LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Appui à la société civile en Afrique : Les erreurs de la communauté internationale

Publié le mardi 21 juin 2005 à 06h45min

PARTAGER :                          

A travers cet écrit, Aristide Ouédraogo exprime sa déception par
rapport à l’aide apportée à la société civile en Afrique, par la
communauté internationale. Il trouve, en effet, ce soutien
inefficace en ce sens qu’il ne contribue nullement à l’instauration
de la bonne gouvernance souhaitée par les peuples africains.
C’est pourquoi il appelle les membres de cette communauté
internationale à une prise de conscience.

Voilà plus d’une décennie que la communauté internationale
s’est découverte une nécessité pour la société civile. Et comme
toujours, en pareil cas, elle n’a pas ménagé son affection
vis-à-vis de cette dernière. Non seulement, les louanges
officielles n’ont pas manqué, mais surtout les subventions et les
aides multiples sont venues soutenir la société civile,
considérée comme le rempart contre la mal-démocratie, la
mal-gouvernance d’une façon générale.

Plus que les médias, et encore plus que les partis politiques
déconsidérés en tant que contre-pouvoir, c’est la société civile
qui a été considérée par la communauté internationale comme
la nouvelle force ayant les qualités morales, de nature à résister
à la corruption, aux calculs politiciens, pour stopper la
perversion des mécanismes démocratiques qui entravent les
efforts pour le développement.

Je voudrais vous le signaler, mesdames et messieurs les
représentants de la communauté internationale. A chaque fois
qu’il y a eu dérive, vous l’avez soutenu jusqu’à la limite
inacceptable, au prix souvent de sacrifices incommensurables
en termes de vies humaines, de pertes économiques et
infra-structurelles et de dégâts moraux irréversibles.

Lorsqu’il
vous est venu à l’idée qu’il fallait restructurer les économies
africaines, prendre vous-mêmes les choses en mains par des
politiques d’ajustement structurel, vous l’avez fait comme on fait
une guerre, sans vous préoccuper réellement des dégâts
collatéraux. Le coût politique, social et même humain n’est pas
beau à regarder. Mais finalement, vous en êtes revenu pour faire
des concessions, admettre largement la prise en compte de la
dimension sociale dans le PAS. Certains de vos représentants
n’hésitent même plus aujourd’hui à reconnaître que cette option
n’était pas si bien fondée que cela.

Prévention et gestion des conflits

Vous avez aussi eu des choix, sujets à caution, pour lesquels
vous vous êtes consacrés sans réserve. C’est la
responsabilisation des organisations régionales dans la
prévention, la gestion et le règlement des conflits. Si l’idée
participe d’un souci de responsabilisation de ces associations
et d’une meilleure organisation de la communauté
internationale, il faut reconnaître que là aussi, vous êtes allés
trop vite en besogne, révélant par la suite votre souci d’éviter
l’engagement direct de nos hommes sur des théâtres africains,
quitte pour cela à mettre la main à la poche.

Non seulement,
cette idée n’a pas pu agir notablement sur les conflits, mais elle
a eu pour conséquence de nombreuses pertes en vies
humaines et en catastrophes économiques et psychologiques.
Plus graves, on a mis dans l’esprit des Africains que pour avoir
de l’argent et satisfaire quelques besoins économiques ou
politiques, il suffirait de déclencher des conflits et le tour était
joué.

Vous n’avez pas, mesdames et messieurs, encore tiré toutes
les conséquences de cette erreur d’appréciation, sauf que vous
convenez qu’il faut multiplier les structures d’entraînement et de
soutien aux forces régionales de prévention, de maintien et de
règlement des conflits. Il est un secteur cependant où vous
convenez, à l’exemple du PAS, qu’il faut rectifier le tir ; c’est la
confiance totale que vous aviez placée dans l’économie comme
moteur premier du développement général. Vous aviez tellement
fait confiance en ce choix, que vous avez minimisé l’impact
déterminant du politique sur la stabilité, la paix donc sur le
développement.

Pendant des décennies, tous les efforts ont été
consacrés à ce secteur, à la grande joie des dictatures qui n’en
avaient que pour l’efficacité, la sécurité et l’on sait ce que cela a
coûté en termes de rébellions, de coups d’Etat, de réfugiés, de
crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de crimes de
torture, etc. L’une de vos institutions, la Banque mondiale, vient
de reconnaître l’erreur et même de souhaiter incidemment que
l’ingérence démocratique ne soit plus considérée comme une
aberration. Il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Mais venons-en maintenant à l’essentiel, à l’objet de ma lettre ;
votre passion éperdue pour la société civile. Vous la cajoliez et
la combliez de tous les bienfaits. Mais le temps du bilan est
arrivé, le temps de l’audit a sonné. Faites le compte. Vous verrez
que si, ici et là, il y a des structures de la société civile qui luttent,
payant même le prix le plus fort pour la défense des valeurs
universelles de liberté, de démocratie..., c’est plutôt l’exception.

