Fidèle Toé, ancien compagnon de Thomas Sankara : « Je devais être pris et forcé à raconter partout que Sankara voulait tuer ses camarades »
Grand ami d’enfance de Thomas Sankara, Fidèle Toé est cet homme qui a suivi toutes les péripéties et de tous les soubresauts qui ont émaillé l’engagement politique du leader de la Révolution démocratique et populaire (RDP). A l’occasion du 30e anniversaire de son assassinat, l’ancien ministre de la Fonction publique sous le CNR répond à nos questions sur l’héritage Sankara, la crise au sein du Conseil national de la révolution (CNR) et les circonstances dans lesquelles la tragédie du 15 octobre 1987 a eu lieu. Il se prononce également sur des sujets d’actualité comme le mémorial Thomas Sankara, la justice, la réconciliation nationale et l’alliance des sankaristes avec le MPP.
Lefaso.net : Vous avez été un proche collaborateur de Thomas Sankara. Pouvez-vous nous rappelez ce qu’il a été pour vous ?
Fidèle Toé : Thomas Sankara a été pour moi un ami d’adolescence, un compagnon aussi pour des idées de liberté, des idées de dignité. Nous avons cheminé ensemble pendant longtemps. J’ai connu Thomas Sankara en octobre 1962. Au moment de son assassinat, cela faisait 25 ans durant que je l’avais connu. Nous nous fréquentions, je connais bien sa famille, il connaissait également la mienne.
Nous gardions une proximité si fait que lorsqu’il était appelé à des hautes fonctions, il me sollicitait pour l’aider. C’est ainsi que lorsqu’il a été nommé secrétaire d’Etat à l’information, il m’a demandé de venir l’aider au cabinet. Comme je traînais, il m’a dit un jour : « Si tu ne viens pas je vais travailler seul ». J’ai considéré cela comme une marque de confiance. De ce point de vue, je ne pouvais pas le laisser travailler seul et j’ai accepté de l’accompagner dans sa mission. Mais nous savions que la période était courte puisque lui-même n’avait pas souhaité occupé ce poste et avait demandé que dans les trois ou six mois suivants, il puisse en repartir. Effectivement, c’est ce que nous avons fait au bout de six mois. Lorsqu’il a été élu comme Premier ministre, il m’a encore appelé au Premier ministère pour être son directeur de cabinet encore.
A l’avènement de la révolution, il m’a demandé d’assurer une mission qu’il estimait difficile. C’était la charge du ministre de la Fonction publique, du travail et de la sécurité sociale. Et depuis, il m’a toujours appuyé pour que je suis puisse mener à bien. En cela aussi, c’est en toute confiance qu’il m’a toujours reçu et conseillé. Et je le remercie pour tout cela.
15 octobre 1987 - 15 octobre 2017. Cela fait 30 ans que le président Thomas Sankara a été assassiné. Selon vous, que reste-t-il de l’homme trois décennies après son éviction sanglante ?
Je crois que l’homme lui-même a été assassiné et enterré à la sauvette comme vous le savez. Les restes humains qu’on a enlevés de sa tombe supposée semblent ne même plus donner une réponse de sa présence dans celle-ci. A la limite, d’autres auraient pu penser qu’il a été ressuscité. Du reste, lui-même disait toujours ceci : « Un jour, les tombes s’ouvriront, nous monterons au ciel pour devenir comme des étoiles et vivre dans la fraternité. »
Moi, je crois que Thomas Sankara est devenu plus grand. Il n’aura jamais vieilli comme nous. Il a toujours cette image de l’homme souriant, confiant, sûr de lui-même qui cherche toujours à échanger, à discuter avec le plus humble des Burkinabè tout comme également avec les plus grands, les plus âgés. Thomas Sankara a eu des amis dans tous les milieux, depuis les vendeurs de café, les vendeuses d’arachides jusqu’aux anciens chefs d’Etat.
C’est un homme qui aura travaillé avec tout le monde afin de tracer les sillons de développement pour son pays. Je crois que Thomas Sankara a une image encore plus grande aujourd’hui dans le monde. Comme lui-même le disait : « On n’assassine pas les idées, on combat les idées ». Ainsi, ceux qui ont cru qu’ils pouvaient le classer dans les oubliettes en l’assassinant l’ont même grandi parce que ses idées sont devenues encore plus populaires. Les gens d’ailleurs en les analysant les trouvent d’un grand humanisme. Et de nos jours, le monde entier revient sur ses grandes déclarations fracassantes et véridiques. Sur l’environnement, le climat, la dette, le développement endogène et bien d’autres points, on est bien obligé d’être en concordance avec les idées de Thomas Sankara.
Est-ce une sorte de revanche du leader révolutionnaire sur ses détracteurs et ses assassins ?
