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Côte d’Ivoire : Quand un officier de presse de l’armée française, raconte le pays d’ Houphouët-Boigny et de Soro (2)

Publié le jeudi 16 juin 2005 à 07h32min

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Quand un "officier de presse de l’armée française" succombe à l’Afrique (option Côte d’Ivoire) après avoir trop aimé Blow up d’Antonioni ou Duellistes de Ridley Scott, trop lu Luis Molina, Claude Simon, Paul Morand, Paul Auster, Georges Bernanos, trop écouté Diana Krall et Nina Simone, trop aimé la peinture de Andrew Wyeth ou de Jean-Daniel Bouvard, il faut craindre le pire.

"Le temps est décalé, le jour s’annonce, et déjà la nostalgie. Le regard de Pierre-Marie [officier français, ami de Neyrac depuis le collège militaire, dont il dit que c’est un "bon père de famille, honnête, qui ne demande qu’à bien faire son travail, mais qui s’est
fracassé contre l’Afrique et ses femmes"] se promène sur les branches des palmiers chargés d’eau, dans la fraîcheur de l’air climatisé. Le soujJle de la femme est faible, presque inaudible. Au loin, le soleil et les angoisses pointent. Et l’orage gronde, plus puissant qu’auparavant. Je ne sais pas pourquoi Pierre-Marie m’a dit qu’il avait beaucoup pleuré".

Georges Neyrac, de son vrai nom Peillon, installé à Mornant, à une trentaine de kilomètres de Lyon, vient de publier Ivoire nue. Ce sont, dit son éditeur, les Chroniques d’une Côte d’Ivoire
perdue (cf LDD Côte d’Ivoire 0146/Vendredi 20 mai 2005). Neyrac a séjourné à Abidjan de septembre 2003 à janvier 2004. Juste le temps de faire la tournée des hôtels balnéaires, des maquis, des restaurants et des boîtes de nuit, de détester la presse française et de se laisser prendre au jeu de la presse ivoirienne. Il n’y a pas que la presse française qu’il déteste. Les représentants des autorités françaises et onusiennes ne sont pas mieux lotis. Le porte-parole de la force Licorne, dans ses interviews, "lâche quelques phrases un peu creuses [...], des phrases
passe-partout". Celui de la Minuci est un "Algérien cynique qui déteste son travail". Quant au conseiller de l’ambassade, "la bouche emplie de dédain et d’une morgue outrancière [...], avec son ton obsèquieux et mielleux", il lui fait "l’effet d’un diplomate d’autrefois".
Côte analyse de la situation, tout est clair. "La crainte essentielle qui habite les Ivoiriens de
souche [sic], c’est la peur de l’autre, la crainte de celui qui a donné sa sueur autrefois". Et "l’autre", celui qui transpire beaucoup, c’est, nous dit-il, "la main d’oeuvre bon marché attirée
par le miracle économique ivoirien [Neyrac n’a pas entendu parler du travail forcé dans les ex-colonies françaises 7], ces populations "allogènes" venues du Burkina Faso, du Niger, du Mali ou de la Guinée" ; "[l’autre] est devenu encombrant, s’est fait humilier, et [...] par désespoir et fatalisme, a revêtu le costume incertain de la rébellion ".
Ces rebelles composent "des hordes de truands avec qui il faut pactiser ou négocier - on se demande pourquoi d’ailleurs, pour plaire à qui ? Pour quelle complaisance ? [...] Ces gamins sont comme des bêtes de contrebande, des trois fois rien, des voyous, des bandis formant des hordes mal habillées, la kalachinov en bandoulière, les tongs aux pieds, les lunettes de soleil masquant les yeux, un bandeau rouge ou jaune sur le front ". Il faut ajouter à cette vision quelque peu effrayante, un mental plus effrayant encore : "Tout le fatras des bons sentiments servis à la louche par de pseudo révolutionnaires germanopratins dépressifs" qui en fait des "combattants débiles".

