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Affaire Idrissa Seck : et si Wade avait raison ?

Publié le jeudi 28 juillet 2005 à 07h48min

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Dépassement de 26 milliards de francs CFA dans la réalisation des chantiers de Thiès et atteinte à la sûreté de l’Etat. Ce sont les principaux chefs d’accusation qui sont formulés à l’encontre d’Idrissa Seck, ex-numéro deux du Parti démocratique sénégalais (PDS) et ancien premier ministre du Sénégal de novembre 2002 à avril 2004. Il faut dire que tout est allé très vite en ce mois de juillet 2005 à Dakar.

Alors que les Dakarois s’interrogeaient encore sur les conséquences d’un éventuel jugement de l’ex-homme de confiance du président Wade dans le cadre des révélations du rapport de l’Inspection générale d’Etat (IGE), faisant état de malversations financières dans les chantiers de Thiès, voilà que tout s’est enchaîné à un rythme infernal pour les partisans de l’accusé. Le 15 juillet, Idrissa Seck est arrêté et traîné devant la Direction des investigations criminelles (DIC) pour s’expliquer sur "l’affaire du dépassement de financement des chantiers de Thiès" dont il serait l’un des principaux responsables.

Piqué dans son amour-propre, l’ex-directeur de campagne du PDS réagit en publiant un communiqué dans lequel il rejette en bloc les accusations portées contre lui et réaffirme toutes ses ambitions politiques, avec la seule condition qu’il n’y ait pas en face, son père spirituel, le président Wade. Il n’en fallait pas plus pour que sa situation s’aggrave. En effet, celui que certains appellent affectueusement "Idy", est ensuite accusé d’ "atteinte à la sûreté de l’Etat". Depuis, il est détenu dans les locaux de la DIC en attendant son éventuel procès.

Au-delà des luttes internes au sein du PDS, cette arrestation du maire de Thiès et les réactions qu’elle suscite dans le pays sont révélatrices du climat délétère qui règne au sein de toute la classe politique sénégalaise. D’où une divergence systématique des opinons , d’une part entre les pro Wade et les pro Seck au sein du PDS, et d’autre part entre le camp présidentiel et celui de l’opposition ou de la société civile.

Pour les partisans de l’ancien Premier ministre, les accusations portées contre leur champion ne sont que des moyens déguisés pour l’éliminer politiquement à un an des législatives et deux des présidentielles. En cela, ils sont rejoints par l’opposition, la société civile et les organisations de droit de l’homme.

Mamadou Dia, ancien président du Conseil des ministres du Sénégal, sous l’ère Senghor, parle à ce sujet de règlement de comptes et non de souci de rendre la justice. Même son de cloche chez Moustapha Niasse, le tout premier Premier ministre du président Wade, qui estime que l’ex-directeur de cabinet du patron du "SOPI" n’est pas le premier voleur de la République sénégalaise, ni le dernier de la classe politique du pays.

Sidiki Kaba, avocat et président de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), ne dit pas autre chose. Il voit plutôt en Idrissa Seck, un prisonnier politique que l’Etat veut envoyer en prison. "Cette affaire montre la ruine de l’Etat de droit au Sénégal", conclut-il.
De l’autre côté, il n’y a que les partisans du président pour invoquer, contre vents et marées, l’argument de la nécessité de laisser faire la justice. A ceux qui l’accusent de vouloir liquider politiquement son fils spirituel, Abdoulaye Wade leur oppose, de façon résolue, le droit républicain face à tout délit, quel que soit le rang social du citoyen.

Face à cet isolement du président sénégalais dans l’opinion, doit-on conclure tout de suite, comme beaucoup l’on déjà fait, qu’il s’agit tout simplement d’un règlement de comptes politiques ? N’est-il pas très tôt de juger ?
Il est vrai que les principaux acteurs sont des politiques en conflit.

Mais cela est-il suffisant pour que l’on ne voie dans ce dossier qu’une seule intention de nuire politiquement à l’ambitieux ancien Premier ministre ? Rien n’est très sûr. Certes, des arrière-pensées politiques ne sont pas à écarter dans cette affaire, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut nier toute crédibilité juridique à ce dossier. Il n’est pas seulement le produit de l’imagination de Wade.

Il se base quand même sur un rapport accablant de la Division des investigations criminelles. Si Idrissa Seck n’est pas coupable, comme il le proclame lui-même, il sera libéré à l’issue de la procédure judiciaire qui est entamée et qui se terminera par un procès. En outre, dans cette affaire, Abdoulaye Wade ne fait pas que du mal à Idrissa Seck.

Cette affaire le concerne aussi et pourrait se retourner contre lui si les accusations ne sont pas fondées, puisqu’il s’agit de son Premier ministre. C’est donc aussi le procès de son propre régime.
Et si, en dépit de ces risques, il tient à ce qu’il soit jugé, c’est qu’il y a, sans doute, une part de vérité, où, à tout le moins, une fumée annonciatrice de feu.

Dans ce cas, doit-on par sentiments humains pour le faible, occulter la nécessité de laisser dire le droit dans un Etat de droit ? L’affaire Idrissa Seck n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Ils sont en effet nombreux en Afrique, les responsables politiques qui profitent de leurs fonctions pour piller les caisses de l’Etat. Mais, très souvent, on craint de leur demander des comptes de peur, soit d’être soi-même éclaboussé, soit d’être accusé de vouloir régler des comptes à ses ennemis.

Les surfacturations, les octrois de marchés de gré à gré sont une spécificité des républiques africaines. C’est dire donc que dans cette affaire, la vraisemblance a bel et bien sa place. Alors prudence. Car il s’agit d’un domaine où ce qui compte le plus, ce ne sont pas les accusations mais plutôt et surtout la matérialité des preuves.

Mais en attendant, on peut relever le courage de Wade, car en prenant le risque d’ouvrir cette boîte de pandore, il prend aussi celui très sérieux, de se voir lui-même éclaboussé par des révélations assassines de son ex-dauphin. A moins que le plus célébre chauve du Sénégal n’ait la forte conviction, qu’en matière de gouvernance républicaine, il est blanc sous tous rapports.

Le Pays

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