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Entreprenariat des jeunes au Burkina : M. Noufou KANAZOE conseille de toujours choisir son domaine de passion

Publié le vendredi 28 juillet 2017 à 01h00min

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Entreprenariat des jeunes au Burkina : M. Noufou KANAZOE conseille de toujours choisir son domaine de passion

L’épineuse question de l’entreprenariat de la jeunesse au Burkina a fait l’objet d’un entretien avec Monsieur KANAZOE Noufou. Conseiller d’entreprise, facilitateur de décisions, accompagnateur des PME et PMI. Accompagnateur des jeunes à la création, membre organisateur des journées de l’entreprenariat.

Lefaso.net : Bonjour M. KANAZOE et merci de nous recevoir dans vos locaux pour cet entretien sur la problématique de l’entreprenariat au Burkina Faso. Pour commencer, nait-on entrepreneur ou le devient-on ?

Noufou Kanazoé (NK) : On devient entrepreneur. Par la définition même du mot, on se rend compte que c’est un verbe d’action, donc pour être entrepreneur, il faut être en action.

Lefaso.net : Faut-il préparer quelqu’un pour sa succession en entreprenariat ?

NK : Ce qui est recommandé est de préparer une relève, car nos enfants n’aiment pas toujours la même chose que nous. Il faut pourtant entreprendre dans le domaine que l’on aime. C’est la passion qui est la base de toute chose en entreprenariat.

Lefaso.net : Quelles sont alors les aptitudes nécessaires pour entreprendre ?

NK : La première aptitude c’est la persévérance parce qu’il y aura des chutes. On vous fermera portes et fenêtres. Et il faudra persévérer pour convaincre ceux qui vous ont fermé les portes. Pour qu’ils se rendent compte qu’ils ont intérêt à vous les ouvrir. Dans cette persévérance, vous allez développer des aptitudes comme le flair, l’écoute, la veille et la patience.

Lefaso.net : L’environnement burkinabè est-il favorable à l’entreprenariat ?

NK : Avec la persévérance, on parle moins de défaveur. On ne parle que d’opportunité. Et au BF il y a beaucoup d’opportunités. Mais les actions que l’Etat burkinabè entreprend sont prématurées. Par exemple, les 16 milliards distribués aux jeunes pour s’auto employer.C’est bien mais prématuré. Le FAIJ existe depuis 2008 avec un budget de 1milliard pour 500 jeunes à financer. Mais en finançant on a oublié l’accompagnement des jeunes. Un entrepreneur doit être accompagné par un entrepreneur (c’est vrai qu’il y a eu l’innovation avec le système de mentor.

Ce dernier va donner des conseils sur le plan technique et organisationnel). Il aurait fallu mettre en place un système d’appui conseil pour développer le marché des jeunes entrepreneurs, et leur relation. Au lieu de cela, il a été mis en place un système de suivi assuré par les agents du ministère de la jeunesse qui avaient une seule préoccupation, le remboursement du crédit. Quand on sait qu’un entrepreneur au démarrage a tous les problèmes du monde, il faut lui parler d’autre chose que du remboursement. Conséquences à nos jours, on ne peut pas faire un bilan du FAIJ. Le mérite du FAIJ c’est d’avoir lancé l’envie d’entreprendre aux jeunes.

Lefaso.net : Qu’est-ce qui explique que depuis 2008 on a eu la naissance de plusieurs projets et programmes mais que la situation du chômage n’ait pas beaucoup évolué ?

NK : Le problème du chômage est un problème structurel qui a besoin de solution structurée. Mais quand on le gère comme un problème conjoncturel, il va de soi que nous récoltions ces résultats. Tenez, l’annonce du nouveau programme par le premier ministre a été faite sous forme de propagande. On ne lance pas un programme aussi mûr qui veut résoudre le problème de l’employabilité des jeunes dans un pays sous cette forme. Pour 90% de ceux qui vont postuler, ce sont des occasions de prendre l’argent pour dilapider. Et les mêmes erreurs ont été faites depuis le FAIJ. On a vu des gens prendre cet argent pour danser sur Kwamé NKRUMAH.

