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Dr Justine Couldiati, Plateforme des Femmes G5 Sahel : « Une chose est de contrer l’extrémisme violent avec la force de feu, une autre est d’assurer la paix et la sécurité dans la durée »

Publié le mardi 5 février 2019 à 00h40min

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Dr Justine Couldiati, Plateforme des Femmes G5 Sahel : « Une chose est de contrer l’extrémisme violent avec la force de feu, une autre est d’assurer la paix et la sécurité dans la durée »

Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans l’espace sahélo-sahélien, soumis à des maux qui affectent énormément les jeunes et les femmes, le G5 Sahel doit compter avec les femmes des pays membres. C’est dans cette volonté que s’inscrit la Plateforme des femmes du G5 Sahel (fédération des coordinations nationales), pilotée, depuis sa création en juillet 2015, par Dr Justine Couldiati/Kyelem. C’est une coordinatrice régionale au four et au moulin, avertie de plusieurs questions et pleine de tonus, que nous avons interceptée entre deux activités. Entretien !

Lefaso.net : La Conférence internationale de coordination des partenaires et bailleurs de Fonds, tenue en décembre dernier, à Nouakchott a été un des défis majeurs pour le G5 Sahel. Peut-on dire que vos attentes ont été comblées surtout en ce qui concerne la mobilisation des ressources ?

Dr Justine Couldiati : En termes de satisfaction, je dirai que je le suis entièrement par rapport à la mobilisation des partenaires de cette rencontre de Nouakchott. Non seulement au regard du nombre, mais aussi de la diversité.

Lefaso.net : Pouvez-vous parler des projets qui sont consacrés aux femmes des cinq pays membres du G5 Sahel ?

Il y a des activités majeures consacrées aux femmes, pour leur permettre d’augmenter leurs revenus. Ce sont des activités à hautes valeurs (des projets sur le pastoralisme, la résilience et la résistance des femmes aux chocs économiques, climatiques, etc.) qui doivent leur permettre de pouvoir se prendre en charge, prendre en charge leurs familles, leurs enfants afin qu’ils ne tombent pas dans l’incivisme, l’extrémisme violent, etc.

Ce projet devra aussi permettre aux femmes d’apporter leur concours en matière d’alertes précoces, de renseignements, de résolutions de la pauvreté qui est un des facteurs-clés de l’extrémisme violent (on sait que le sous-emploi des jeunes et des femmes, le manque de revenus…font que beaucoup de jeunes tombent dans l’extrémisme violent, et même de plus en plus de femmes et de jeunes filles).

Ces projets ne sont peut-être pas très importants en termes de nombre, mais le sont en termes de valeurs financières (les montants sont assez importants). Ces projets ont trouvé une réaction positive auprès des partenaires, qui sont intéressés à soutenir les femmes, notamment la Plateforme des femmes du G5 Sahel.

Lefaso.net : De façon spécifique, qu’est-ce que les femmes du Burkina peuvent-elles attendre dans le cadre de la mise en œuvre de ces projets ?

Parler de façon spécifique, ce sera un peu difficile ; parce que tous ces projets que nous avons montés l’ont été pour une activité régionale. Cela va permettre à tous les pays d’avoir une activité. C’est vrai que, lorsqu’on parle de projets relatifs au pastoralisme, on voit vraiment les zones désertiques où on fait beaucoup d’élevage. Mais, à côté de ce projet, il y a un grand programme, que nous avons élaboré.

Il va permettre à chaque zone qui sera choisie, de retenir un projet qui peut permettre à la localité de donner une activité aux organisations de femmes. Ces initiatives vont leur permettre d’avoir de grandes ressources, de grandes retombées en termes de bénéfices, et de dégager ainsi des ressources pour mener des activités de civisme (l’incivisme étant grandissant), des activités génératrices de revenus pour augmenter leurs propres gains afin de prendre en charge leurs familles (éducation, santé, etc.).

Ce qui va permettre également de combler, un tant soit peu, cette attente non comblée des jeunes et des femmes, qui les pousse à l’extrémisme violent. Donc, les femmes auront des projets particulièrement dans les zones transfrontalières, les zones rurales, les zones en difficultés, pour pouvoir accompagner non seulement les communautés, les populations, mais aussi leurs familles (le pays en général) à répondre à ces chocs économiques, climatiques, etc. La lutte contre l’extrémisme violent est une lutte multi-dimensionnelle, multi-actrice.