Je ne peux pas dire que c’est une revanche. Mais je constate simplement que l’homme est connu désormais partout dans le monde. Dans tous les pays du monde, particulièrement en Afrique, les gens demandent à la limite qu’il y ait un autre Sankara qui arrive chez eux et fasse ce qui a été fait ici au Burkina Faso. Par conséquent, je pense qu’on l’a grandi, qu’on l’a fait connaître beaucoup plus à travers le monde. Même après 27 ans de pouvoir, ceux qui l’ont assassiné ne sont même pas connu du monde.
Plusieurs personnes de nos jours se considèrent comme les héritiers de Thomas Sankara. Et vous disiez tantôt qu’ils sont légion de par le monde ceux qui se sont approprié les idées de Thomas Sankara. Quelle appréciation de ces personnes qui se revendiquent de lui ?
Je salue le courage de ceux qui se sont revendiqués de Thomas Sankara même aux moments les plus durs où prononcer son nom pouvait être synonyme de brimades et d’emprisonnement. C’est vrai que j’ai appris que des promotions d’écoles à leurs sorties ont eu à demander à prendre le nom de Thomas Sankara, mais cette démarche leur valu une dure répression. A partir de là, la peur aidant la plupart des promotions évitaient de prendre le nom Thomas Sankara. Ceux qui ont lutté pendant cette période pour Thomas Sankara sont vraiment à saluer pour le courage qu’ils ont eu.
Thomas Sankara vivant, lui-même n’aurait jamais accepté que l’on parle ni de sankarisme ni de sankarité. Mais ce sont des hommes courageux qui ont eu l’idée de dire que comme il ne vit plus et que l’on cherche à l’effacer de la mémoire, il faut que l’on créé avec son nom des associations de réflexion et de développement, des structures humanitaires, et plus tard des partis politiques. C’est une façon pour tous ces gens de le garder dans la mémoire.
Le fait que Thomas Sankara soit connu et que beaucoup de gens s’en réclament est normal. Les grands hommes sont comme des références immortelles dans certains pays. Prenons le cas français. Quelqu’un disait que tout Français aura été gaulliste avant, après ou le deviendra. Je crois que tout Burkinabè s’est senti fier de la période révolutionnaire. Même ceux qui apparemment ne comprenaient le sens du combat ou ceux-là même qui étaient combattus par nos CDR ont fini par accepter que l’orientation était bonne. De tous les milieux, de nombreuses personnes s’en réclament. Mais ceux qui ne s’en réclament finissent par reconnaître que c’est un lièvre qui court, qui a d’ailleurs bien couru. Thomas Sankara est resté conforme à son image, à ses discours, à ses actions jusqu’à ce que survienne cette traitrise qu’il savait. Mais il pensait qu’il pouvait surmonter et toujours tendre l’autre joue et qu’un jour il allait arriver à s’entendre avec Blaise Compaoré qu’il considérait comme un frère.
Pensez-vous que Thomas Sankara ait été réhabilité vraiment avec les déférentes évolutions sociopolitiques qui ont eu lieu au Burkina Faso dans ces dernières années au Burkina Faso ?
Je crois que Thomas Sankara est réhabilité chaque jour par chaque Burkinabè. Quand chaque Burkinabè se remémore le combat, le vrai combat à mener pour le vrai changement et qu’au-delà de cela il essaie de s’y engager en changeant de comportement pour plus de dignité. Thomas Sankara disait que pour vivre digne, il faut accepter de vivre africain, burkinabè. S’engager à trouver par soi-même les solutions aux défis de sa société, c’est cela la dignité. Et on peut toujours faire cet effort-là.
Thomas Sankara est encore réhabilité à chaque moment que les gens redécouvrent qu’ils sont eux-mêmes leur solution et que c’est celle-là qui est bonne. C’est ce type de réhabilitation qui est authentique, pas les autres formes. Vous savez fort bien qu’au lendemain de son assassinat, ses assassins avaient annoncé qu’ils allaient faire de lui un héros, puis ils ont changé de discours. Ils ont dit qu’ils allaient approfondir la révolution. Et après, leur langage a encore changé. Au fait il n’y a jamais eu d’acte fort pour dire que l’on va faire de lui un vrai héro.
Au contraire, ils ont même combattu cette idée. A la commémoration des 20 ans de son assassinat, très rapidement, ces pseudo-révolutionnaires se sont rapidement retrouvés pour parler de renouveau démocratique que Blaise Compaoré aurait introduit au Burkina Faso. Alors, l’on est passé de quelqu’un qui voulait approfondir le processus révolutionnaire parce que Thomas Sankara n’était pas assez révolutionnaire à quelqu’un qui dit désormais qu’il a fait son coup d’Etat pour rétablir la démocratie. Il ne faut jamais attendre une réhabilitation de la part de l’assassin.
Malgré l’ouverture d’une procédure judiciaire, les plaidoiries des avocats ont plaidé au niveau de la justice, le principal assassin et commanditaire s’est évertué à agir de sorte à ce qu’il n’y ait jamais d’instruction et de jugement. Blaise Compaoré était devenu lui-même ministre de la Justice uniquement pour le dossier Thomas Sankara afin qu’on ne puisse jamais aller au fond et qu’il y ait ni de réouverture ni de réhabilitation. Mais la transition est venue.
