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Diplômes et valeurs intellectuelles : Quel lien entre les diplômes et les valeurs intellectuelles ?

Publié le mercredi 15 juin 2005 à 07h16min

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"J’ai lu avec attention un article paru dans "Le Pays" n°3379 en
date du 23 mai 2005, page E, et intitulé " Limitation des
pouvoirs-les députés interpellés", en réaction à une interview
que j’ai accordée au même journal et publiée dans la parution
n°3363 du 27 avril 2005.

Après lecture, je n’ai pas pu résister à l’agréable devoir de
téléphoner à son auteur M.Hamado Sawadogo pour le féliciter
d’une part pour sa participation au débat et le remercier d’autre
part pour l’intérêt porté à mes propos. En rappel, dans
l’interview, tout en exprimant ma satisfaction dans la gestion
globale des municipalités, j’ai regretté que dans certains cas,
les ressources intellectuelles et/ou le niveau intellectuel soient
en deçà des charges, des droits et des devoirs inhérents à la
responsabilité des maires.

Sur ce point, M.Sawadogo Hamado, habité par une
compréhension scolaro-universitaire pointue des concepts,
invite la représentation nationale à y légiférer en fixant des
parchemins-planchers aux candidats aux différentes élections.
J’ai ainsi réalisé que je n’ai pas réussi à me faire comprendre
par ce lecteur qui n’est peut-être pas le seul, pour ne pas dire
qui n’est certainement pas le seul.

Tout le mérite revient donc à
M. Sawadogo qui l’a relevé et qui me donne ainsi l’occasion
d’expliciter le fond de ma pensée, en commençant par lui
présenter mes excuses car ce qu’il a pu comprendre est tout à
fait aux antipodes de ce que j’ai voulu exprimer.
En effet, les valeurs intellectuelles dont j’ai parlé sont celles
liées à la bonne compréhension des choses, à la bonne lecture
des faits, à la bonne vision de la vie, à la bonne perception des
phénomènes du monde et de leurs mécanismes.

Les titulaires
de ces valeurs, qui ne sont pas formellement évaluables et qui
ne donnent pas lieu à un papier, sont des femmes et des
hommes capables de prendre une décision et d’en assumer les
conséquences. Elles sont à distinguer des niveaux
d’instruction, de formation, d’alphabétisation et de scolarisation
qui sont traduits par des diplômes, des certificats, des
attestations et autres parchemins académiques et normalement
exigés lorsqu’il s’agit d’accéder à des emplois, à des fonctions,
à des formations supérieures, etc.

La preuve que, en parlant de ressources intellectuelles, je n’ai
pas pensé aux diplômes, est que j’ai réalisé une étude sur la
répartition socioprofessionnelle des élus, qu’il s’agisse d’élus
locaux ou qu’il s’agisse des députés. Cette étude révèle que la
totalité des maires du Burkina Faso - je dis bien des maires et
non des conseillers - sont bardés de diplômes et non des
moindres.

"Des illettrés qui additionnent, divisent, soustraient et
multiplient."

Bien qu’il existe une forte corrélation entre les valeurs
intellectuelles et les diplômes, les deux concepts sont tout à fait
différents et même parfois- je dis bien parfois-antinomiques. Si
je devais m’exprimer en ma langue maternelle (le mooré), je
dirai que le premier peut s’appeler "Yam" et le second "Bangré".

Il y a des gens qui sont nantis de grandes valeurs intellectuelles
et qui ne possèdent pas de diplômes ou qui n’ont même pas
été à l’école. Je dirai même que ce handicap de scolarisation
peut les amener à travailler avec leur intelligence et leur
imagination pour compenser l’insuffisance et percer dans la
société.

Je n’apprends rien à personne en affirmant que dans notre
pays, les plus grands opérateurs économiques, les plus grands
génies de l’entreprise n’ont pas de diplômes mais mieux,
emploient de grands universitaires.
Je suis quelquefois ébahi devant des personnes illettrées qui
additionnent, divisent, soustraient et multiplient pour arrêter une
facture en matériel divers, alors que pour les mêmes
opérations, un maîtrisard en mathématiques a obligatoirement
recours à sa calculatrice.

Par contre, il y a des titulaires de gros diplômes, grands
connaisseurs de la littérature, de l’histoire, de l’ économie,
capables de résoudre les équations différentielles les plus
compliquées, et qui font preuve de peu d’intelligence des
situations, à telle enseigne que l’on se demande si parfois, les
diplômes ne constituent pas un frein à l’initiative et à
l’épanouissement.

En ce qui concerne l’interpellation des députés à exiger un
diplôme pour briguer un mandat électif, je dirai tout de suite que,
compte tenu de la sympathie que j’éprouve pour M.Hamado
Sawadogo, je recherche les termes convenables pour opposer
de sérieuses réserves à cette proposition de limiter l’ assiette
des candidats aux élections.