L’avantage pour la femme d’être au centre du dispositif, qui est une exigence d’ailleurs, si le G5 Sahel veut réussir, c’est que depuis la cellule familiale, elle peut s’apercevoir de certains gestes, de certains mouvements qui peuvent leur permettre déjà d’alerter. C’est ce qui s’est passé dans certaines contrées comme l’Afghanistan, où les femmes ont agi et ont réussi à aider.
Il y a tout ce qui tourne autour du renseignement, sans lequel, la force de frappe elle-même ne peut pas réussir ; on va frapper parce qu’on sait que l’ennemi est là-bas, mais si tu n’as pas d’informations, tu ne peux pas frapper tout azimut.

Or, les femmes qui sont en dehors des foyers, qui sont dans les organisations féminines, presque dans toutes les chaînes au niveau de la société, au niveau spatial, sont celles-là qui peuvent, d’une manière ou d’une autre, percevoir que quelque chose ne passe pas, qu’il y a un problème, et coopérer avec la composante policière, les Forces de défense et de sécurité, pour qu’on puisse s’assurer que quelque chose ne va pas et contrer à temps. Donc, l’information étant capitale, et la femme étant à tous les niveaux du dispositif, c’est certain que c’est par elle que l’on peut avoir très rapidement les informations.

Nous savons aussi que la femme, lorsqu’elle a des ressources, sait les faire fructifier, et les études ont montré qu’entre 64 et 87% des bénéfices que les femmes engrangent dans leurs activités sont réinjectés dans la famille. Or, c’est la situation familiale difficile, déplorable, qui fait que souvent, les jeunes se comportent mal. Voilà comment la femme peut déjà participer à relever la qualité de vie au sein de sa famille, au sein de sa communauté, pour pouvoir contrer l’extrémisme violent.

Sans compter qu’il y a d’autres activités qui tournent autour de la justice, de la mise en place de cliniques juridique et sociale pour pouvoir accompagner les familles victimes d’extrémisme violent. Il n’y a pas plus que la femme pour donner son cœur, pour accompagner, lorsque les hommes sont au front. Pour parler toujours de l’aspect information, sur le terrain, lorsqu’il y a des problèmes, et qu’on regroupe les femmes et les enfants qui sont d’ailleurs les plus nombreux dans les camps de réfugiés, les femmes sont promptes à donner l’information aux femmes en tenue qu’aux hommes.

Donc, le fait de savoir cela doit permettre au G 5 Sahel de relever le nombre de femmes dans la composante policière (déjà dans la formation, parce qu’il y en a qui ont un bon background). Cela va permettre de démystifier un peu la tenue et de composer avec les femmes, les populations pour pouvoir arriver à une vraie collaboration entre populations et la composante militaire pour qu’il y ait des informations qui soient vraiment fluides. La question de l’information est vraiment capitale et la femme peut jouer un rôle essentiel dans ce domaine.

Le rôle de la femme n’est pas de faire ce que les hommes font déjà, et très bien. Le rôle de la femme, c’est d’aller faire bien là où ce n’est pas bien fait, là où on peut faire mieux. Notre travail, c’est de faire un plaidoyer auprès des instances les plus hautes (les Nations-Unies, auprès des Chefs d’Etat, le G5 Sahel…) pour que la femme ait sa place pour pouvoir libérer son potentiel afin de mieux jouer son rôle là où on l’attend.

C’est là où nous nous attelons en termes de plaidoyer, de mobilisation de ressources et nous avons essayé de parler de notre Plateforme à toutes les organisations internationales, à toutes les Ambassades et leur avons demandé de transmettre ces informations à leur pays. Car, une chose est de contrer l’extrémisme violent avec la force de feu, une autre est d’assurer la paix et la sécurité dans la durée. Or, vous savez que les frappes appellent les frappes.

Nous pensons que la réaction la plus sûre, c’est celle qui va passer par la résilience, la médiation, la gestion de la pauvreté, la justice et l’équité, et permettre aux uns et aux autres de travailler pour une plus grande richesse bien partagée. Et cela, ce n’est pas en finançant uniquement la force de feu ; il faut aussi financer tout ce qui tourne autour de la résilience, la capacité des populations à contrer les différents chocs (sécuritaire, économique, climatique…).

