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Les pratiques d’hygiène au Burkina Faso : Une analyse sociologique

Publié le mardi 22 mai 2018 à 12h08min

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Les pratiques d’hygiène au Burkina Faso : Une analyse sociologique

La population au Burkina Faso marque une différence dans la pratique entre l’hygiène corporelle, celle des mains et l’hygiène domestique. Une enquête réalisée en 2017 par l’Institut des Sciences des Sociétés pour le compte de l’association 100 000 Vies au Burkina Faso sur la problématique des pratiques d’hygiène dans les ménages, montre en effet, que si les familles dans leur globalité mettent l’accent sur l’hygiène corporelle, il en est tout autre pour l’hygiène des mains avant les repas ou après l’usage des toilettes, et l’assainissement domestique. Cet article a pour objet de montrer les différences de perception en matière d’hygiène, dans un contexte environnemental très précaire.

Contexte

Les maladies liées à l’insuffisance d’hygiène corporelle, vestimentaire ou environnementale sont nombreuses et souvent mortelles au Burkina Faso. La sécheresse qui sévit de longs mois et les vents secs d’harmattan apportent de nombreux désagréments en matière de santé. Le pays est pauvre et beaucoup de familles ont du mal à accéder aux quantités d’eau nécessaires pour leurs soins corporels, leur boisson, leur alimentation et l’agriculture.

La problématique des pratiques et habitudes d’hygiène des populations en général a fait l’objet d’une recherche socio-anthropologique en vue de comprendre les usages et les représentations liées à l’hygiène dans le contexte burkinabé. L’association 100 000 vies qui conduit le projet Faso soap s’est penchée sur la question d’hygiène dans le cadre d’une recherche sur la propagation du paludisme et la lutte contre le vecteur au Burkina Faso. Cet article a pour objectif de montrer les différences faites par les individus dans les pratiques d’hygiène en lien avec les maladies, dans un contexte climatologique endurant.

Une large littérature (Arcens, 1996, 1997 ; UNICEF, 2012 ; Dos Santos, 2016 ; WASH plus, 2016) montre que l’hygiène corporelle, vestimentaire et environnementale est assurée au sein des familles, mais de façon inégale. Les perceptions des individus quant à l’hygiène est diverse. Dans tous les cas, les mauvaises pratiques d’hygiène au sein des familles sont étroitement liées aux contraintes environnementales du pays.

Méthodes et outils

L’étude a été réalisée du 30 juin au 9 juillet 2017 sur un échantillon de 1000 ménages, dont 610 dans la région du Centre et 390 ménages dans la région du Houet. 70% des familles enquêtées résident en milieu rural au moment de l’enquête.

La collecte des données s’est déroulée en langues nationales (dioula et mooré) avec un questionnaire, un guide d’entretien et des focus groupes. La photographie et la carte géographique ont été utilisées pour l’identification des pratiques de vie et des lieux de collecte des données. L’approche a été de mener les enquêtes au sein de ménages ayant au moins un enfant de moins de 5 ans et au moins une femme enceinte.

Résultats

Qui sont les personnes enquêtées ?

Afin de mieux comprendre la réalité des résultats, il est nécessaire de présenter l’échantillon d’enquête et les activités lucratives et professionnelles des individus concernés. La catégorie socio-économique des agriculteurs et éleveurs constitue la part la plus importante de l’échantillon avec une proportion de 37%. Les activités du secteur informel représentent 35% et les sans-emploi, 17%. Les fonctionnaires et les travailleurs du secteur privé formel représentent à proportion égale 5% de l’échantillon.
52% des enquêtés résident dans des habitats construits en banco et 29% disposent d’un habitat construit à base de matériaux de synthèse, en banco et en ciment.

Les pratiques d’hygiène en milieu rural et semi rural

Dans la région du Houet, en milieu rural ou semi rural, les familles vivent en grande communauté, ce qui a été une contrainte pour dénombrer les membres d’une même cellule familiale. En milieu rural, les travaux champêtres et les marchés rythment la vie de la population.