Je salue le mouvement populaire qui a chassé Blaise Compaoré. Cependant, je l’ai toujours dit, les Français nous ont privés d’une victoire. Blaise Compaoré devait aller prendre ses bagages et aller s’asseoir en prison avant de se mettre à la disposition de la justice. Malheureusement, les Français ont exfiltré Blaise Compaoré.
Sous la transition, nous avons assisté déjà à des prodigieux rebondissements avec le président Michel Kafando que je salue pour son courage. C’est ainsi que le dossier a été rouvert avec la volonté de connaître ce qui s’est passé. Un peuple d’ailleurs qui ne connait pas la vérité sur ce qui s’est passé dans son pays sur la vie de ses dirigeants, j’avoue que c’est un peuple qui est condamné. C’est un peuple qui va continuer à trébucher et à tomber dans les mêmes travers. Je crois que nous allons aboutir à un procès où chacun aura à contribuer à la vérité.
Concernant la réconciliation nationale, quand nous étions en exil, nous avons demandé à ce qu’on le fasse. Dans ce cadre, notre grand camarade Valère Somé avait théorisé sur ce thème de la réconciliation nationale depuis Paris où il avait réuni des cadres que la révolution avait combattus. Nous aussi qui étions en exil, nous en sommes venus à nous dire qu’il y aurait un processus de réconciliation nationale. Mais une fois rentré, on a bien ri de nous.
De nos jours, le camp de Blaise Compaoré souhaite qu’il y ait la réconciliation nationale. Ils n’ont qu’à dire la vérité, toute la vérité. Le peuple burkinabè peut pardonner beaucoup de choses, mais pas se réconcilier sur le mensonge. Une personne qui n’a pas dit la vérité et on cherche à se réconcilier avec cette dernière ?
J’avoue que quelque part cette précipitation traduit un manque de conviction ou un esprit de compromission facile. Je crois que le procès aura lieu et que c’est à l’issu de celui-ci que les cœurs seront apaisées et Thomas Sankara sera effectivement dans la place qui lui revient. Sinon il est déjà dans le cœur de nombreux Burkinabè.
Il y a des gens qui estiment que le dossier bien qu’ouvert sous la transition n’avancerait pas dans un bon rythme, il piétinerait à la limite. Quelle est votre appréciation sur cette façon de voir ?
Moi aussi je trouve que ça piétine. Malgré les efforts, je vois que ça piétine. Je crois que cela est dû d’abord à notre justice. Quand ce dossier est arrivé à la justice, les magistrats avaient trouvé que c’était une patate chaude, chacun s’en était débarrassé. Je crois qu’en ce moment, c’était la période des juges acquis. Donc, les dossiers étaient confiés à des magistrats acquis et dont le rôle était d’ailleurs de le retarder le plus possible.
Maintenant que notre justice a demandé son indépendance et a recouvré un tant soit peu celle-ci, il faut qu’elle comprenne qu’il y a des dossiers qu’il faut faire aboutir. Je crois que les juges ont introduit des procédures pour avoir des informations au niveau de la France. Je profite d’ailleurs pour dire qu’à ce niveau, il y a des combats qui sont à mener pour qu’on ait des informations sur ce qui s’est passé. J’ai été outré dimanche dernier d’entendre « papa m’a dit » dire à François Soudan dans un bar parisien que le 15 octobre 1987 a été un accident. Qu’on nous sorte les documents au niveau de chaque ambassade. Les Américains en ont, les Français en ont également. Il y a une période où on ouvre les documents classés « secret défense ».
On a commencé à donner accès au dossier du génocide rwandais de 1994, lequel a eu lieu 7 années après le 15 octobre 1987. Je crois qu’aujourd’hui, ce serait pour l’image de la France une très bonne chose de déclassifier les documents pour les mettre à la disposition de la justice pour la procédure judiciaire prospère. Je vois qu’on dit que Blaise Compaoré reviendrait d’ici le 14 décembre. J’espère qu’à cette date le procès va s’ouvrir et qu’il rentrerait dans ce cadre. Je ne comprends pas sa venue autrement. Il n’a qu’à venir répondre d’abord d’un certain nombre de faits.
Selon une certaine opinion, le dossier Thomas Sankara trainerait sous ce régime parce qu’il y aurait des personnalités qui n’auraient pas intérêt à ce que la vérité jaillisse. Etes-vous d’accord que le pouvoir actuel travaillerait à engourdir la procédure judiciaire ?
Moi, je m’inscris en faux contre cela. Le peuple a quand même soif de connaître la vérité. Concernant les acteurs de 1987 ou d’avant, c’est vrai que certains se sont placés plus tard derrière Blaise Compaoré. Mais vous ne savez pas de quelle manière. Moi, j’observe que certains ont des parents qui fréquentaient la famille de Thomas Sankara. Il y en a aussi qui ne la fréquentaient parce qu’on leur a fait des mises en garde sévère : « si vous fréquentez la famille, c’est à vos risques et périls ». Donc, il y a eu pas mal de menaces.
