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Député Tahirou Barry, ancien ministre : « Aujourd’hui, le président du Faso n’est plus en crise d’inspiration ; il est maintenant totalement en panne ! »

Publié le vendredi 23 mars 2018 à 14h00min

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Député Tahirou Barry, ancien ministre : « Aujourd’hui, le président du Faso n’est plus en crise d’inspiration ; il est maintenant totalement en panne ! »

Après sa démission fracassante du gouvernement le 26 octobre 2017, Tahirou Barry a repris son siège de député à l’Assemblée nationale le 19 décembre 2017. Celui qui avait quitté le navire gouvernemental en dénonçant l’incompétence d’un capitaine déboussolé réagissant en vieux cow-boy fatigué, persiste et signe dans ses analyses. Lefaso.net l’a rencontré pour parler de la crise au sein de son parti le PAREN, l’état de la nation et son avenir politique.

Lefaso.net : Cinq mois après, et avec le recul, auriez-vous quitté le navire gouvernemental, si c’était à refaire ?

Tahirou Barry : Avec recul, je devrais plutôt quitter le navire avec plus de vitesse. Au lieu de marcher, j’allais courir. Au lieu de 22 mois, j’allais peut être faire 11 mois.
Aujourd’hui, le président du Faso n’est plus en crise d’inspiration. Il est maintenant totalement en panne. Il vacille devant ses responsabilités avec une conduite improvisée des affaires de l’Etat alors qu’une nation n’est forte que lorsque sa construction se fonde sur une grande vision, une vision intergénérationnelle.
En outre, notre capitaine ne semble pas encore avoir pris toute la mesure de la fonction présidentielle en peinant à redonner confiance et espoir au peuple. Le sort des populations est passé de l’état de stress à celui de détresse. « Rock la solution » est devenue « Rock la dissolution des espoirs ! »

Lefaso.net : N’avez-vous pas le sentiment, aujourd’hui, d’avoir été sévère et jeté en pâture vos collègues du gouvernement ?

Tahirou Barry : Je pense avoir dit ce qui m’apparait comme une vérité en toute âme et conscience. Le mal de notre patrie est profond parce que les gouvernants ont toujours voulu cacher la vérité au peuple qui à force d’espérer sans rien voir venir se laisse progressivement rongé par le désespoir, la lassitude, l’incivisme, la colère etc. Si j’ai heurté dans ma démarche la sensibilité de certains ministres, je leur demande pardon car mon intention n’a jamais été de nuire à quiconque.

Lefaso.net : La crise au PAREN n’a-t-il pas été l’élément déclencheur de votre départ du gouvernement, quand on sait que le département de la culture est un portefeuille attribué au parti ?

Tahirou Barry : Je comprends ceux qui pensent ainsi mais si la situation au PAREN devrait déclencher mon départ, c’est depuis la période d’août 2016 où j’ai reçu publiquement au dos les premières flèches du frère Laurent BADO. Ces attaques se sont poursuivies mais je suis resté dans le gouvernement après le remaniement de février 2017 jusqu’en octobre 2017. Je savais tout ce qui se tramait autour de moi mais ce qui importait pour moi, ce n’est pas ce qui stoppera ma présence au gouvernement mais plutôt ce qu’on retiendra de moi après mon passage. Et cela devrait être la philosophie de celui qui veut réussir.

Le président Sankara savait que quelqu’un pourrait bien mettre fin à sa mission, mais comme il l’a dit, ce qu’il souhaitait qu’on retienne de lui, était l’image d’un homme qui a mené une vie utile pour tous. Considérant que je dois rendre compte de mon bilan quel que soit le temps de ma fonction, je me suis investi avec toute mon énergie dans ma mission ministérielle. Quand je termine la journée, la nuit au coucher, je me demande ce que j’ai manqué de faire dans l’ordre de mes devoirs et au réveil ce que je dois faire pour changer et faire avancer quelque chose dans mon secteur. J’avais à peine 3 à 4 heures de sommeil par jour et mes jours de repos officiels des week-ends et jour fériés étaient plutôt des jours d’intenses activités.
Je suis donc parti avec la conscience du devoir accompli même si on note quelques insuffisances et d’immenses chantiers toujours inachevés.

Lefaso.net : Que peut-on alors retenir de votre bilan au ministère ?

Tahirou Barry : A chaud, il y a la mise en œuvre de la stratégie de valorisation des arts dans le système éducatif, l’opérationnalisation du fonds de développement culturel et touristique, du statut de l’artiste, la réforme de la SNC, l’adoption de la loi des 1% de décoration artistique, la promotion et valorisation des créations et créateurs culturels et touristiques à travers les trésors du Faso, les monuments des villes, les aménagements touristiques et culturels tels que la mosquée de Dioulasso-ba ,le palais de Fada, le cimetière des rois de Ouahigouya, le musée de Gaoua, le lancement des opérations de promotion de la destination du pays à travers le projet « Connais-tu ton beau pays ? », les appuis multiples aux initiatives culturelles et touristiques, la réhabilitation des infrastructures culturelles comme le CENASA, l’INAFAC, la réhabilitation des salles de ciné, le lancement des ensembles artistiques, la détection et la production de 50 talents modernes d’inspiration traditionnelle, l’organisation d’événements comme le FESPACO, le SITHO, LAONGO et la SNC sous de nouvelles auspices etc.