Des alentours de Bouna, à l’extrême nord-est de la Côte d’Ivoire (frontière avec le Burkina Faso et le Ghana), il dit : c’est le "désert des barbares, domaine des tortionnaires et des rackets, des exactions et des supplices". "Bienvenue chez les Forces nouvelles, écrit-il, où la terreur est érigée en doctrine, où le viol et le vol sont inscrits en lettres d’or sur les fronts de combattants couards et vicieux. Trafic d’armes, de drogues, de voitures, de jeunes filles, de jeunes garçons,
les routes du Mali et du Burkina Faso sont ouvertes à toutes les contrebandes". A Man, dans l’ouest, les rebelles sont tout aussi effrayants : "On lit cette morgue sur leur visage, une expression de mépris, d’oubli de ce qu’ils ont été : de jeunes paysans courbant le dos pour le café ou le coton, travail trop dur certainement qui, dès la première occasion, les a conduit à prendre le maquis pour assaillir les agriculteurs, leurs pères, leurs frères, leurs soeurs".
En janvier 2004, Neyrac revient en France. "Je garde la mémoire en clair-obscur des filles des bars et des night-clubs, le souvenir de ces rondes de nuit, semblables à celles de ces chauve-souris qui survolent sans fin le centre-ville dès la nuit tombée, où les uns et les autres cherchaient à se perdre dans le plaisir et la jouissance, à la rencontre de celles qui, aujourd ’hui encore et toujours, périssent lentement de cette terrible solitude et qui mettent en oeuvre, encore et toujours, de subtiles manigances, de pervers stratagèmes et de cruels envoûtements pour toujours séduire et tenter de se sauver". Fin de parcours. Bilan personnel : "Je regarde et
j’essaie de comprendre l’Afrique. Non, définitivement non, nous n’avons rien à faire ici". Bilan professionnel (autrement dit : bilan pour la France) : "Nous avons été un peu comme ces bons Français qui se sont fait avoir par les go danseuses et qui cèdent au chantage à la grossesse ou à l’avortement en envoyant des milliers de francs CF A à ces filles déjà cajolées par d’autres bras. Comme eux, nous n’avons rien vu de la duplicité et de la perfidie [il s’agit, bien sûr de la
"duplicité" et de la "perfidie" des rebelles]. Non vraiment, personne n’a rien vu venir, ni les reproches, ni les appels au secours".
Dans ce livre, je le dis une fois encore, tout est vrai sans doute. Mais c’est une vérité sélective (d’autant plus sélective qu’elle se pique d’être "littéraire" et, par moment, "romanesque"). Cette vérité sélective, présentée dans un ouvrage signé par un "olficier de presse de l’armée française", pose plusieurs questions. Exprime-t-il, dans cet ouvrage, un point de vue personnel ou ce point de vue reflète-t-ill’opinion générale de l’armée française en Côte d’Ivoire à savoir qu’il y a eu "pacte" entre la France et les "rebelles" et que "c’est comme si nous avions parié sur le mauvais cheval" (cf LDD Côte d’Ivoire 0146/Vendredi 20 mai 2005) ? Un officier (très certainement supérieur) peut-il ainsi s’exprimer sans le feu vert de sa hiérarchie ? La mission d’un "officier de presse de l’armée française" est-il de communiquer sur l’action de la France en Côte d’Ivoire ou de porter un jugement sur cette action ? A-t-il mission de se faire le porte-parole d’une partie du tout (en l’occurence, Abidjan contre les Forces nouvelles) ? Voilà quelques interrogations qui me paraissent essentielles.