Malgré tout cependant, il y en a qui sont venus écrire dans le livre de condoléances pour dire : « pardonne-nous Thomas, on nous a trompés ». De ces personnes, certaines ont été limogées. Il y a beaucoup d’acteurs qui m’ont dit reconnaître qu’ils ont été menés en bateau : « On nous a trompés. Et dès que nous avons compris que c’est d’autres raisons qui avaient motivé cet assassinat, nous avons pris nos distances avec l’individu » m’ont-elles expliqué. Je crois d’ailleurs que c’est pour cette raison à la fin du régime, que l’individu ne se réduisait en réalité qu’à sa famille et naturellement aussi à quelques personnes qui voulaient profiter des liasses d’argent que Blaise Compaoré déversait pour se faire aimer.
Blaise Compaoré savait qu’il était craint, il n’était pas aimé et que les gens aimaient son argent et non pas lui. C’est d’ailleurs ainsi qu’il pouvait se faire des supporters. Je pense que les personnes qui sont aujourd’hui au pouvoir se sont assez démarquées à un moment donné de Blaise Compaoré. Certains m’ont dit d’ailleurs qu’ils souhaiteraient avoir un jour l’occasion de dire leur part de vérité dans cette affaire.
La crise au sein du Conseil national de la révolution (CNR), parlez-nous-en.
Avant de parler du 15 octobre, parlons du 14. On pourrait même parler des autres dates avant. Je fréquentais naturellement le président. Concernant la crise, le 14 octobre, il y a eu un conseil de ministres. A la fin, Sankara a dit : « Vous les membres du gouvernement, j’ai une critique à vous faire. La situation nationale, pourquoi vous ne me dites pas d’en parler ? Personne n’en parle alors que vous savez qu’elle est tendue. On dit partout que j’ai tiré sur Blaise Compaoré et que je l’ai raté, que ce dernier a tiré sur moi et qu’il m’a raté ». A ce conseil, étaient présent Henri Zongo et Jean-Baptiste Lengani. Et Thomas Sankara de poursuivre : « On a dit aussi que j’ai tiré sur Henri Zongo et que je l’ai raté aussi ». Continuant, il a dit que s’il prenait ces personnes, il irait en justice avec eux parce que c’est de la calomnie. Et tout en montrant Henri Zongo, avec un brin d’humour il dit : « On dit que je l’ai raté, ça veut dire que je suis maladroit ». Cela avait détendu l’atmosphère. On a vu Henri Zongo qui souriait. Cette image me reste toujours. Thomas Sankara lui-même a fini par dire que la crise était derrière : « Nous nous sommes vus et nous nous sommes compris, bientôt vous aurez l’occasion de nous voir encore ensemble ». Je suis sorti de conseil soulagé. Je l’ai signifié à mes proches parce que pour moi le président avait accepté de crever l’abcès. C’est plus tard que j’ai compris qu’en vérité, l’autre camp n’était pas pour cette logique.
Thomas Sankara avait préparé un dernier discours qu’il devait prononcer le 15 octobre 1987. Il l’aurait prononcé le matin ou à midi, le complot aurait été neutralisé. Dans le discours en question, il voulait analyser la situation nationale et montrer comment des personnes de mauvaise foi avaient travaillé à opposer des révolutionnaires entre eux, comment des opportunistes faisaient du mensonge pour nuire à la révolution. Dans ce discours, il avait prévu de dire que tous les quatre ensemble, ils allaient repartir dans les provinces pour se présenter aux masses afin de leur redonner confiance. En tout état de cause, moi, je ne m’attendais pas à vivre la tragédie du 15 octobre 1987. Plus tard, j’ai appris que l’on nous accusait d’avoir préparé un complot de 20h contre Blaise Compaoré et ses compagnons. C’est une pure aberration.
Mais quand je suis revenu de l’exil, j’ai vu un des amis de Blaise Compaoré, un colonel, qui m’a dit : « Celui qui t’a dit que tu as mal fait de quitter ta famille, c’est ton ennemi. Voilà ce que nous avions envisagé. C’est toi qu’on devait prendre pour que tu racontes partout que Thomas Sankara avait projeté de nous tuer. Mais comme nous ne t’avons pas eu, notre plan est tombé par terre ». Je lui ai répondu qu’il y avait un Dieu pour tout et que celui-ci n’avait pas voulu leur donner tout à la fois. C’était devant témoin. La personne vit toujours, le témoin également. Plusieurs personnes ont participé à des actions, mais plus tard, ils se sont rendus compte qu’ils avaient été manipulés. Voilà ce que je peux dire en gros sur cette période. Je tiens à préciser qu’avant le 15 octobre, il y a eu le 14 octobre et qu’à cette date, le président avait détendu la situation.
On raconte souvent que bien avant le 15 octobre 1987, dès le début du processus révolutionnaire, Blaise Compaoré s’intéressait déjà au pouvoir, mais il ne pouvait y accéder du pont de vue de sa notoriété personnelle. Il aurait donc usé de Thomas Sankara pour y arriver. Qu’en dites-vous ?