Dans le village de Bama les familles autochtones qui sont de l’ethnie bobo sont quasiment absentes des concessions dès l’arrivée des pluies et l’explication a été donnée par un monsieur d’âge avancé :
« Dans notre quartier la majorité des familles dorment dans leurs champs en saison des pluies pour être plus proche des champs situés à 10 ou 15 km du village ».
Loin de la maison et de ses commodités, occupés par le quotidien des activités champêtres, les règles d’hygiène passent au second plan et sont parfois oubliées. De plus il n’est pas certain de trouver l’eau nécessaire pour l’hygiène corporelle et vestimentaire en pleine brousse. Cependant, à la question de savoir combien de douches sont prises dans la journée, une partie de l’échantillon adulte affirme prendre une douche le soir avant le coucher.

La population a conscience de l’importance de l’hygiène dans la conservation de la santé. Les marques de savon les plus utilisés dans cette zone de l’ouest du Burkina Faso sont le Citec et le Cabacourou , autant pour la douche que la lessive. La durabilité du savon Cabacourou justifie un recours massif de la population à son utilisation pour la toilette, la lessive et la vaisselle de toute la famille. Les difficultés financières ont été évoquées dans de nombreux cas pour justifier l’usage multiple du savon Cabacourou.

La responsabilité de l’assainissement de l’environnement familial est dévolue aux femmes, aux enfants et aux domestiques. La femme reste dans les perceptions populaires la garante de la famille et de l’environnement familial. Cependant, l’hygiène individuelle et publique n’est pas une pratique ancrée dans la mentalité de la population, autant en milieu urbain que rural. 87% des familles de l’échantillon d’enquête s’approvisionnent en eau dans un puits (25%), un forage (30%) où une borne fontaine (32%). L’accès à l’eau potable à domicile est un fait rare, ce qui ne contribue pas à faciliter l’adoption de bonnes pratiques d’hygiène.

Pratiques d’hygiène dans les centres urbains

En milieu urbain, suivant le niveau de vie socio-économique et la localité de résidence, le savon de douche n’est pas le même que celui de la lessive. La zone de résidence détermine le choix de la marque de savon de toilette. Les personnes enquêtées en milieu urbain ont un choix varié de produits de consommation et ont les capacités économiques leur permettant de diversifier leurs produits. Les résultats montrent que les deux variables que sont la « zone de résidence » et le « type de savon utilisé » sont très liées.

Aussi, il s’avère que l’utilisation du savon n’est pas systématique dans les familles urbaines. Le lavage des mains n’est pas une pratique courante. Par contre, les individus prennent leur douche le matin avant d’aller travailler et le soir avant de se coucher. Les vêtements ne sont pas souvent lavés et ils sont nombreux à porter les mêmes vêtements plusieurs jours d’affilée. De même, il est fréquent autant chez les adultes que chez les plus jeunes, de prendre son repas à la main sans l’avoir lavé auparavant.

Le niveau d’instruction scolaire et le milieu de résidence sont des variables essentielles dans l’observance de l’hygiène corporelle, les pratiques d’hygiène étant en relation avec la disponibilité de l’eau. Les enquêtés dans leur majorité, ont le plus recours à une douche externe (89,1%). La douche et les toilettes sont généralement construites dans la cour de la concession. Ce type d’habitation est fréquent en milieu rural et périurbain. En milieu urbain, des cités d’habitations sont de plus en plus mises à la disposition des catégories moyennes et aisées de la population, avec des toilettes et douches internes et externes.

Les conditions pour assurer une hygiène individuelle et familiale

L’accès à l’eau est la condition principale pour la préservation de l’hygiène familiale. Viennent ensuite les autres éléments qui sont les infrastructures et équipements tels que l’installation des toilettes et latrines, des douches et W-C. Ces équipements sont nécessaires, voire indispensables pour obtenir un changement de comportements lié à l’hygiène et indique que la famille fait partie du standing moyen à élevé, selon les choix des installations dans la concession. Aussi sont intégrés dans le changement de comportement et les pratiques quotidiennes, le nettoyage de la maison et les équipements qui sont mis à disposition pour l’activité : poubelle et abonnement à un service d’évacuation des ordures, système de tout à l’égout ou de puits perdu pour l’évacuation des déchets liquides.

