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Sortir nos filières agricoles de la léthargie : De la prospective à l’alternative

Publié le lundi 24 décembre 2018 à 01h05min

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Sortir nos filières agricoles de la léthargie : De la prospective à l’alternative

Le ministère de l’Agriculture et des Aménagements hydrauliques vient d’annoncer une campagne agricole 2017-2018 record de plus de 4 millions de tonnes. Doit-on s’enorgueillir pour autant ? Ou plutôt s’en inspirer pour insuffler plus de dynamisme à nos filières, plus de gouvernance et plus de volonté politique ? Tels sont, nous semble-t-il, les enjeux et défis actuels de notre agriculture, secteur vital par excellence.

Pour mieux appréhender cette problématique, essayons de revisiter l’évolution de nos filières agricoles, leurs états actuels et leur environnement afin de faire une analyse prospective et d’y investiguer sur les scénarii possibles, pour visualiser des alternatives de leur développement durable.

En effet, au Burkina, le potentiel des filières agro-sylvo-pastorales est très important (et pourrait l’être davantage). Elles demeurent des sources de croissance (avec un fort impact sur le panier de la ménagère et non un concept creux et vague pour les populations) encore largement inexploitée. Le secteur occupe près de 80% de la population active et son poids varie entre 28 et 31% du Produit intérieur brut (35 à 40% du PIB, en hypothèse optimiste) .

« Cette contribution sectorielle relativement faible à la formation du PIB, de 1994 à 2014, s’explique par le fait qu’il n’y a pas de transformation de la structure de la production, qui reste caractérisée par une faible évolution de la productivité du secteur rural, une industrie manufacturière déclinante et des activités tertiaires dominées par le secteur informel » .

A regarder de très près, l’on constate que nos filières sont sous-productives au regard de l’évolution des filières phares comme le coton, le sésame, le riz, etc. Une rapide comparaison dans la sous-région, nous donne une campagne rizicole de 1,1 million de tonnes en 2017-2018 au Sénégal, 2,92 millions de tonnes de riz produit au Mali (2e pays producteur après le Nigéria) dans la même campagne agricole et une prévision de 3,14 millions de tonnes pour la campagne 2018-2019.

Quand on remarque que la seule filière rizicole au Sénégal représente, à elle seule, 27,5% de notre production agricole totale pour la campagne 2017-2018 et 73% pour celle du Mali (avec paradoxalement une faible pluviométrie), l’on est en droit de relativiser notre éphorie actuelle.

Notre agriculture est aussi marquée par plus d’extension des superficies que d’amélioration des rendements. Elle s’enlise chaque année, depuis plusieurs décennies, avec une évolution en dents de scie, avec un pic épisodique, comme cette année, au milieu de plusieurs années de stagnation, voire de baisse.

Et même dans des filières qui connaissent une forte progression ces dernières années comme le sésame (2e produit agricole d’exportation après le coton) et le riz, la production n’arrive pas à vraiment décoller pour réduire la forte dépendance à l’importation (cas du riz) et concurrencer les principaux pays exportateurs africains (cas de sésame et même le coton n’est pas ce qu’il était).

De plus, nos filières agricoles sont faiblement créatrices de valeur ajoutée, comme celle des pays ouest-africains (Mali, Bénin, Sénégal, Côte d’Ivoire, Ghana), qui sont depuis une décennie en pleine amélioration et renforcement de leur tissu agro-industriel, au contraire de notre pays, exportateur de produits agricoles bruts, plutôt que transformés.

Pour parachever le maintien de nos filières agricoles dans la léthargie, il se trouve qu’elles sont trop extraverties financièrement, avec une gouvernance approximative (sauf le coton), une question foncière de plus en plus problématique, une faible maîtrise et de gestion de la pluviométrie et les politiques agricoles développées depuis plusieurs décennies (avec quelques améliorations pendant la période des ORD , de la Révolution d’août et des années 2009-2010) n’ont pas permises une nette amélioration et nos filières agricoles végètent toujours dans un caractère archaïque et rudimentaire (malgré quelques avancées sporadiques et non structurelles).

Au regard donc de l’évolution de notre agriculture, de la situation actuelle et des tendances, et tenant compte, comparativement aux pays ouest-africains, qui, par des actions vigoureuses, sont en train de nous surclasser, et en tentant d’émettre quelques hypothèses, que serait nos filières agricoles dans 10, 20 ans ?

Le premier scénario possible, c’est la poursuite de la tendance actuelle marquée par une stagnation (voir une régression) de la production, et par corollaire, un affaiblissement de sa part contributive dans le PIB, une faible capacité à couvrir les besoins de consommation nationale (quid de l’exportation), à perdre son pouvoir de disponibilisation des produits agricoles sur les marchés et ainsi laissent une part belle aux importations, facteur de perte de devises, de dépendance nocive à la dette extérieure et de découragement de la jeunesse à intégrer ce secteur vital.

Pire, dans le cas où cette hypothèse se réaliserait, le Burkina se retrouverait dans une situation de déficit chronique, d’insécurité alimentaire et nutritionnelle, et serait englouti par les productions des pays limitrophes, d’abord et ensuite ouest-africains (qui connaissent des tendances positives dans leurs filières agricoles respectives), notamment par l’inondation de notre marché national par leurs produits transformés (la tendance se remarque d’ailleurs de nos jours). Et, comme dans l’Etude nationale prospective « Burkina 2025 », nous ne serons pas loin du syndrome du Silmandé, voire de Dougoumato (de la tourmente/impasse à la convulsion/désagrégation), situation à proscrire pour notre cher Faso.