C’est exact en partie. Souvenez-vous que Blaise Compaoré était peu connu. En 1982, quand Thomas Sankara était secrétaire d’Etat, Blaise Compaoré n’était pas connu. Moi, je l’ai rencontré en1979 chez Thomas Sankara. C’est là où il squattait. Quand plus tard, pendant son règne, j’ai vu qu’il y avait des amis, des tantis, des tontons de Blaise Compaoré, ça me faisait sourire. Mais où était tout ce beau monde ? A l’époque, quand il venait chez Thomas il n’y avait ni tantis ni tontons… C’était dans la maison de Thomas Sankara qu’il squattait une chambre.
C’est sous le Conseil de salut du peuple (CSP) que Blaise Compaoré a commencé à être visible. Vous savez que concernant le CSP, Thomas Sankara lui-même n’a pas voulu en porter une paternité quelconque. Il a toujours dit que ce n’était pas lui. Il m’a personnellement dit que ce n’était pas lui. C’était des colonels qui avaient mis les officiers en mouvement pour se régler les comptes. Mais l’affaire étant faite, le CSP est arrivé dans la cacophonie. Mais ce n’est qu’en janvier que Thomas Sankara a pris le Premier ministère. Il faut dire d’ailleurs qu’il a été élu avec la pression d’officiers supérieurs qui voulaient qu’il s’implique.
Quand il y a eu les évènements du 17 mai 1983, Blaise Compaoré a pu s’enfuir parce qu’il était resté à Bobo et grâce aussi à son chauffeur qui une fois arrivés à Ouaga a réussi à rejoindre Po. Arrivé à Po, il s’est d’abord tenu à 6 km du camp. Il a envoyé un émissaire. Mais les éléments étaient déjà sur la défensive. Ce sont eux qui lui ont dit que s’il venait pour qu’ils s’organisent pour libérer le leader - tous appelaient Thomas Sankara le leader - il pouvait rentrer. C’est ainsi que la résistance a été organisée à Po. Je crois que celui qui a le plus contribué à cela c’est Tibo Ouédraogo. Plus tard, d’autres sont venus étoffer la résistance. C’est ainsi que Blaise Compaoré qui est officier s’est fait connaître. Mais en réalité les ordres venaient de chez Thomas Sankara qui était en résidence surveillée. C’est lui qui pouvait dire de venir tel jour.
Moi je sais que le 4 aout 1983, Thomas Sankara m’a dit : « c’est aujourd’hui ». Nous-mêmes civils, nous nous étions entraînés. C’est ainsi que Blaise Compaoré est entré comme un serpent, assis, écoutant tout, mais ne parlant jamais. Au demeurant, je crois que le déclic est venu avec le facteur extérieur, les contacts avec les Houphouet-Boigny et même avec notre milieu africain, moaaga en particulièrement qui n’a pas toujours donné de conseils sages à Blaise Compaoré. Il y avait effectivement des gens qui disaient : « Comment un fils de Oubri peut-il prendre le pouvoir et le donner à un enfant de Mogba ? » Pour ces gens, Thomas Sankara est un Peul, Blaise Compaoré, lui est Moaga, et ce n’est pas normal que ce dernier ait pris le pouvoir pour le premier. Cela était aussi un mauvais message. Et à force de le dire, il a fini par rester dans la tête de Blaise Compaoré.
On peut imaginer que sa famille a pu penser qu’il était un espoir et qu’il devait jouer les premiers rôles. Enfin, Blaise Compaoré a vu dans le pouvoir l’accès aux ressources. Je crois que c’est la seule leçon qu’il a retenu. Et après, on a fait de lui le beau-fils de Houphouet Boigny. Il avait ses entrées partout. Au niveau français aussi, les gens s’étaient juré que désormais c’est Blaise Compaoré qui allait gérer les affaires. Il semble même qu’à des journalistes, il avait dit que la prochaine fois qu’ils reviendraient, ce serait lui le président du Faso.
Mais je sais que Thomas Sankara était au courant. Mais ce dernier n’a pas voulu lever le moindre doigt parce que se lever et attraper un ami pour le mettre en prison ou l’assassiner, cela allait être la répétition de ce que nous vu de mauvais chez Sékou Touré, une révolution où l’on règle les comptes à ses collaborateurs. De ce point de vue, Thomas Sankara ne voulait pas être désigné comme un sanguinaire. C’est vrai que Blaise Compaoré grâce aux ressources qu’il avait désormais, les sacs d’argent qu’on lui donnait en catimini, pouvait corrompre çà et là des éléments pour venir à lui. C’est comme ça que autant Thomas Sankara travaillait à unir les groupes d’obédience révolutionnaire y compris les éléments du Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV), Blaise Compaoré lui faisait le contraire.
Que dites-vous alors par rapport à ceux qui soutiennent que le 15 octobre 1987 a été accidentel ? Blaise Compaoré a-t-il joué un rôle passif ?
