LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Si tu ne changes pas de place, tu ne peux pas savoir quel endroit est agréable.” Proverbe sénégalais

Meurtres et exactions dans le conflit au nord du Burkina : Human Rights Watch renvoie forces de défense et terroristes dos à dos

Publié le lundi 21 mai 2018 à 23h32min

PARTAGER :                          
Meurtres et exactions dans le conflit au nord du Burkina : Human Rights Watch renvoie forces de défense et terroristes dos à dos

« Le jour, nous avons peur de l’armée, et la nuit des djihadistes », c’est le titre du dernier rapport, en date du 21 mai 2018, de Human Rights Watch qui porte sur les conséquences des attaques terroristes et des répliques des forces de sécurité dans le nord du Burkina. Un document qui ne manquera pas de faire polémique et auquel on attend la réaction du gouvernement dans les jours à venir.

Le rapport de 67 pages, selon un communiqué de l’ONG, documente les meurtres et le harcèlement de villageois dans la région du Sahel. Des villageois pris au piège entre les islamistes qui menaçaient d’exécuter ceux qui collaboraient avec le gouvernement, et les forces de sécurité qui exigeaient des renseignements sur la présence de groupes armés, et qui punissaient collectivement ceux qui ne fournissaient pas de telles informations.

Le document examine également les violentes attaques commises par des groupes armés islamistes à Ouagadougou en 2016 et 2017, et documente les abus liés à la détention de suspects par les forces de sécurité.

« L’insécurité croissante au Burkina Faso a conduit à des crimes terribles commis tant par des groupes armés islamistes que par des membres des forces de sécurité de l’Etat » , a déclaré Corinne Dufka, directrice pour la région du Sahel au sein de Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait donner suite à son engagement important d’enquêter sur les allégations d’abus commis par les forces de l’État, et les groupes armés islamistes devraient cesser d’attaquer et de menacer les civils. »

Toujours dans son communiqué de presse de présentation du rapport, Human Rights Watch souligne qu’en février et mars 2018, elle a mené 67 entretiens, auprès de victimes et de témoins ; d’agents des ministères de la Justice, de l’Éducation et de la Défense ; d’enseignants, de personnels de santé et de membres des gouvernements locaux ; de diplomates, d’activistes de la société civile et de travailleurs humanitaires ; d’analystes de la sécurité ; et de chefs religieux et communautaires. Les abus documentés ont eu lieu dans la région administrative du Sahel, et à Ouagadougou, entre 2016 et début 2018.

L’ONG a ainsi documenté les meurtres présumés s’apparentant à des exécutions de 19 hommes de 12 villages, perpétrés par des groupes islamistes armés. Les islamistes ont accusé les victimes, notamment les chefs de village et les autorités locales, de fournir des informations aux forces de sécurité.

Un témoin a déclaré que des islamistes armés avaient emmené deux hommes âgés près de Djibo en février. Ils ont été retrouvés plusieurs jours plus tard avec la gorge tranchée.Un autre témoin a décrit le meurtre commis en avril 2018 du maire de la commune de Koutougou, qui a été ensuite revendiqué par l’État islamique. Un témoin tenaillé par la peur a expliqué qu’il « était pourchassé » par les islamistes armés, qui avaient tué plusieurs de ses proches. « J’ai entendu des motos, alors qu’elles sont interdites la nuit. J’ai donc su que c’étaient eux » , a-t-il ajouté. « J’ai entendu des coups de feu et plus tard j’ai vu les gens qu’ils avaient tués. »

Les enseignants ont décrit les menaces et les attaques contre les écoles et les enseignants, notamment l’enlèvement d’un enseignant et le meurtre d’un directeur d’école. « Le message est clair » , a déclaré un enseignant. « ‘Ne faites pas cours en français ; si vous insistez, nous vous tuerons.’ » Les menaces ont entraîné la fermeture de plus de 200 écoles et la déscolarisation de 20 000 élèves.
Des témoins ont également impliqué des membres des forces de sécurité du Burkina Faso dans au moins 14 exécutions sommaires présumées, et ont déclaré que quatre autres hommes sont morts de sévères mauvais traitements présumés en détention. Les forces impliquées comprennent des militaires, des gendarmes et, dans une moindre mesure, des membres de la police.

De nombreux témoins ont décrit avoir vu des corps – ayant souvent les yeux bandés et les mains liées – le long des routes et des sentiers dans le nord du Burkina Faso. La majorité des victimes ont été vues pour la dernière fois sous la garde des forces de sécurité gouvernementales.

Parmi d’autres cas, huit hommes, dont deux frères, ont été arrêtés par l’armée lors d’une opération à la fin du mois de décembre 2017 et ont été abattus le lendemain. En septembre 2017, des gendarmes basés à Djibo ont convoqué un responsable du gouvernement local. Son corps a été retrouvé le lendemain. En mars 2018, des militaires ont arrêté un commerçant local au marché de Nassoumbou. « Nous avons entendu des coups de feu et nous avons retrouvé son corps le lendemain … il gisait face contre terre, les yeux bandés » , a expliqué un témoin.

Les groupes armés islamistes et les forces gouvernementales devraient mettre fin aux abus et aux menaces contre les civils et les détenus, selon Human Rights Watch. Le gouvernement devrait ouvrir des enquêtes et mener des poursuites à l’encontre des membres des forces de sécurité impliqués dans de graves violations des droits humains. En outre, les partenaires internationaux du Burkina Faso devraient demander au gouvernement, publiquement et en privé, de mener rapidement des enquêtes crédibles.

Le 9 mai, Human Rights Watch a adressé au gouvernement burkinabè une lettre détaillant les principales conclusions et recommandations du rapport. Le 15 mai, le ministre de la Défense, Jean-Claude Bouda, a répondu dans une lettre indiquant l’attachement de son gouvernement au respect des droits humains et il a assuré qu’il mettrait en œuvre les principales recommandations de Human Rights Watch.
« [Le gouvernement] s’engage à diligenter des enquêtes sur tous les cas d’exactions cités qui n’avaient pas auparavant été portés à sa connaissance » , indiquait sa lettre. Le ministre notait que le gouvernement a connaissance de certaines allégations d’exactions contre les civils commises lors d’opérations antiterroristes en cours dans le nord du Burkina Faso, et que ces allégations ont donné lieu à des « mesures immédiates » .

Les engagements du gouvernement sont encourageants, et les autorités devraient y donne suite fidèlement de manière complète et transparente, selon Human Rights Watch.

« La logique consistant à tuer et à maltraiter des suspects au nom de la sécurité ne ferait qu’alimenter et approfondir l’insécurité au Burkina Faso, » a conclu Corinne Dufka. « Le gouvernement burkinabè devrait tenir sa promesse d’enquêter sur les allégations d’abus et prendre des mesures concrètes pour empêcher d’autres violations. »

En plus de la lettre du ministre de la défense, le gouvernement burkinabè devrait réagir plus en détails à ce rapport à travers les ministères interpellés, ceux de la défense, de la sécurité et de l’administration territoriale.

Lefaso.net

PARTAGER :                              

Vos réactions (26)

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Les échos du front du 09 février 2025