Lefaso.net : 21 mois d’observation, vous auriez pu poursuivre à observer également tout en apportant vos critiques au sein du gouvernement. Pourquoi la démission à un moment où le remaniement était de plus en plus imminent ?

Tahirou Barry : Le calendrier du Président du Faso n’est pas le mien. Aussi, rester et observer dans le gouvernement tout en apportant mes critiques reviendrait à boire la soupe de chien tout en maudissant sa viande.

Lefaso.net : Pouvez-vous nous donner quelques actes qui vous ont exceptionnellement marqué durant votre passage au gouvernement et qui vous ont convaincu que le régime file du mauvais coton ?

Tahirou Barry : Au-delà des actes, j’ai noté la culture manifeste du « talent incroyable » . C’est quel genre de gouvernance où on présente une intention de financement comme une richesse acquise ? Où on fête les lancements de construction de route sans savoir s’ils iront à leur terme avec un résultat de qualité ? Où on comptabilise un prêt de 200 000 ou 300 000 F comme un emploi décent et durable créé ? Où on crée des structures hautes pour récompenser des amis sans que notre pays n’atteigne aucune hauteur ? Notre pays a un talent incroyable !

Lefaso.net : Quelle était l’ambiance lors des Conseils des ministres, y-avait-il vraiment un esprit de collégialité ?

TB : L’ambiance était cordiale et les débats francs même si après on s’excuse dans les coulisses pour certains propos jugés excessifs.

Lefaso.net :Votre démission de cette façon n’a-t-elle pas effrité les relations entre vous et vos anciens collègues du gouvernement ?

Tahirou Barry : Non, je ne pense pas. Je suis en contact avec certains et je rencontre d’autres régulièrement à l’Assemblée Nationale où lors de certaines cérémonies. On se taquine et la vie continue.

Lefaso.net : Des audiences avec le président du Faso seraient monnayés par certains de ses conseillers. Il en serait de même au sein de certains ministères... Fort de votre qualité d’ancien membre du gouvernement, est-ce des révélations qui vous surprennent ?

Tahirou Barry : Je reste très surpris surtout quand je connais le sérieux de ceux qui s’occupent des audiences du président. Je pense que sans preuve ou investigation approfondie, il faut éviter de jeter le discrédit sur le staff de la présidence car cela n’honore pas notre pays.

Lefaso.net : Pourquoi n’avez-vous pas pris le soin d’annoncer votre démission à la direction politique de votre parti (PAREN) et à votre hiérarchie au niveau du gouvernement ?

Tahirou Barry : J’ai juste consulté quelques cadres de mon parti la veille et transmis ma démission à titre personnel au secrétariat du premier ministre le 26 octobre vers 12h30. J’ai rencontré le frère Laurent BADO le 24 octobre chez lui à domicile pour m’enquérir de son état de santé mais son état de convalescence après son retour d’une évacuation extérieure ne me permettait pas d’aborder ce sujet avec lui. J’avais auparavant le 22 juin vainement essayé de discuter avec le premier ministre sur la situation nationale. Quant au président, ma demande d’audience d’urgence avec lui le 13 septembre est restée sans suite.

Lefaso.net : Tahirou Barry, toujours militant du PAREN ?

Tahirou Barry : Au PAREN, je suis l’une des pierres de l’édifice qu’on cherche par des chemins tortueux à écraser. Un édifice en pleine décrépitude dans les années 2010 que nous avons activement contribué, avec des jeunes courageux, à réhabiliter dans la douleur, la sueur, le sacrifice personnel, matériel et financier, le risque, sous le soleil, la poussière, le vent, et la pluie au moment où ceux dits ainés ou anciens se cachaient.
Figurez vous qu’en juin 2010 quand je prenais la tête du PAREN, la caisse du parti avait moins de 15 000 FCFA. Dieu seul sait les efforts que nous avons consentis pour redonner une vie à un parti essoufflé et affaibli par le scandale des 30 millions. Beaucoup m’avaient averti sur le risque que je prenais avec à mes cotés le frère Laurent BADO.D’autres m’ont lâché à cause des réactions souvent insupportables du professeur mais mes convictions et ma détermination étaient telles que je n’entendais absolument rien.
C’est en août dernier que j’ai appris par voix de presse mon exclusion du parti à travers une instance illégale et validée par le ministère de l’administration territoriale. J’en prends acte et attends toujours la notification de l’acte à toutes fins utiles.