Lefaso.net : Que proposez-vous ?

NK : Si on avait pris 1milliard par région ca faisait 13milliards. On mettait en place un fond de garantie. Pour permettre aux jeunes porteurs de projets de solliciter ce fonds de garantie. On lance un appel à compétition. Les institutions financières feront des propositions en matière d’accompagnement des jeunes dans la création d’entreprises.

Apres la sélection des institutions financières, elles publient les conditions d’obtention de la garantie pour bénéficier d’un financement en leur sein.Et on loge une partie du fonds de garantie dans les institutions qui auront réussi à l’appel à compétition dans les régions. Les jeunes dans la région sont informés des institutions agréées pour accompagner les projets. La compétition sera saine et les institutions feront tout pour que ces prêts soient rentables. L’Etat joue le rôle de contrôleur. Le Trésor a tous les outils pour contrôler ces institutions car c’est lui qui donne les agréments aux structures de micro finance. Il ne faut pas oublier l’accompagnement. Pour cela, il faut recruter par région des cabinets d’accompagnement des jeunes (un cabinet spécialisé dans l’accompagnement).

Le ministère de la jeunesse contrôle. A la fin de chaque année les institutions bancaires, les cabinets d’accompagnement et les jeunes se réunissent en AG pour faire le bilan. Le ministère de la jeunesse reçoit les conclusions de ces AG. Ainsi sur toute la chaine il y a de la transparence. On se fixe un deadline de trois ans pour renouveler cette opération. Ainsi ceux qui allaient réagir seraient des jeunes en phase d’apprentissage dans les ateliers, ou ceux qui ont déjà commencé une exploitation mais qui manquent de moyens. Car ils réunissent toutes les conditions pour être accompagnés.

Lefaso.net : Quelles sont les conséquences de la méthode actuelle du gouvernement ?

NK : La conséquence ce sont les situations qu’on constate. Les gens viennent se frapper dans les lieux de réception de dossier. Et dans ce lot il n’est pas évident que 10 jeunes veulent réellement entreprendre et savent dans quoi ils se lancent. La preuve est que chaque année on finance les jeunes en entreprenariat et chaque année les gens viennent s’aligner pour aller déposer les dossiers pour les concours de la fonction publique. C’est paradoxal. Ça devrait s’équilibrer. Ça veut dire que ce sont les mêmes jeunes qui déposent pour devenir entrepreneurs qui viennent encore déposer pour devenir fonctionnaires. Ainsi on prive des jeunes qui sont déjà en activité et qui ont besoin de cet argent. Et pire on n’amène pas ces jeunes à comprendre que pour entreprendre, il faut le mériter.

Entreprendre est une question de centre d’intérêt. Il est possible que l’Etat soit de bonne foi mais la solution est loin. Il y a des structures spécialisées qui peuvent accompagner ces programmes en l’occurrence la maison de l’entreprise. Le problème des structures publiques c’est le management pas l’efficacité. Les processus de décision sont lourds, le déclic ne vient pas automatiquement comme dans un privé. Sinon les responsables des structures publics et ceux du privé ont fait les mêmes écoles mais à un certain moment ils ont été formatés autrement. Car celui qui est allé pour faire un service public doit rester un agent du public. Mais quelqu’un qui décide de développer une initiative privée, qu’on accepte qu’il veuille faire des bénéfices.

Lefaso.net : L’Etat ignore-t-il que la méthode n’est pas la bonne ?

NK : L’Etat veut une chose et son contraire. Et c’est dommage. L’institution sait qui peut l’accompagner pour qu’il réussisse son programme d’insertion des jeunes par l’entreprenariat. Mais l’individu qui a le pouvoir délégué par l’Etat et qui a ses intérêts personnels n’a pas forcément la même vision que l’Etat institution. Le volet jeune du programme du président peut être enseigné dans toutes les universités du monde. Mais la mise en œuvre pose problème.