Le contexte du Burkina Faso est marqué particulièrement par les pesanteurs socio culturelles qui sont ressenties sur les pratiques quotidiennes selon le genre, et les croyances. Dans la représentation collective, ce sont surtout les femmes qui doivent s’occuper des travaux domestiques. Les rôles de l’homme et de la femme dans le ménage sont préétablis.

Mais avec l’urbanisation croissante et le nombre évoluant de femmes instruites, certains changements sont acceptés au sein des familles, notamment dans les jeunes couples. De plus en plus de femmes mènent des activités hors de la concession et recourent à des aides familiales pour réaliser les tâches ménagères, à défaut de se faire épauler par leur conjoint. Ce sont généralement des jeunes filles voire des petites filles qui sont recrutées pour s’occuper des tâches ménagères.

Conclusion

L’objet de cet article est de montrer le lien très étroit entre l’hygiène corporelle, vestimentaire et environnementale, dans la préservation de la santé des membres de la famille. Nous avons constaté au cours de l’enquête que les pratiques étaient différentes selon que l’individu traitait l’hygiène, du corps, ou de l’environnement. Le lavage des mains si important pour se préserver de certaines maladies diarrhéiques notamment, n’est pas ou très peu assuré autant par les adultes que par les enfants.

Pourtant, la majorité des personnes enquêtées font bien le lien entre maladie, mauvaise santé et faibles pratiques d’hygiène. Les formations de membres d’associations sont courantes en milieu semi rural et rural par les ONG et l’Etat. Le changement de comportement est relativement lent et advient par effets d’imitation de la classe moyenne et aisée ou des voisins (Ghana, Bénin, Togo, côte d’ivoire), pour les personnes résidents aux frontières du pays. Nous constatons que le savon le plus utilisé dans l’ensemble du pays provient de la Côte d’ivoire.

Marie-Thérèse Arcens Somé,
chargé de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés, Ouagadougou

Bibliographie

-  Marie-Thérèse Arcens, Le projet pilote de Wogodogo ; une initiative locale de gestion des déchets solides ; in « Les initiatives locales de développement en milieu urbain ouest africain ». Rapport des études de cas réalisés dans le cadre du programme ILMU/LIFE du PNUD. Dakar, mai 1996.

-  Marie-Thérèse Arcens, 1997, La participation de la communauté à la gestion des déchets solides au Burkina Faso. Collecte des ordures ménagères à Ouagadougou. ENDA/WASTE co-publication.

-  Marie-Thérèse Arcens, Participation communautaire dans les projets d’eau potable et d’assainissement en milieu urbain. InfoCREPA n° 17, juil-août-sept 1997.

-  Stéphanie Dos Santos, (2016) Accès à l’eau et enjeux socio-sanitaires à Ouagadougou – Burkina Faso, Espace populations sociétés[En ligne], 2006/2-3 | 2006, mis en ligne le 15 novembre, consulté le 26 septembre 2017. URL : http://eps.revues.org/1519 ; DOI : 10.4000/eps.1519

-  WASH plus, (2016) « Enquête de base sur l’eau, l’hygiène, l’assainissement, et les maladies tropicales négligées y associées district de Manni et de Bogandé dans la province de la Gnangnan Burkina Faso », USAID.

-  UNICEF, (2012), « Etude sur les Connaissances, Attitudes et Pratiques (CAP) concernant les six pratiques familiales essentielles (PFE) au Burkina Faso », Sud Consult, rapport final, 192 p.

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Vos commentaires

  • Le 23 mai 2018 à 15:31, par Sraza En réponse à : Les pratiques d’hygiène au Burkina Faso : Une analyse sociologique

    Merci pour la qualité de la réflexion qui rappelle encore aux populations et aux gouvernants particulièrement la place de l’hygiène dans le bien être de l’Homme ; l’accès à l’eau et la sensibilisation à l’hygiène restent des défis à surmonter pour quitter la précarité endémique.

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