J’avoue que cela m’attriste fort non pas du fait de cette prétendue exclusion mais plutôt pour le signal qu’on donne à ceux qui croient toujours aux vertus de la démocratie. Je crois que le spectacle au PAREN et l’arbitrage partisan du ministère sont à la fois une prime à l’opportunisme politique et une défaite des valeurs démocratiques. Je parle d’opportunisme politique parce que le traitement de la question a permis à des arrivistes et autres calculateurs froids tapis dans des buissons épais souvent hors du pays, d’instrumentaliser les résultats du parti auquel ils ne croyaient pas à des fins personnelles et égoïstes. Je parle de défaite des valeurs démocratiques parce qu’à travers la validation des travaux par le ministère, on a consacré la théorie selon laquelle le fondateur d’un parti en est le propriétaire et réaffirmer la supériorité de la volonté immuable d’un homme, fondateur d’un parti au dessus de celle de toutes les instances supérieures dudit parti et ce au mépris de la réglementation en vigueur. Peut être que je raconte des inepties, donc je laisse les spécialistes du droit constitutionnel nous instruire.

Lefaso.net : Quels sont aujourd’hui vos rapports avec le Pr Laurent Bado qui ne rate pas une occasion de s’en prendre à vous en des termes souvent durs ?

Tahirou Barry : Le frère Bado représente toujours pour moi un père que je respecte. Hélas, il s’est mis en mission commandée pour me pulvériser politiquement. Mon éducation m’interdit des réponses proportionnées à ses répétitives attaques grossières, injurieuses et diffamatoires. Je reste serein et m’en remets au jugement de l’histoire.

Lefaso.net : Comment entrevoyez-vous votre avenir politique ?

Tahirou Barry : Il appartient à Dieu.

Lefaso.net : Vous avez repris votre siège à l’Assemblée nationale, pourquoi y être reparti de si tôt ? Avez-vous peur qu’on soulève des dossiers qui pourraient vous compromettre dans la gestion du département ?

Tahirou Barry : Quitter le gouvernement le 26 octobre et reprendre mon siège à l’Assemblée nationale le 19 décembre à la veille de la clôture de la session est il tôt ? D’ailleurs, il faut qu’on arrête de penser que l’immunité est une prime à l’impunité. Il ya juste une procédure pour protéger l’élu contre les coups politiciens et les acharnements .Du reste, malgré ma présence à l’hémicycle, je me suis librement présenté à l’ASCE à leur demande le 21 mars dernier pour une audition dans le cadre de l’audit de mon ministère et je n’entends pas me soustraire aux formalités qui s’imposeraient.

Lefaso.net : Comment expliquez-vous votre affiliation au groupe parlementaire UPC (opposition) ?

Tahirou Barry : C’est un groupe d’opposition crédible, courageux et constant que je connais très bien depuis le CFOP et j’entends apporter ma modeste contribution au parlement grâce à leurs soutient et conseils. J’ai déjà soumis à leur appréciation trois propositions de loi avant toutes autres démarches.

Lefaso.net : Vous sentez-vous bien accueilli et intégré à l’Assemblée nationale ?

Tahirou Barry : Je constate qu’au-delà des clivages partisans subsiste une belle ambiance entre députés et cela semble faciliter mon intégration.

Lefaso.net : Quel commentaire sur le gouvernement Thiéba III ?

Tahirou Barry : A titre individuel, il y a des personnalités de grandes valeurs dans le gouvernement Thiéba III. Hélas, ils sont embarqués dans un navire avec un capitaine qui suit la direction du vent sans savoir le port à atteindre au lieu de s’appuyer sur la disposition du voile. Dans ce cas, je crains le naufrage. Je ne sais pas ce que valent de grands et valeureux soldats au front avec un général totalement déboussolé.

Lefaso.net : Depuis votre départ du gouvernement, vous êtes plus présent à Bobo-Dioulasso. Qu’est-ce qui justifie cette présence remarquée dans la capitale économique ?

Tahirou Barry : J’aime Bobo où je passais régulièrement une partie de mes vacances. J’ai ma grande famille dans cette cité et je vais régulièrement m’y décontracter. Je suis souvent dans quelques grains de thé et je marche librement les soirs loin de la pression Ouagalaise.

Lefaso.net : Vous vous serez lancé également dans l’hôtellerie à Bobo, dit-on ; qu’en est-il ?

Tahirou Barry : C’est l’une des multiples élucubrations sans fondement que j ai l’habitude d’entendre. Si vous priez pour moi et cela se réalise, je vous promets un mois de séjour gratuit avec une totale prise en charge.

Lefaso.net : Vous avez arraché un bon rang à l’issue de la présentielle de novembre 2015, avec en sus un pronostic d’avenir politique intéressant. Ne vous êtes pas laissé prendre dans le piège de l’opinion publique ?

Tahirou Barry : Les résultats de la présidentielle n’ont pas affecté ma personnalité habituelle .Je suis très lucide et conscient de ma fragilité. Je reste toujours fidèle à mes engagements et prie chaque jour pour que le seigneur raffermisse et guide mes pas.

Lefaso.net : La présidentielle, c’est dans moins de 2 ans, serez-vous candidat ? Comment voyez-vous cette échéance ?

Tahirou Barry : La présidentielle n’est pas un combat à la Jack Bauer. C’est un processus dynamique, un mouvement de patriotes avec une vision et une stratégie. Nous sommes avec plusieurs camarades audacieux profondément engagés dans cette réflexion.

Interview réalisée par Oumar L. OUEDRAOGO
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