Le gouvernement ne devrait pas aller directement au financement dans le nouveau programme qu’ils viennent de lancer, (on ne peut pas réveiller un jeune qui n’a jamais été propriétaire de 200 000 pour lui donner un million et penser qu’il n’en sera pas fou. C’est une porte ouverte à tous les vices, ce qui rend le remboursement impossible). Je prends un autre cas, le centre de formation professionnelle de Ouagadougou. C’est un véritable incubateur d’entreprises. Mais quel est le lien qu’on a fait entre ce centre qui est un incubateur et le financement des jeunes ? Pourtant ces structures sont des propriétés de l’Etat mais fonctionnent de façon cloisonnée.

Tout y est. Il y a au moins 20 unités semi industrielles ou micro industrielles qui peuvent recueillir par entité 200 jeunes par an. Si on avait lancé un appel d’offre pour avoir un privé qui peut faire une offre d’exploitation du centre, aujourd’hui, ce centre était fonctionnel, car le privé à l’obligation de résultat. Si on avait imaginé des centres incubateurs de ce genre dans les 13 régions du Burkina, et mettre un milliard de fonds de garantie dans les institutions dans les 13 régions du Burkina comme expliqué plus haut, on avait résolu au moins la moitié du problème. Le tri allait se faire de façon naturelle.

« En entreprenariat on ne parle pas de moyen, il faut être doué, compétent »

Lefaso.net : On entend souvent dire que le système éducatif au Burkina forme des demandeurs d’emplois, non des pourvoyeurs d’emplois. Qu’en pensez-vous ?

NK : J’ai mis en place un programme d’immersion des jeunes en milieu professionnel. Car je recevais beaucoup de stagiaires (des étudiants sortis des grandes universités de ce pays) à qui il fallait réapprendre tout en milieu professionnel. Demandez à un étudiant en maitrise de vous faire un CV, il ira solliciter l’aide de quelqu’un. Il est honnête, à l’école on ne lui a pas appris. Il en est de même pour les lettres de motivation, les entretiens d’embauche, comment l’immersion en milieu professionnel, l’habillement et l’attitude. Et ils s’étonnent d’être des faiseurs de café et des coursiers dans les grandes structures où ils vont postuler pour des stages. On sort des écoles en se demandant ce que l’on va devenir.

Lefaso.net : Comment identifier un secteur porteur et quels sont les secteurs porteurs au Burkina ?

NK : Pour identifier un secteur porteur, il faut d’abord observer les acteurs du domaine. Est-ce qu’ils sont épanouis ? Arrivent-ils à vivre de leurs activités ? Ensuite analyser le secteur pour voir s’il y a des perspectives de marché et si ces marchés sont rentables et solvables ?
Quand on est dans le contexte burkinabè, il faut plutôt parler de filières porteuses. Par exemple, la filière mangue et on détermine les acteurs de la chaine de valeur (producteurs, transporteurs, et transformateurs). Par point de valeur, on essaie d’évaluer la rentabilité, la solvabilité et les perspectives de développement. Ce n’est qu’après cela qu’on pourrait dire si c’est une filière porteuse.

Lefaso.net : En tant que conseiller en entreprise, pouvez-vous donner une idée du taux de survie des entreprises au Burkina ?

NK : C’est difficile de déterminer cela. Il y a des entreprises qui ne survivent pas à la première année, qui 5 ans après renaissent plus fortes. Ce qui fait que je ne trouve pas que le taux de survivance soit un indicateur pertinent. Un entrepreneur peut ne pas réussir à la première année mais prendre du recul, murir son idée pour revenir sur la scène. En entreprenariat, mieux vaut connaitre les problèmes au début que de les connaitre devant. Si on intègre tous ces problèmes comme des expériences acquises, on sort grandi de cet échec qui peut nous permettre de préparer notre réussite.

Lefaso.net : L’âge et le genre de l’entrepreneur peuvent-ils jouer dans la survie d’une entreprise ?