Ce n’est pas un rôle passif. Du reste, Jeune Afrique qui s’est intéressé très vite à cet aspect et qui a mené les premières enquêtes a demandé à Blaise Compaoré : « Est que dans votre pays, des groupes peuvent se lever et assassiner un président et vous ne leur disez rien, vous ne les attrapez même pas pour les sanctionner ? » Au contraire, ces gens se baladaient partout et se vantaient même d’avoir pris l’arme de Thomas Sankara. On a vu tout ça ici. Et comme une personne a si bien posé la question, si c’était un accident, est-ce qu’un accident vaut un coup d’Etat ? Si c’est un accident, vous appelez tout le monde pour assumer.
Même le père de Thomas à mon retour d’exil m’a dit : « Vous êtes partis quelque part ensemble, par exemple à la chasse. Si le lion attrape l’un d’entre vous, vous faites quoi ? Vous l’enterrez et vous ne dites rien à sa famille ? ». Alors, si c’était un accident, le minimum aurait été de revenir expliquer la situation, dire qu’il y a eu des tirs et que l’autre y est resté et montrer le corps. Au moins en ce moment, on peut prendre le corps de l’accidenté et l’enterrer indignement. Ce qui n’a pas du tout été le cas… Vous exécutez quelqu’un, vous partez chercher des prisonniers pour creuser rapidement une tombe où vous l’enterrez à la sauvette. Après cela vous vous mettez à poursuivre des gens pour les tuer ou les embastiller, et vous voulez parler d’accident encore. Est-ce vraiment un accident ?
Nous le savons tous que, je dis même le nom, Watamou Lamien, un des instigateurs de l’Union des communistes burkinabè (UCB), a toujours dit ceci : « On ne peut pas le laisser dehors et prendre le pouvoir. On ne peut pas gouverner si ce type-là est dehors ». Et même les Houphouet-Boigny et autres ont dû leur murmurer : « Si on l’emprisonne, il deviendra plus populaire ». C’était donc la mise à mort totale.
On m’a dit que quand ça crépitait partout, le même Watamou Lamien faisait des va-et-vient pour savoir où est-ce qu’on en était. Mais très vite après le coup d’Etat, on s’est très vite débarrassé de lui. On a prétendu qu’il est mort par accident. Mais ceux qui ont lavé le corps ont dit qu’il y avait un grand trou au niveau de sa nuque, ce qui veut dire que selon toute vraisemblance il a été exécuté par derrière. Donc, on ne peut pas dire que le 15 octobre 1987 a été un accident. Ce n’était pas un accident, mais une affaire préparée. Du reste, quand je suis revenu de l’exil, la révélation que le colonel m’a faite montre que le coup d’Etat a été préparé de longue date.
Lors de la commémoration des 20 ans de son assassinat en octobre 2007, l’on avait parlé d’une conceptualisation du sankarisme. Qu’en est-il de ce projet ? Selon vous qu’est-ce que le sankarisme ?
Avant les évènements du 15 octobre 1987, Thomas Sankara avait voulu prendre un peu de distance par rapport à son action. Pour lui, il envisageait plus un retrait pour écrire. Je crois que ce sont ces écrits qui auraient pu donner beaucoup d’éléments. On a vu Thomas Sankara évolué, agir, mais on n’a pas une doctrine écrite de sa part, sinon que lui aussi se référait à des doctrines diverses, à certains révolutionnaires de par le monde qui tous avait tâté de la théorie marxiste.
Mais Thomas Sankara est resté au-delà de tout cela un grand humaniste. Quelqu’un a dit que le sankarisme à la limite est une voie. Et je crois que c’est une voie que chacun réinvente au regard de l’action que l’intéressé a menée. Lui, il n’aurait certainement pas créé un parti sankariste. Mais les évènements ont fait qu’on l’a fait. En effet, de nombreuses personnes ont soutenu que c’était nécessaire de créer un parti d’obédience sankariste parce que ce mot terrorisait particulièrement Blaise Compaoré.
Donc, je crois que le sankarisme est une voie de la bonne gouvernance de la chose publique en concertation avec le peuple entier. Le sankarisme, c’est recueillir les avis du peuple ; par exemple pour les projets de développement révolutionnaire, la population a été mise à contribution. Les gens en débattaient publiquement pour comprendre et s’en approprier. C’est cela qui a permis le succès des politiques de développement sous le CNR.
Le sankarisme, c’est l’autosuffisance alimentaire. Le sankarisme, c’est aussi la protection de l’environnement. A ce niveau tout le monde reconnait aujourd’hui que Thomas Sankara était un précurseur, un visionnaire. C’est pourquoi les fora sociaux se sont appropriés ses idées. Les problématiques soulevées et les solutions proposées en même temps par Thomas Sankara sont considérées de nos jours comme les plus idoines. C’est tout cela le sankarisme. Mais ce n’est pas tous ceux qui sont dans un parti sankariste qui sont Sankara. Le Sankara, lui, il est unique. Celui qui veut s’évertuer à lui ressembler, il perd son temps. Il n’a qu’à être lui-même tout en essayant de vivre les idées de Thomas Sankara.