Et ces interrogations se retrouvent toutes dans une seule et même interrogation : quelle est la politique de la France en Côte d’Ivoire en particulier et en Afrique en général ? Si Neyrac perd ainsi pied, c’est sans doute que sa mission a été mal définie parce que, justement, la politique africaine de la France (et plus particulièrement sa politique ivoirienne) est erratique. N eyrac l’exprime par le biais d’une approche très personnelle ; Aminata Traoré, ancien ministre de la Culture et du Tourisme du Mali, et dont on sait l’engagement aux côtés des militants altermondialistes, l’exprime sous une forme politique dans sa Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général. Antoine Glaser et Stephen Smith s’efforcent de faire de cette problématique un best-seller ; cela s’appelle Comment la France a perdu l’Afrique et vient tout juste de sortir. l’aurai l’occasion, très prochainement, de reparler de ces livres. Un dernier mot sur celui de Neyrac. Si sa lecture laisse un profond malaise, c’est qu’elle permet de prendre conscience de l’extrême déliquescence dans laquelle se trouve la Côte d’Ivoire près de douze ans après la mort de Félix Houphouët-Boigny. Et c’est cela le pire !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 16 juin 2005 à 09:11, par Nogo En réponse à : > Côte d’Ivoire : Quand un officier de presse de l’armée française, raconte le pays d’ Houphouët-Boigny et de Soro (2)

    Moi je trouve tout à fait insultant que n’importe quel moins que rien puisse écrire un torchon sur l’Afrique, pourvu qu’il soit leucoderme, sans que personne ne dise quoi ce soit, pire encore ce sont les africains eux même qui assurent la promotion de leurs ouvrages comme Fasonet. Ce critic litéraire tout à fait hypocrite ne vaut guère mieux. La question qui ne se pose même c’est pourquoi après avoir visité des bars à putes en Côte d’Ivoire, un pseudo écrivain peut se prononcer sut toute l’AFRIQUE. Alors que les africains connaissent la France et l’Europe avant même de quitter leurs pays, à plus forte raison quand ils y vivent pendant des décennies mais ils n’écrivent jamais "leucologie" pour paraphraser d’autres torchons dans le genre.
    Franchement, ces condescendants feraient mieux de garder leurs idées sordides dans leur cercle d’amis qui partagent leurs fantasmes, somme toute, racistes sur l’Afrique.

    • Le 16 juin 2005 à 10:30, par Madiba En réponse à : > Côte d’Ivoire : Quand un officier de presse de l’armée française, raconte le pays d’ Houphouët-Boigny et de Soro (2)

      Parfaitement, ces écrits ne viennent confirmer que ce que ces gens pensent de nous : "L’Afrique c’est la merde". Je me rappelle dans le métro à Paris où un Monsieur se permet de dire que le sexe n’est pas un tabou en Afrique et comme preuve il me dit que les femmes africaines se servent de leur sexe pour vivre. Tout simplement parcequ’il a eu une femme dans son lit dès leur première rencontre lors de sa première visite en Afrique (Cameroun). Je n’ai pas manqué de le faire comprendre qu’il est tombé pile sur une prostituée.

      Parce qu’une femme s’est mal comportée, on se permet de dire que toutes les africaines sont des prostituées. C’est la règle chez eux, ils sont bons, nous sommes mauvais. Lorsqu’un africain se comporte mal, on généralise à tous les africains. Quant c’est eux qui se comportent mal, c’est un cas particulier. Quelle connérie.

      Contrairement à la précédente réaction, je dirai qu’il est bon de faire savoir aux africains ce que ces gens pensent de nous. Ce qui nous permettra de mieux les connaître et de les traiter exactement comme ils nous traitent.

      Ce que je ne manquerai pas de dire, c’est le comportement decevant de nos chefs d’état qui ne font que donner une mauvaise image de l’Afrique. Regardons ce qui se passe au Benin, en Côte d’Ivoire, c’est decevant. Bien que je sois un africain, je dirai qu’il y’a des merdeux en Afrique. Avec ces chefs d’état peut-on penser au developpement. Pendant que leur peuple sombre dans la misère, ils financent les partis politiques français. Quelle honte ?