La société civile, un secteur doublement porteur

Il en est ainsi parce que, d’une part, les régimes en place en
Afrique ont compris que la société civile était un secteur
doublement porteur qu’il fallait investir. En raison de son
influence au plan national, de la confiance dont il bénéficie au
plan international, il faut aider grandement au maintien des
régimes en place. Alors, comme ils l’ont fait pour les partis
politiques, les syndicats..., les régimes en places ont multiplié à
souhait les organisations de défense des droits humais, d’ONG
et d’associations de toute nature, pour occuper à son compte le
"marché".

Par ailleurs, des marchands de rêve et autres
margoulins ont saisi l’occasion pour se muer en défenseurs
intrépides de causes humanitaires, flagellant sans
ménagement les responsables de partis politiques dont il fallait
ancrer dans l’esprit de tous, la démission pour assurer leurs
revenus.

Eh bien, c’est gagné ! Regardez aujourd’hui ce qui se passe
dans nombre de pays africains. On a installé solidement au
pouvoir des dictateurs qui pensent baiser tout le monde en se
faisant passer pour des défenseurs des droits humains, du
développement, allant même, pour certains d’entre eux, à se
faire délivrer, avec vos applaudissements, mesdames et
messieurs, les titres et distinctions les plus divers : docteur
honoris causa.

La Libye sera même portée devant vos yeux à la
tête de la Commission des droits humains des Nations Unies !
Si l’on prend le cas du Burkina Faso, ce pays, à quelques
erreurs près, est celui qui compte le plus d’associations dans le
monde. Toutes choses étant égales, la démocratie devrait
mieux s’y porter, le développement y être plus soutenu. Que
constate-t-on ?

Un nombre impressionnant d’atteintes aux droits
humains fondamentaux, des crimes économiques et de sang
impunis. Sur le plan de la démocratie, on a réussi, à force de
fraudes, de violations de la Constitution, de violences multiples,
à travestir la démocratie pour en donner la pâle figure d’une
démocratie factice. Au niveau du développement, malgré des
indicateurs flatteurs et une croissance positive fièrement
affichés, il y a un déséquilibre croissant entre les Burkinabè d’en
haut et les Burkinabè d’en bas.

Les populations ne voient pas
les retombées de cette croissance. Plus graves, le pays connaît
les affres de la pauvreté. Là-dessus, les autorités reconnaissent
elles-mêmes l’échec de leur politique de lutte contre la pauvreté.

La communauté internationale doit se ressaissir

Quand on ajoute à tout cela le noyautage et une certaine subtile
domestication de certains médias, l’inféodation de
l’Administration, des milieux coutumiers et religieux et la
privatisation de l’armée, on aura une vue de la gouvernance qui
se pratique au Faso.

Mais où sont donc passés ces chers
leaders de la société civile ? Si dans de rares pays on les
entend donner quelquefois de la voix et accepter même
l’embastillement pour dénoncer la mal-gouvernance, au Burkina
Faso, c’est plutôt au niveau des contre-pouvoirs de la société
politique que la résistance se constate. Ici, au Faso, il y a eu des
crimes horribles qui ont valeur de crimes contre l’humanité, de
torture, qui sont toujours dormants dans les cabinets.

La Constitution est littéralement martyrisée. Tout cela dans le
silence des protégés que sont les leaders de la société civile.
Parfois même, on voit certains d’entre eux cautionner cette
mal-gouvernance en reconnaissant le bien-fondé de certaines
atteintes à la loi fondamentale.

Alors, à quand la prise de conscience salutaire que là encore,
comme sur bien de vos prises de position, vous ne rendez pas
service aux peuples, mais à leurs dictateurs. Si ce n’est pas
comme certains mauvais esprits le laissent entendre, parce que
avez partie liée avec les oppresseurs africains, faites quelque
chose, donnez un signal fort.

Cela ne rétablira pas seulement la
confiance au plan des Etats africains entre leurs peuples et
leurs institutions, cela vous réhabilitera et améliorera les
perspectives d’une meilleure acceptation de la gouvernance
mondiale plus que jamais nécessaire, même si cela va coûter
cher en vies humaines pour que le Burkina Faso de demain soit
plus apaisé et plus libre à vivre.

Aristide OUEDRAOGO
Tél : 76 65 78 01

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?