Le sankarisme, c’est enfin l’intégrité. Thomas Sankara tenait à la bonne gestion de la chose publique. Et vous savez que le régime de Blaise Compaoré est plusieurs fois revenu aux idées de Thomas Sankara. Par exemple la lutte contre la vie chère, le mot d’ordre produire et consommer burkinabè. Aujourd’hui, je vois des gens qui portent fièrement le faso dan fani dans l’administration et à d’autres occasions. Il a fallu que Thomas Sankara ait eu l’idée avant. Il voulait qu’on donne de la valeur ajoutée à nos produits. Thomas Sankara savait qu’il y avait de l’or. Mais il a préféré que l’on développe le savoir-faire des Burkinabè à travers d’autres filières comme l’agriculture, le tissage… Je crois que c’est tout cela les grandes idées sankaristes, sinon ce ne sont pas des théories toutes faites. C’est vrai que lui-même s’est inspiré de théoriciens, mais il a collé à cela la réalité pratique.
Pourquoi les sankaristes ont du mal à former un bloc politique pour défendre de façon pertinente les idéaux de Thomas Sankara ?
Sous Blaise Compaoré nous avons eu beaucoup de mal. Et je voudrais citer la fameuse phrase de De Gaulle. Quand on lui a dit : « il y a deux Allemagnes, qu’est-ce que vous en pensez ? » Ceux qui ont posé la question pensaient naturellement à la réunification des deux. Et De Gaulle de leur répondre : « Je voudrais qu’il y ait davantage d’Allemagnes ». Donc, la guerre de 1939-1945 a laissé un mauvais souvenir à De Gaulle. Pour lui, l’Allemagne réunifiée sera trop forte. Blaise Compaoré avait la même vision.
Les sankaristes unis sont une force. Et dans ce sens, nous avons souvent eu des divisions pour un oui ou pour un non ; pour une virgule mal placée quelqu’un pouvait s’en offusquer et considérer comme si c’était cela l’essentiel. Je pense que ce n’est pas parce qu’il y a trop de piment dans une sauce à la maison que vous ne mangez pas. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas assez de piment ou de sel que vous allez vous abstenir et faire une grève de faim. Il y a des intolérants. Et je n’ai jamais compris pourquoi un tel degré d’intolérance chez certains. Peut-être que le lit de la misère fait de nous parfois des gens qui sont agacés.
Mais je crois que de nos jours, il y a des tendances de retrouvailles et nous sommes désormais dans une situation où on va immanquablement se retrouver. Nous avons été pendant longtemps un parti d’opposition. Et dans un tel statut, les dissensions naissent facilement. Personnellement, moi, j’ai mal vécu cela parce que quand on est porteur d’un grand idéal et face à des gens qui cherchent à ce que vous deveniez de la risée, se mettre dans des combats de coquelets vous ridiculise. Mais je suis maintenant convaincu qu’avec une certaine maturité des uns et des autres, nous allons nous retrouver.
Vous appartenez à un parti qui au lendemain des élections couplées du 29 novembre 2015 a accepté de composer avec le parti gagnant, dans lequel l’on trouverait des personnes qui ont persécuté Thomas Sankara lorsqu’il était au pouvoir. Comment avez-vous vécu ce rapprochement entre le MPP et l’UNIR/PS ?
Il se trouve que je suis de ceux-là qui ont estimé qu’il fallait que la direction de l’UNIR/PS puisse aller féliciter le nouveau président et envisage même de se retrouver dans une majorité. Il y a quelques explications. Ce sont des partis politiques qui se sont se battus et qui ont obtenu un certain nombre de résultats après nombre d’années. Et nous nous sommes retrouvés avec une situation où on pouvait rendre le vainqueur de l’élection présidentielle incapable de réaliser son programme. Il fallait lui donner une majorité au niveau de l’Assemblée nationale pour que la plupart des dispositions qu’ils souhaitaient passent. Nous sortions d’un régime de 27 ans, d’une insurrection, d’une transition.
Nous avons estimé qu’il n’était pas judicieux de rentrer dans une autre transition et qu’il fallait stabiliser la situation et donner l’occasion au Mouvement du peuple pour le progrès(MPP) d’avoir des institutions stables pour gouverner et atteindre les objectifs de développement que leur candidat a exposés pendant la campagne. Mais nous ne sommes pas les seuls. Il y a d’autres partis qui ont eu la même réflexion. Nous nous sommes dit aussi que le peuple nous connaissait bien, mais il ne nous a pas votés. Et dans ce cas, pourquoi imposer que le vote du peuple change de sens par des pratiques politiciennes ? Notre candidat s’est présenté à l’élection, mais on ne l’a pas voté, on a plutôt choisi Roch Marc Christian Kaboré. Donc, laissons-lui la chance pour qu’il mène à bien son programme. C’est l’analyse que nous avons eu à faire.