      Avant tout le désordre en Afrique, qui en est le vrai responsable si ce n’est la France. Je vous conseille de lire le livre "Noir Silence" et "Ces Monsieurs Afrique" pour comprendre la politique française en Afrique.

      Bonne journée

    • Le 16 juin 2005 à 11:16, par Lefaso.net En réponse à : > Côte d’Ivoire : Quand un officier de presse de l’armée française, raconte le pays d’ Houphouët-Boigny et de Soro (2)

      Monsieur Nogo,

      Je suis d’avis avec une bonne partie de votre intervention. Mais quant à incriminer ceux qui font connaître ce que les autres pensent des Africains, je ne suis pas d’accord. C’est là le début de la censure et la porte ouverte à toutes les dérives.

      Si nous Africains, savions réellement ce que les occidentaux pensent de nous, peut-être qu’il y aurait moins d’immigration forcénée vers le Nord.

    • Le 16 juin 2005 à 11:43, par Sidnoma En réponse à : > Côte d’Ivoire : Quand un officier de presse de l’armée française, raconte le pays d’ Houphouët-Boigny et de Soro (2)

      je ne suis pas d’accord avec Mr NOGO quand il parle de Fasonet ; parce que Fasonet n’est qu’un support où vous et moi comme tant d’autres peuvent utiliser pour vehiculer l’information. Et ici ce n’est qu’un résumé de certains journaux qui n’a pas été fait par Fasonet mais par un site dénommé "lefaso.net" à ne pas confondre avec "Fasonet".

    • Le 17 juin 2005 à 13:19, par Nogo En réponse à : > Côte d’Ivoire : Quand un officier de presse de l’armée française, raconte le pays d’ Houphouët-Boigny et de Soro (2)

      Il faut relativiser un peu ce que j’ai dit sur un coup de colère de voir mon continent traité de "maison de close de la planête", je suis en général favorable à la liberté d’expression et dans ce sens Fasonet peut publier tous ce qu’il veut. En revanche, là où il faut faire attention, c’est ce qu’on pense de ce qui est publié. Si on publie quelque chose d’insultant envers nous même, il est quand même intéressant de faire une mise au point sinon, il y a des gens non avertis qui vont les lire et commencer à entrer dans ce schéma de pensée, la conséquence c’est le mauvais comportement qu’on constate chez bcp d’africains vis à vis de leur continent parce qu’on leur a appris à se mépriser eux même.

  • Le 16 juin 2005 à 11:52, par Roger Hoguet En réponse à : > Côte d’Ivoire : Quand un officier de presse de l’armée française, raconte le pays d’ Houphouët-Boigny et de Soro (2)

    cher Nogo !
    votre texte laisse apparaitre votre non connaissance parfaite du complexe dossier de la crise ivoirienne. vous vous etes donne du bon temps a venir jouir de vos organes sur la cote ivoirienne tout en survolant le fonds de cette crise. vous prenez le soin de parler du trait de legerete de la femme africaine comme si ici en occident le schema serait autre. Non, detrompez vous, ici la femme aussi affiche de grands traits de legerete, le sexe aussi se commercialise a des frais eleves et sans vergogne.
    Deuxiement,la crise ivoirienne est nee suite a des frustrations orchestrees par nos acteurs politiques qui ont minimise les derives de leurs alliances. aujourdhui la C.I se meurt sous le regard impuissant de tous. La vache a lait est malade du jeu d hypocrisie outree des politiques.
    La fameuse tribune de reconciliation nationale appelee de tous les voeux par l actuel tenant du pouvoir n a ete que du bluff et je regrette.
    qu a t - il fait des resolutions de ce forum ? et pourtant il avait toutes les chances de nous epargner de ce chaos actuel.
    reflechis bien et reecris sur les causes profondes de la crise ivoirienne.
    sinon pour ce qui est de ton texte actuel, tu n as fait que balancer un resume superficiel de ce triste tableau que les ivoiriens regardent avec doute et espoir.

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