C’est un peu notre stratégie depuis que nous avons été mise à la tête de cette coordination. Nous avons pris cette coordination sans aucune ressource, mais nous avons pu engranger des résultats. Déjà, au lancement, par la voix de l’ambassadeur des USA, les partenaires ont salué la qualité des résultats que nous avons obtenus et la qualité de leadership que le Burkina a eu pour coordonner cette activité. Donc, le pays peut être fier pour le passage à la tête de la Coordination pour les deux années (le mandat s’achève en 2019, ndlr).

Lefaso.net : Comment la Plateforme est-elle déployée à travers les pays membres ?

Il faut relever que la plateforme a été mise en place en juillet 2015 (le G5 Sahel a été lui-même créé en 2014, mais mis en place en 2015 après la plateforme). Il y a eu une conférence en 2013 à Bruxelles sous la houlette des Nations-Unies, de l’Union africaine, de l’Union européenne, etc., parce que les gens se sont rendus compte que les femmes n’étaient pas invitées pour tout ce qui concerne la paix.

Or, la femme est un instrument de paix. Dès sa naissance ! Le fait d’aller se marier, elle unit des familles. Dans le foyer, elle joue le rôle de paix. On a donc travaillé à mettre en place des cellules nationales (c’était le 23 juillet 2015 à N’Djamena).

Après la mise en place par l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations-Unies en son temps, nous avons travaillé à mettre en place la coordination régionale, qui est l’instance qui doit coordonner les cinq plateformes dans les cinq pays du G5 Sahel. Ces cinq plateformes sont particulièrement constituées de cinq personnes et entités de base. Il s’agit d’une représentante du Parlement (député), désignée officiellement par le Président du Parlement pour s’occuper de tout ce qui est texte juridique, tout ce qui est réglementation.

Nous avons, dans cette Plateforme, une représentante des Organisations de la société civile (organisations de femmes), qui doit être le lien avec les organisations de la société civile au niveau du pays, pour pouvoir mobiliser les organisations féminines pour accompagner dans cette lutte asymétrique. Il y a deux représentantes du monde rural ; parce que, lorsque nous avons travaillé à mettre en place cette Plateforme, nous nous sommes rendus compte qu’en réalité, les plus gros problèmes étaient des problèmes du monde rural.

Et dans le monde rural, les plus défavorisés sont ceux qui sont dans les zones transfrontalières, qui parfois ne savent même pas de quel pays ils relèvent, qui sont délaissés et on ne s’occupe d’eux que quand il y a des problèmes. Donc, nous nous sommes dit que si on ne fait pas une politique de développement en tirant vers le haut le monde rural, on ne pourra pas s’en sortir. On a également le ministre en charge de la femme, qui représentant l’exécutif. Voilà le noyau dûr de la constitution de chaque Plateforme.

On les a autorisées à aller jusqu’à neuf personnes, en cooptant quatre personnes qui vont appuyer pour les activités (mais, le nombre ne saura dépasser neuf). C’est la composition et il s’agit de travailler à accompagner le G5 Sahel pour réussir les missions que les Chefs d’Etat ont confiées à cette institution. Ce sont des missions très claires qui ont été définies et la coordination a un rôle particulièrement de plaidoyer, de mobilisation de ressources, de visibilité et elle doit travailler à se déconcentrer aux niveaux régional, communal…, jusqu’à la base pour mettre des point focaux ou cellules locales.

Nous avons pensé à cela parce que nous savons que l’extrémisme violent, lorsqu’il tape, il réussit parce qu’il maîtrise la composition de ces communautés, il maîtrise leurs mouvements, etc. Donc, il faut que nous œuvrions à recomposer ces cellules sociales, communautaires, à travers un travail de base, qui va amener la cohésion sociale, l’appartenance à cette communauté.

Si on arrive à faire en sorte que tout le monde se sent engagé dans sa communauté, à protéger sa communauté, à œuvrer pour le développement de sa communauté, ce sont tous les pays qui vont se développer. Ce sont donc ces cellules (au niveau national) qui vont travailler, ce n’est pas la plateforme qui va dérouler les projets (il faut les amener à la base pour que les populations travaillent).