L’autre scénario, optimiste celui-ci, serait que les tendances passées et actuelles dans nos filières agricoles soient inversées et se retrouvent, séparément et dans l’ensemble, leur vitalité et permettent de voir l’avenir avec plus de couleurs et notamment que nous voyions l’Etalon au galop.

Mais cela ne se fera pas par un coup de baguette magique, mais par une analyse froide et introspective des décideurs, une remise en cause de nos pratiques passées et actuelles, une minutieuse proposition d’alternatives, pour espérer entrevoir des perspectives porteuses.

Sans entrer dans des détails ici, il nous semble important et nécessaire, ici et maintenant, d’insuffler une volonté politique, sans précédent, base indispensable pour tirer l’ensemble des parties prenantes dans le bon sens. Et cela passe par plus de pragmatisme dans nos politiques agricoles. Notamment, en matière de gestion et de maîtrise durable de l’eau (et de la pluviométrie), de choix variétal, d’accès au conseil agricole, aux intrants agricoles et de post-récolte (plus respectueux de l’environnement au regard du contexte de changement climatique), un meilleur accès à une finance inclusive, endogène et durable (notre regard se pose donc sur la BADF ).

En plus, ces politiques agricoles doivent créer les conditions favorables d’une agriculture réellement et résolument agro-industrielle (productrice de produits agricoles transformés de qualité et conditionnés pour répondre aux marchés nationaux, sous-régionaux et internationaux de miche), créatrice de valeur ajoutée, et dépasser sa situation actuelle d’agriculture exportatrice de produits agricoles bruts.

L’autre versant des politiques agricoles serait l’autonomisation financière des filières agricoles, à travers l’instauration systématique et structurelle de prélèvements sur les exportations (filières d’exportation) et sur les importations (filières de sécurité alimentaire et nutritionnelle), et qui constituerait un réel financement endogène, au détriment d’une dépendance des financements externes, plus aliénants et qui dégradent la dignité de l’exploitant agricole.

La nécessité de la mise en œuvre d’une fiscalité agricole de premier plan, permettant une réduction drastique des coûts de production, une meilleure valorisation du labeur de l’exploitant agricole, alliée à plus grande et holistique fourniture d’énergie, encore plus verte que fossile, actuellement. De plus, la question foncière devrait être un des socles sur lequel devrait s’appuyer chaque paysan pour pérenniser son exploitation agricole, de par l’assurance et la sécurité que cela lui donnerait.

Aussi, ces mesures doivent être suivies d’autres sur le plan de l’éducation et de la sensibilisation des décideurs et de la population à un changement radical des habitudes de consommation et d’achat (trop tournées vers l’émerveillement par les produits importés), en commençant par des « impositions » (lois, décrets d’application, contrôle des pratiques, etc.) aux structures publiques (cantines scolaires, maisons d’arrêt, forces armées et de sécurité, cérémonies publiques, dons, etc.) et aux privés (commerçants, mines, etc.), par des quota de commercialisation et d’achat des produits locaux bruts et/ou transformés.

Cela nous remettrait dans la vraie réalité du « consommons ce que nous produisons et produisons ce que nous consommons ». Enfin, nous devons réellement repenser nos statistiques agricoles, car sans des bases de données dynamiques et fiables, nous serons toujours handicapés pour poser de bonnes politiques agricoles.

Par ailleurs, la question de la prise en main de nos filières par les acteurs eux-mêmes et de la gouvernance des filières passe par une meilleure organisation et structuration des filières, à l’image de celle du coton, et de leur régulation et pilotage, à travers les interprofessions. Cela est vital et durable, car tout ce qui est endogène et inclusif est une base inévitable de réel développement durable.

Ces quelques alternatives, sans être exhaustifs ni une panacée, seraient propres à créer des conditions d’une agriculture de demain et permettraient de ne pas répéter les erreurs et errements, d’antan et d’aujourd’hui, comme dans le secteur minier devenu presqu’une soupe de la poule aux œufs d’or. Et serait déjà une alternative crédible, pour ne pas, demain, se morfondre, dans la situation du syndrome de Dougoumato, mais dans celle où le Burkina rayonne, à l’exemple de l’Etalon au galop.

N. Ousmane S. OUEDRAOGO
Consultant
o_ousmane@hotmail.com
23 décembre 2018

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Vos commentaires

  • Le 24 décembre 2018 à 13:45, par Alexio En réponse à : Sortir nos filières agricoles de la léthargie : De la prospective à l’alternative

    Une bonne lecture de ce tableau bien brode par l auteur med vient en conclusion d affirmer que notre politique agricole er encore victime de tatonnement politique depuis notre independance a nos jours.

    C est une question organisationnelle, et volonte politique. Pourquoi la es aujourdhui le concurrent le plus meritte des Etats-unis ?

    - La maintenance et l entretien de sa culture dans tous les domaines de la vie de la cite sur la meme direction avec une tenacite de disipline. Deng Siao Ping apres sa rencontre avec Nixon dans les annees 70 avait renverser la donne.

    La transition de la Chine au capitalisme controllee par l Etat fut resultat et les fruits qu elle recolte aujourdhui. En prenant en compte les memes methodes du capitalisme dans ses productions modernes de ses industries.

    Bien evidemment avec l introduction d une formation scolaire adaptee ah besoin de ses ambitions.

    Sankara avait les memes idees.

  • Le 24 décembre 2018 à 16:37, par Negblanc En réponse à : Sortir nos filières agricoles de la léthargie : De la prospective à l’alternative

    À l’entrée du musée de l’agriculture et de l’alimentation de New Delhi il est écrit ceci : « thinking can wait not food « by Neru. Chez nous we only keep thinking, et de preference par des « experts » Venus d’ailleurs !

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