L’UNIR/PS en s’alliant le MPP n’a-t-il pas trahi Thomas Sankara et ses idéaux ?
Non ! Il ne s’est jamais agi de trahir Thomas Sankara et ses idéaux. Je pense que la justesse des points de vue de Thomas Sankara et de l’UNIR/PS fait que ce parti est un partenaire considéré par le MPP. Il faut dire qu’au sein du CNR, il y avait de la camaraderie. Nous avons des camarades soit au sein de la Convention panafricaine sankariste(CPS) soit de l’UNIR/PS qui sont partis au MPP. Alors, nous nous retrouvons aujourd’hui. On pourrait dire que nous nous sommes contournés pour mieux nous rencontrer. Donc je ne suis pas déçu de tout cela. Nous souhaitons surtout que cette alliance apporte quelque chose de positif au peuple. Nous nous sommes dit que pendant et après l’insurrection il y avait de fortes attentes au niveau du peuple dans tous les domaines.
De façon claire, ce n’est pas un régime libéral qui peut répondre à ces attentes populaires. Au contraire, ce sont des partis de gauche dans une véritable alliance qui peuvent aller dans le sens d’une politique qui réponde à ces attentes. C’est pourquoi nous sommes allés dans ce partenariat avec le MPP pour apporter notre contribution au développement.
En 2016, lors d’une session à l’Assemblée nationale, feu Salifou Diallo avait déclaré qu’en dehors du CNR qui a su proposer une politique de développement original conformément aux aspirations du peuple, aucun autre régime n’a pu vraiment s’inscrire dans une telle dynamique depuis l’indépendance. Quelle analyse faite de cette déclaration quand on considère que l’intéressé a prêté main forte à Blaise Compaoré dès le 15 octobre 1987 ?
La question est aisée. Feu Docteur Salifou Diallo, je m’incline devant sa mémoire. Je voudrais ajouter aussi que je suis conseiller à l’Assemblé nationale. Il m’avait approché pour être son conseiller et j’ai accepté. Mais il nous a toujours dit qu’effectivement il y a eu des situations, mais eux tous avaient été trompés et qu’ils s’en étaient rendu compte après. Mais il disait aussi qu’un jour, il souhaitait vivement qu’à cette occasion chacun ait à se prononcer. Et lui, il avait sa part de responsabilité, il savait aussi qu’ils ont été induits en erreur par le régime Compaoré.
Moi je crois qu’il a fait une belle analyse, une belle observation. Je crois que le CNR a tenté de mettre en place une véritable politique de développement au profit du pays dans divers domaines. Le CNR a vraiment innové. Les Rwandais, qu’est-ce qu’ils ont dit récemment ? « Vous avez eu votre Thomas Sankara, vous l’avez laissé mourir. Nous avons notre Kagamé, nous n’allons ni le laisser mourir ni le tuer. » Visiblement, le Rwanda a du résultat. C’est ce genre de discipline qu’il faut s’imposer pour se faire respecter. Thomas Sankara était un patriote sincère, un grand travailleur et qui ne dormait pratiquement pas. Il ne pouvait pas accepter de dormir tranquillement alors qu’il y avait des Burkinabè qui manquaient d’eau et de nourriture. Il pensait qu’il devait toujours travailler à satisfaire les besoins de son peuple.
A votre avis, Thomas Sankara aurait-il approuvé l’idée d’un mémorial à son nom ?
Il est difficile que celui qui habite le mémorial puisse vous dire qu’il approuve le mémorial ; il n’a même pas de tombe. Thomas Sankara en tant que vrai révolutionnaire aurait pu effectivement refuser ce mémorial. Vous avez vu le cas de Fidel Castro dernièrement, pas de tombe, pas de mémorial. Il est parti et il est parti. Ce sont des gens qui deviennent comme des étoiles et brillent quelque part. Mais en tant que vivants, mus par l’attachement, nous cherchons toujours à identifier quelque chose pour marquer le passage d’un homme. Je crois que c’est dans ce sens que l’idée du mémorial est née.
Tout autour de nous, il y a le mémorial de Kwamé Nkrumah à côté. Alors des gens se sont dit pourquoi ne pas faire un mémorial pour Thomas Sankara, celui-là qu’on a sauvagement enseveli et dont on ne veut même pas qu’il reste quelque chose. Vous savez que Lumumba lui aussi a été dissout dans la soude. Aujourd’hui si l’on fait un mémorial pour Lumumba, je crois que c’est bien mérité. De ce point de vue, si les Burkinabè peuvent faire un mémorial pour leur leader, on le fait. On doit même demander une plus grande implication de l’Etat dans l’édification du mémorial. C’est un ouvrage qui nous concerne tous. Si l’Etat arrive à nous dire que c’est très important, qu’il s’y investisse avec tous ceux qui se revendiquent du personnage. C’est cela qui donnera un rayonnement national et un international à ce mémorial.
Interview réalisée par Kakiswendépoulmdé Marcel Marie Anselme LALSAGA
Lefaso.net