteurs.

C’est-à-dire...?

Si quelqu’un vous doit de l’argent et que vous nous devez, nous pouvons directement aller chercher l’argent chez cette personne.

Avez-vous une estimation des pertes que fait subir la fraude à l’économie burkinabè.

C’est difficile, car il n’y a pas de statistiques en la matière. Une autorité avait dit que ce qui atterrit dans les caisses de l’Etat n’est que la moitié de ce qui devrait l’être.
Ce que nous pouvons dire, c’est qu’autour des années 95-96, la fraude représentait plus de 60% des parts du marché des piles. Monétairement parlant, la coordination ne peut pas évaluer le passif. Notre action est axée non seulement sur la fraude fiscale et douanière, mais également sur toute forme de fraude à caractère économique. Pour nous, l’évasion fiscale, c’est de la fraude. Mais cela demeure un débat d’écoles. Des gens profitent des failles du système. C’est de la fraude à partir du moment où on a conscience que c’est illicite.

Sur le terrain, vos équipes rencontrent- elles des oppositions ?

Au temps de Rood Wooko, il y a quatre ans, on n’a pas pu pénétrer au coeur du marché pour opérer une saisie. Le marché était censé être fermé à partir de 18h. Mais un commerçant a fait débarquer une remorque de marchandises nuitamment. Heureusement que les éléments de nos équipes sont des éléments d’élites, bien formés. Ils ont pu pénétrer dans le marché et opérer la saisie conformément à la loi et ramener le camion.

Des fois, cependant, nous rebroussons chemin quand la situation n’est pas en notre faveur. Quand il y a un véritable risque d’affrontement, nous replions. C’est purement tactique même si nous avons la force publique avec nous.

En milieu urbain, c’est souvent délicat. Nous avons le souci de ne pas mettre la vie de nos éléments en danger et même celle du fraudeur .
Un des patrons de la douane a dit que "la vie du fraudeur est bien plus importante que le plus beau des chargements".
Quand il y a un attroupement avec de la résistance, c’est toujours délicat d’opérer.

Votre plus grosse déception ?

Ma plus grosse déception c’est quand on a alloué à la commission pour son fonctionnement 300 mille francs de carburant. C’était dérisoire. J’ai senti que la coordination n’était pas utile à l’époque. Que l’on n’y croyait pas beaucoup. Mais depuis, l’Assemblée nationale elle-même a senti la nécessité de renforcer nos moyens et notre ministre de tutelle a mis les petits plats dans les grands. Ces derniers temps, nous avons moins honte de nous. Nos actions sont lisibles et les dossiers vont jusqu’au bout.

Propos recueillis par Abdoulaye TAO et Parfait SILGA
Le Pays

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