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Zimbabwe : Mugabé, héros ou despote ?

Publié le mercredi 29 juin 2005 à 07h22min

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A 81 ans révolus, le président zimbabwéen, Robert Mugabé, ne manque pas d’humour. A un confrère qui lui demandait quand comptait-il quitter le pouvoir, il répondait sans sourciller "quand j’aurai cent ans". Même si dans le secret, l’homme fort de Harare prévoit passer le main en 2008. Dans trois (3) ans et à 84 ans.

Chasse aux bidonvilles. Telle pourrait être décrite la casse entreprise par les autorités zimbabwéennes dans la capitale. Notamment dans la cité de White Cliff à une vingtaine de kilomètres de la capitale. En moins d’une semaine, près de 9 000 habitations ont subi la loi des forces spéciales de la police, munies de haches et de masses. "9 000 habitations de fortune" , précise-t-on du côté de la police.

Une opération qui porte comme nom de code "Rétablissement de l’ordre" et qui a pour but" d’enrayer la détérioration des conditions de vie dans les quartiers pauvres des alentours de Harare". Même si d’autres localités, Bulawayo et Gweru, sont touchées, l’objectif étant d’étendre l’opération sur tout le pays. Selon les autorités, c’est une "lutte contre la criminalité et pour le rétablissement de la propreté et la sécurité des villes," qui est engagée. Déjà près de 17 000 personnes ont été arrêtées.

Cette opération, à terme, devra procurer bien-être et sécurité à la population mais ne se fait pas sans grincements de dents. Les Hararéens qui, depuis, passent la nuit à la belle étoile, sont certainement incrédules face à un régime qu’ ils auront plébiscité seulement fin mars dernier. Au terme des législatives, la ZANU-PF (l’Union nationale africaine du Zimbabwe, Front patriotique) le parti présidentiel s’en était tiré avec 78 sièges contre 41 au Mouvement pour le changement démocratique (MDC) du principal opposant Morgan Tswangiraï.

Sachant que la constitution donne plein pouvoir au chef de l’Etat de nommer trente députés, la ZANU-PF s’est donc taillé la part du lion dans ce parlement de 150 sièges. "Ce n’est pas la fin du monde", avait déclaré le président Mugabé au lendemain des législatives à ses partisans. Le moins que l’on puisse dire c’est que la mesure de la destruction des bidonvilles vient comme "endeuiller" les partisans du président. Eux qui, au début de l’année 2003, jubilaient suite aux mesures prises pour déposséder les fermiers blancs de leurs terres et pour les réattribuer aux anciens miliciens de la guerre de l’indépendance.

Cela doit faire une cohorte de mécontents. Les dépossédés d’hier (les Blancs) et les déguerpis (d’aujourd’hui) les Noirs des bidonvilles. Auquels il faut ajouter une opposition bien structurée, l’Eglise, et la communauté internationale, précisément les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l’Union européenne.

Mugabé, hier adulé par les Zimbabwéens, aujourd’hui acculé par les Zimbabwéens et l’Occident pourra-t-il faire face à ce vent de protestations ? En apparence, l’homme n’en a cure. Il en a vu des mûres et des pas vertes au cours de sa longue odyssée vers la présidence. Né en février 1924, la vie se confond avec les dures réalités des mouvements de lutte.

Mugabé a connu la prison sous Ian Smith qui lui avait même refusé d’assister aux funérailles de son fils. Ce 18 avril 1980, quand le pays accédait à l’indépendance, un fort espoir habitait toute la population. Bob Marley, la star du reggae, a même composé "Zimbabwe" pour fêter cette victoire sur"Babylone". Alors que les présidents du Mozambique Samora Moïse Machel, de la Tanzanie, Julius Nyéréré font cette confession à Mugabé "vous tenez entre vos mains le bijou de l’Afrique et maintenant prenez-en soin".

C’est le 31 décembre 1987 que celui qui n’était que le Premier ministre de Canaan Banana accède au pouvoir. Le pays venait juste de fêter le VIIe anniversaire de son accession à l’indépendance. En 1988, il abolit le poste de Premier ministre. En 2003, contre toute attente, il applique une politique de réforme agraire où les fermiers blancs sont chassés de leurs terres. S’accentuent alors les "brouilles" avec l’ancienne puissance coloniale, la Grande Bretagne. Le Commonwealth le suspend.

Les Noirs, qui remplacent les fermiers blancs au pied levé sur des fermes ultra modernes, ne sont ni prêts pour, ni disposés à... Cet acte aux yeux de ses "compagnons" d’hier renforce le mythe du héros légendaire de celui qui, au côté de Josua Nkomo au plan local et au plan régional des Roberto Holden, Sam Nujoma, Agostino Neto, a bravé la puissance tutélaire pour conduire le pays à l’indépendance.