Cela va permettre de travailler à puiser dans les valeurs endogènes de nos communautés pour enseigner nos enfants, les jeunes, afin qu’ils aient confiance à leur communauté, qu’ils acceptent les valeurs sociales communautaires, qu’ils sachent que là où ils viennent, il y a eu de grands hommes et qu’eux aussi peuvent relever de grands défis.

Lefaso.net : En marge de la conférence internationale, vous avez animé une activité de la Plateforme, de quoi a-t-il été question ?

En effet, en marge de cette conférence, nous avons eu une rencontre avec les jeunes, dans le cadre de la journée de la jeunesse du G5 Sahel. Il y avait des thèmes qui portaient sur la Plateforme des femmes ; ce qu’elles peuvent apporter pour contrer l’extrémisme violent, pour aider les jeunes à s’en sortir et à ne pas tomber dans l’extrémisme violent. Surtout qu’aujourd’hui, la femme est utilisée sur tous les plans par les extrémistes violents ; le voile lui-même, qui était un port qui revient à la femme, est utilisé pour poser des actes (d’extrémisme violent).

Notre intervention visait d’abord à faire comprendre à ces jeunes filles (qui avaient soif de comprendre), les rôle et missions du G5 Sahel et surtout s’attarder sur la Plateforme des femmes du G5 Sahel. Il s’agissait aussi de leur expliquer ce à quoi elles doivent s’attendre en termes de contribution pour permettre à la Plateforme de bien fonctionner (elles font partie de la plateforme, parce que dans les textes, on parle de femmes, y compris les jeunes filles).

Donc, il faut qu’on les implique. Nous avons profité de cette tribune pour leur présenter la Plateforme dans tous ses aspects. J’ai demandé d’ailleurs à la conseillère genre du G5 Sahel de trouver une possibilité pour réunir ces jeunes filles (et c’est ce que je vais demander dans tous les pays) pour échanger avec elles, pour qu’elles nous disent qu’est-ce qu’elles peuvent apporter maintenant et qu’on puisse intégrer ce qu’elles vont apporter comme informations, comme propositions à notre plan d’action.

Lefaso.net Votre mot de conclusion…

Je tiens à remercier particulièrement le Canada (qui a vraiment mis le focus sur la Plateforme des femmes), le Danemark, la Suède, les Pays-Bas. Le Canada et les pays scandinaves ont encore montré leur tradition de mettre la femme en avant, de croire à la femme. Tous les financements de hauts niveaux qui ont été donnés, l’ont été par le Canada et les pays scandinaves. J

e tiens à les remercier et leur dire qu’ils ne seront pas du tout déçus. Je tiendrai personnellement, à ce que les projets soient exécutés et que l’impact soit le plus visible, le plus rapidement atteint, pour sortir rapidement la femme de sa misère et lui permettre de s’épanouir et de travailler désormais avec des moyens et techniques avancés pour la soulager des lourds fardeaux.

Propos recueillis par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 5 février 2019 à 04:04, par intégrité En réponse à : Dr Justine Couldiati, Plateforme des Femmes G5 Sahel : « Une chose est de contrer l’extrémisme violent avec la force de feu, une autre est d’assurer la paix et la sécurité dans la durée »

    en fait la vraie solution viendrai de la lutte contre la pauvreté et le délaissement de certaines régions dont la populations se sentent marginalisées. quand vous prenez un pays comme le Burkina Faso, l’injustice est très criarde. on a l’impression qu’on veut rendre d’autres très pauvres pour pouvoir les dompter et créer une monarchie si l’on s’en tient aux propos de la hiérarchie par certains hauts gradés devant la justice militaire. il faut donc changer le fusil d’épaule et prendre en compte les proposition pertinentes des uns et des autres pour sortir les populations de l’extrême pauvreté si non vous avez bien accumulé des milliards vous irez les mangé au dehors car les fils de ces pauvres ne laisserons pas tranquilles et comme les pays développés ne sont plus près à accueillir les corrompus et les délinquants au col blanc, bonjour les dégâts. a bon entendeur salut car il n’ y a plus de minorité qu’on peut exterminer facilement et il n’ a rien.

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