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Pouvoirs africains : Grandeurs et misères des dauphins

Publié le lundi 18 juillet 2005 à 00h00min

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En Afrique, comme partout ailleurs, dans le souci de la continuité, de combler un vide institutionnel et aussi d’assurer certainement leurs arrières (parce qu’on ne sait jamais de quoi demain sera fait) en cas de vacance du pouvoir, des mécanismes institutionnels de succession ont été mis en place. Ces mécanismes peuvent être formels. Il s’agit de ceux prévus par la Constitution.

Il y a ensuite les mécanismes informels, non écrits, qui relèvent exclusivement du pouvoir discrétionnaire des chefs d’Etat et qui se traduisent par la désignation de dauphins. En plus donc des héritiers constitutionnels, officiellement reconnus, certains chefs d’Etat enrichissent leur écurie par le choix d’un hériter présomptif ou d’un successeur testamentaire à la tête de l’Etat.

Homme de confiance, ce dernier doit en retour, jurer au chef de l’Etat, sa fidélité et sa dévotion sans faille s’il ne veut pas courir le risque d’être désavoué publiquement et jeté en pâture à ses ennemis dans l’entourage ou hors du sérail présidentiel où il est à la fois craint et haï. Sans être une exclusivité africaine, il faut admettre qu’à la lumière du feuilleton des rapports désormais exécrables entre Abdoulaye Wade et son ex-Premier ministre, Idrissa Seck, et dont on ne sait à quand le dernier épisode, l’on mesure les grandeurs, les misères et les déconvenues liées à cette fonction.

Pour le citoyen lambda, spectateur lointain des coups bas, des combats de clans, des guerres de succession dont les palais présidentiels servent de décors, quoi de plus enviable et de plus noble que d’être le dépositaire , l’ange gardien de la volonté du président ? L’opinion publique sénégalaise en voit aujourd’hui le revers de la médaille. Idrissa Seck avale aujourd’hui les patates chaudes de la colère présidentielle.

Il est aujourd’hui non seulement en disgrâce et pire, il est poursuivi en justice. Il est actuellement en garde à vue. En dépit des multiples interventions de personnalités politiques et religieuses très influentes en faveur du maire de Thiès, Abdoulaye Wade, intraitable, a mis à ses trousses la justice en l’accusant, à moins que le contraire ne soit prouvé, d’avoir provoqué un dépassement (40 milliards de F CFA au lieu de 25 milliards) des fonds destinés à des chantiers, précisément à Thiès.

En tout cas, Abdoulaye Wade ne démord pas. Il veut que la justice aille jusqu’au bout et ajoute que "si Idrissa Seck apporte la preuve qu’il est blanc comme neige, que l’argent a été utilisé pour ce à quoi il était destiné, la justice elle-même le blanchira". On peut se demander si, derrière ce bras de fer à forte odeur d’argent, ne se cachent pas des règlements de comptes politiques.

En effet, Idrissa Seck semble avoir mal digéré son limogeage de la primature. Une mise à l’écart qui semble venue mettre un terme à ses ambitieux rêves de présidentiable. Il y a des signes qui ne trompent pas. S’il est vrai qu’il s’était juré de ne jamais se présenter à une élection présidentielle à laquelle le président Wade serait candidat, il n’hésitait pas, en filigrane, à conseiller au président de prendre sa retraite politique. De quoi agacer son maître qui n’entendait pas qu’on l’enterre si vite politiquement. Qui sait ?

Même si au Sénégal, une éventuelle opération de tripatouillage de la Constitution semble difficilement envisageable, Abdoulaye Wade n’a pas supporté que son collaborateur le plus direct, "son fils spirituel" et celui pour lequel il avait tracé le boulevard de sa succession, soit si pressé de livrer le combat sans l’ordre de bataille que devrait donner le capitaine. De quoi réveiller les rancunes de l’opposant historique arrivé au pouvoir à force d’abnégation. Abdoulaye Wade a-t-il remercié provisoirement Idrissa Seck, le temps qu’il reprenne ses esprits ou l’a-t-il disgrâcié définitivement ?

En tous les cas, cette période de cure et cette traversée du désert apparaissaient bien longues pour l’ancien Premier ministre qui avait gardé une grande influence au sein du parti du président. On l’accuse d’être à l’origine de la scission au sein du groupe parlementaire libéral majoritaire à l’Assemblée , qui a abouti fin avril, à la création d’un nouveau groupe baptisé FAL (Forces de l’alternance) par une dizaine de députés considérés comme proches d’Idrissa Seck, quand bien même , le FAL, depuis, est rentré dans le rang et a rejoint le groupe libéral.

Mais, l’homme qui ne veut pas se laisser abattre, a indiqué qu’il conduirait une liste aux prochaines législatives. Une rébellion de plus qui ne peut que raidir davantage Wade, décidé à en découdre avec son encombrant et ancien collaborateur. Ce qui se déroule actuellement au Sénégal n’est pas un cas isolé.

C’est l’illustration parfaite d’une fonction qui comporte ses plaisirs supposés ou vrais, mais également ses revers. Souvent tributaires de la seule volonté d’un homme, ces responsables sans statut défini dont la fonction n’est pas élective, lorsqu’ils prennent goût au pouvoir, se transforment parfois en intrigants et en requins prêts à précipiter le crépuscule d’un pouvoir sur lequel ils sont assis.

Dans ce combat souterrain , lorsque le chef se rend compte de "l’ingratitude", sa réaction est immédiate et sans appel. En Tunisie, le tout-puissant et très écouté ministre de l’Economie, Ben Salah, avait subi les dures lois du goulag tunisien, accusé par Bourguiba de l’avoir trahi en voulant instaurer un régime socialiste sans le faire visionner par le "Combattant Suprême".

En Afrique du Sud, Thabo M’Beki vient de se séparer de son vice-président, Jacob Zuma, son successeur constitutionnel. C’est vrai que ce dernier vient d’être rattrapé par la justice pour corruption. Ailleurs, on a assisté à des successions mal ficelées comme ce fut le cas au Togo, et qui ont abouti à une crise sans précédent dans ce pays.

Tout se passe comme si le choix d’un dauphin était une obligation pour tous ces chefs d’Etat qui ne se rendent pas toujours compte qu’ils fabriquent des couteaux à double tranchant qui se retournent souvent contre eux et dont ils mesurent les gaffes tardivement.

Ce fut le cas du Cameroun où Amadou Ahidjo, se sentant trahi par son dauphin Paul Biya, avait manifesté des velléités de retour au pouvoir. En Zambie, l’ex-président Kenneth Kwanda, qui espérait une retraite tranquille avec celui qu’il avait préparé à sa succession, a eu maille à partir avec ce dernier.

La liste n’est pas exhaustive et montre la complexité d’une fonction dont l’exercice est parfois périlleux. Même dans les grandes démocraties occidentales, le problème existe, à la seule différence que le choix du dauphin ne dépend pas forcément de la volonté du chef de l’Etat, mais du poids de l’intéressé dans l’échiquier politique. Nicolas Sarkozy en est un exemple concret.

Le Pays

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