En ce qui concerne la forme d’interpellation et en la prenant au
sérieux, je voudrais apprendre que la personne la mieux
indiquée n’est pas le député mais le gouvernement ou le
ministre compétent.

"L’assemblée compte 22% d’enseignants et de profs"

Car, même si le député peut initier une proposition de loi, c’est
le gouvernement qui dispose des arguments , des motifs et des
infrastructures nécessaires pour élaborer et défendre des
projets de loi devant le Parlement, comme il le fait couramment.
Si l’information apportée par M.Sawadogo selon laquelle, en
Ouganda, pour être député, il faut avoir le baccalauréat est vraie,
ça c’est le problème des citoyens de ce pays !

En tout cas au Burkina, il propose : " Vous pouvez par exemple
soumettre une loi dans ce sens. Vous pouvez suggérer en outre
que pour être député, il faille avoir Bac+2 de formation à
l’université ou dans une école supérieure ou avoir une licence.
Et l’on ne parlerait plus ou ne douterait plus des "ressources
intellectuelles d’un quelconque élu".

En clair, selon lui, la possession d’un diplôme serait une
panacée à tous les problèmes de gestion et de gouvernance.
En ce qui me concerne, je ne saurais cautionner la prise d’une
telle mesure, pour de multiples raisons :
- Une telle mesure serait contre-nature, parce que les
assemblées élues sont des représentations des populations
mandantes, le Parlement étant la Représentation nationale,
géographiquement et sur le plan socioprofessionnel ;
A l’exception des conditions liées à l’âge , à la nationalité et à la
jouissance des droits civiques et mentaux, toute disposition qui
tendrait à éliminer une couche sociale quelconque est
dangereuse ;
Une telle mesure serait impopulaire et discriminatoire, privant
les assemblées d’hommes et de femmes de qualité ;
Une telle mesure serait superflue, dans la mesure où l’on
peut faire confiance aux partis politiques et aux électeurs ; du
reste, sur le terrain, en matière de diplômes, les élus n’ont rien à
envier à quiconque.

Tenez ! l’étude relève que l’Assemblée
nationale contient par exemple 22% d’enseignants et de
professeurs dont 6% du supérieur, 19% d’Ingénieurs, 15% de
juristes, 10% d’économistes, 13% de cadres de banques-
assurances-commerce-industrie, pour ne citer que ceux-là ;
- Une telle mesure sera inapplicable en cas d’insuffisance des
effectifs, par exemple, dans un village donné, s’il n’y a pas
suffisamment de bacheliers ou autres diplômés pour les
candidatures. Faudrait-il faire appel à des diplômés d’autres
villages du Burkina ou d’ailleurs pour représenter les intérêts
des populations ?

Enfin, last but not last, une telle mesure ramerait à
contre-courant de la nouvelle vision progressiste des temps
modernes, où la communauté politique et la société civile
s’accordent pour faire participer à la gestion des affaires
publiques les minorités socio-politiques et les couches
sociales vulnérables naguère marginalisées, et cela à coups de
milliards de nos francs, de formation, d’ateliers, de promotion
des valeurs traditionnelles au centre desquelles se trouve
l’alphabétisation en langues nationales.

Cyril GOUNGOUNGA
Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 16 juin 2005 à 12:51, par Douni En réponse à : > Diplômes et valeurs intellectuelles : Quel lien entre les diplômes et les valeurs intellectuelles ?

    Dans ce cas, pourquoi se battre pour envoyer nos enfants à l’école ?

    Pourriez-vous pondre cet article si vous êtiez illettré ?

    Vous semblez confondre la capacité d’intiative et la capacité d’entreprise de chaque individu, sa performance individuelle avec l’acquisition de la connaissance ? aucun rapport

    • Le 16 juin 2005 à 14:15, par Jamal En réponse à : > Diplômes et valeurs intellectuelles : Quel lien entre les diplômes et les valeurs intellectuelles ?

      Le fait qu’une personne aie recu des connaissances ne signifie pas pour autant qu’elle peut mieux representer sa communauté. L’école nous donne un savoir dans des domaines précis pour exercer une profession. L’école burkinabè ne forme pas des futurs politiciens. Nous devons nous rendre compte que l’intégrité dont a besoin notre assemblée représentative ne se mesure pas en terme de diplômes mais bien en des valeurs humaines et sociales qui naissent chez certains et pas chez d’autres.
      S’il se trouve que cette personne soit diplomé, tant mieux mais cela ne constitue en aucun cas un critère d’élimination valable. Cela n’aura pour effet que de limiter les ressources morales et intègre que le Burkina possède.

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