Mugabé est alors au faîte de sa renommée. Même si au plan de politique intérieure, les formations politiques, les religieux et les mouvements des droits de l’Homme n’épousent pas la vision du vieux président. Le silence, entrecoupé d’incarcération pour certains opposants ressemble plus à un mépris.

Au plan agricole, l’ancien grenier à blé de l’Afrique ne peut plus subvenir à ses besoins et 70% de la population se retrouvent sans emploi. Le maïs, base de l’alimentation, suffisant au point d’être exporté, connaît une chute de sa production. Il faut pour subvenir au besoin de la population près de 1,5 million de tonnes de cette céréale pour soutenir environ 4 millions de personnes frappées par la famine. En décrétant en début de mois de juin de déguerpir les bidonvilles, Mugabé s’aliène une forte majorité de ses soutiens électoraux.

Si on tient compte du fait que tout naturellement "les amis de mes ennemis sont mes ennemis", on peut dire que le compte est bon pour Mugabé. Surtout que de plus en plus de Zimbabwéens sont convaincus que la destruction des bidonvilles et des Etats devraient plutôt ouvrir un boulevard aux commerçants chinois qui se plaignent que leurs activités sont menacées par les marchés aux puces, détenus par les Africains.

Pour autant, la cote du vieux a-t-elle baissé ? Rien n’est moins sûr. Car pour l’opposition depuis longtemps Mugabé ne capitalise plus les espérances de la population. Ses victoires électorales ne sont que des leurres, clame-t-elle.

Jean Philippe TOUGOUMA (jphilt@hotmail.com)
Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 29 juin 2005 à 08:07, par Nogo En réponse à : > Zimbabwe : Mugabé, héros ou despote ?

    J’avoue que le Zimbabwe est très loin pour que je juge de l’esprit démocratique de Mugabe mais j’aimerais quand même soulévé quelques questions qui me paraissent pertinentes. Connaissant les dictatures africaines, c’est quand même étonant que dans l’"arrièré chantre de la tyranie" pour reprendre l’expression de Bush, l’opposition obtienne 41 députés contre 78 pour le pouvoir. Dans les dictatures africaines le bourage d’urne est un sport favoris si bien que cela aurait été difficile.
    En plus de celà, il est clair aux yeux des africains que certains Chefs d’Etats sont pires dictateurs que Mugabe, et ceux ci curieusement n’essuyent pas la colère des Occidentaux. Mon point est le suivant : la véritable raison de la colère des Occidentaux est la reforme agraire qui a redonné un peu de terre aux Noirs qui ont été spoliés, parqués comme des bêtes dans des "réserves naturelles" , et violentés dans tous les sens par les Blancs qui à l’époque ne parlaient pas d’indemnisation. Dans ce pays, les Blancs qui représentaient moins de 3% de la population avaient plus de 70 % des terres cultivables.
    Par solidarité raciale plus ou moins voilée, les occidentaux se livrent à un lynchage médiatique sans équivalent contre Mugabe. La preuve est qu’avant sa reforme agraire, Personne n’entendait parlé de la dictaure de Mugabe. Et les Africains dans tous ça ? Au lieu de voir là où se trouve le vrai débat, on reprend sans même réfléchir les dépêches de l’AFP comme dans cet article ci et on dénigre là où est sensé être nos intérêts.
    C’est comme qu’on nous aide à s’autodétruire.

    • Le 29 juin 2005 à 19:12, par Madiba En réponse à : > Zimbabwe : Mugabé, héros ou despote ?

      Voilà ce qui est bien Mr Nogo. Inacceptable que 3 ou 4% d’une population détienne plus de 70% de terres dans un pays. Et puis, en se référant à l’histoire, ce sont les noirs qui ont été spoliés. Je pense que la justice a été faite.

      Bien que je soutiens cette politique, j’ai été totalement deçu de la repartition des terres après le départ des blancs. Les terres ont été purement et simplement distribuées aux personnes nanties n’ayant aucune connaissance agricole au détriment des paysans noirs qui se contentaient des lopins de terre pour survivre. Ce qui explique en partie la famine survenue après ces retraits.

      Les blancs sont solidaires mais nous les Noirs, nous suivons leur regard sans chercher à comprendre le vrai sens des problèmes.

  • Le 29 juin 2005 à 22:21, par mass En réponse à : > Zimbabwe : Mugabé, héros ou despote ?

    je suis d’accord pour le fait que mugabé nous crée son nouveau concept de black empowerement, mais ce qu’il ne faut pas oublier c’est que deux injustices ne font pas la justice.Les noirs doivent désormais refléchir et agir avec leurs cerveau (qu’ils n’utilisent décidement pas assez) plutot que d’utiliser le peu de muscles qu’ils ont pour commanditer des actions qu’ils vont certainement régretter plus tard.les situtations du Zimbabwe et de la cote d’ivoire actuelles sont assez illustratives.

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