NK : Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre d’années. Quant au genre, il y a des métiers qu’on a stéréotypés en fonction du sexe. Pourtant dans des métiers dits masculins, des femmes y ont réussi. Malheureusement on ne fait pas aussi des études comparatives poussées sur les femmes qui ont réussi en entreprenariat. Pour orienter les jeunes filles qui veulent se lancer. Pour vous dire que tout est dans l’amour de la chose, tout est une question de passion, il n’y a pas de métier propre à un genre.

Peut-on entreprendre sans argent ?

NK : Oui.

Lefaso.net : Comment ?

NK : Quand on veut se lancer dans la vie professionnelle, la première chose à faire c’est de savoir qui on est ? (il ne faut pas laisser quelqu’un nous dire qui on est). Il faut ensuite faire le point des personnes qui nous entourent (car ce sont nos premiers ressorts, on ne prend pas d’appui sur un ressort cassé). Il faut enfin se projeter dans l’avenir, c’est-à-dire avoir une vision (il faut avoir des objectifs au niveau social, professionnel et matériel). On peut entreprendre sans argent car dans son entourage, on peut avoir des gens à qui on peut solliciter des prestations payantes et les avoir gratuitement. On reçoit de la générosité de ceux qui nous entourent. S’ils sont convaincus par notre comportement et notre passion. Ceux qui nous entourent ne sont pas forcément méchants. Ils attendent qu’on les convainque pour qu’ils nous donnent tout. Au Burkina on te donnera sans calcul, mais encore faut-il que tu le mérites.

Lefaso.net : Quels conseils avez-vous pour les jeunes qui souhaitent entreprendre ?

NK : Mon premier conseil, c’est d’entreprendre dans un domaine où ils ont de la passion, des rêves en couleurs. Où il est épanoui car l’artisan du village artisanal n’est pas moins épanoui que le propriétaire d’une entreprise BTP qui brasse des chiffres d’affaires de milliards. Il ne sait pas ce que c’est que le stress, l’angoisse. C’est son domaine de passion. Il a une vie modeste mais épanouie, c’est un entrepreneur, il se crée de l’emploi, nourrit sa famille et vit son rêve. Mais celui du BTP ne rêve plus. Il a des salaires à payer, il est angoissé. La mission d’un entrepreneur c’est de répondre aux besoins de la communauté. Mon second conseil serait qu’il de modèle de référence que lui-même. Il est bien d’avoir une référence, mais le meilleur modèle qu’il aura pris dans sa vie c’est lui-même. Car là où son modèle va s’arrêter, lui il ne pourra pas dépasser cette étape. Mais s’il se prend comme modèle, il peut dépasser tout.

Lefaso.net : Quel est votre mot pour la jeunesse en général ?

NK : C’est de ne pas penser que c’est quand on est jeune qu’on peut faire toutes les bêtises. Il faut savoir que pendant que l’on fait ces bêtises, on ne peut avoir de l’accompagnement. Les gens veulent seulement qu’on ait un bon comportement, une passion et une vision pour nous accompagner. Il faut aussi profiter des relations que l’on a. (De 2008 à maintenant, j’ai donné mon numéro à des jeunes que j’ai formés dans le cadre du FAIJ.

Pour les aider dans les conseils. Ils ne sont pas 5 à m’avoir appelé. Ces jeunes, quand j’ai des opportunités de les faire participer à des formations, je le fais sans rien demander. Et ces mêmes jeunes qui ne m’ont jamais appelé diront qu’on n’accompagne pas les jeunes. Ce que ces jeunes veulent, c’est de la liquidité. Enfin, il ne faut jamais s’assoir à côté de quelqu’un pendant 2h sans savoir qui il est, sans que la personne ne sache qui nous sommes. Nous sommes dans un monde de relation et on ne sait pas qui est qui. Il faudrait qu’on ait des modules sur le leadership dans les écoles.

Ernestine W. OUEDRAOGO (stagiaire)
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