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Les intellectuels et la politique : Comment promouvoir une "science citoyenne" au service du développement ?

Publié le mardi 14 juin 2005 à 07h06min

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L’un des handicaps du développement en Afrique, c’est l’absence de réflexion prospective en rapport avec les réalités socio-économiques du continent. Le mal pourrait s’aggraver si le fossé entre la recherche fondamentale et les sciences appliquées n’est pas comblé. Les intellectuels, les partis politiques et les pouvoirs africains sont donc interpellés pour une meilleure collaboration pour promouvoir une science citoyenne au service du développement.

L’histoire humaine recèle de nombreux exemples où la participation des intellectuels a favorisé un saut qualitatif dans la conduite des affaires et contribué à la recherche de solutions à des questions politiques majeures. Les alternatives aux grandes difficultés ont généralement été conceptualisées par de grands penseurs, formalisées et portées par les politiques pour enfin être adoptées et opérationnalisées par les relais et les citoyens.

L’objet de notre article est de mettre en relief le rôle majeur que peuvent ou doivent jouer l’élite intellectuelle par le caractère prospectif de ses analyses et sa contribution à la construction d’un mieux-être collectif (économiquement, socialement et politiquement). Quelques exemples illustrent ces grands penseurs dont les réflexions ont eu en premier lieu des préoccupations nationales : David Ricardo, pour ce qui est de la théorie des avantages comparatifs, Thomas Hobbes et Jean-Jacques Rousseau de la notion de contrat social, Jean-Baptiste Say pour la théorie des débouchés ou encore John Maynard Keynes pour les politiques interventionnistes. Toutes ces théories ont été formalisées à des moments précis de l’histoire de leurs pays respectifs, dans des contextes déterminés, pour défendre des intérêts spécifiques. Leur généralisation n’est apparue que bien plus tard !

"Tropicaliser" la science et la technique au service du développement

S’il est vrai que les politiques publiques doivent être anticipatrices et partant, refuser de ne s’adapter qu’aux circonstances, il importe que nos intellectuels, dont la compétence est reconnue et appréciée sur le plan international, domptent la science, "la tropicalisent", pour en faire une science citoyenne, au bénéfice de l’intérêt national et/ou local.

En effet, il n’est pas rare de constater que bien de nos intellectuels sont plus portés sur l’explicitation des pensées de leurs confrères que sur l’analyse des difficultés auxquelles sont confrontés nos pays, régions ou villes.

Leur rôle devrait davantage porter sur la recherche d’alternatives aux obstacles qui se dressent face à nos sociétés. Car en réalité, la différence entre un intellectuel et un simple honnête citoyen, c’est bien parce que le premier est à même de comprendre que les décisions du gouvernant peuvent avoir pour objectif de protéger le second contre ses propres récriminations !

N’est-ce pas pour répondre à des préoccupations internes que les think- tanks ont été créés sous d’autres cieux ? Or il est établi que ces organisations sont constituées d’intellectuels de renom dont le souci premier est d’imaginer des issues qui maintiennent la prépondérance de leur organisation, même face à l’adversité. Partant, toutes les hypothèses peuvent être mises à l’épreuve pour déterminer les leviers sur lesquels il faut jouer pour assurer le succès.

La question qu’il faut alors se poser c’est : pourquoi nos intellectuels, n’en font pas de même ?

Pourquoi faut-il qu’en majorité, ils soient des matières grises à n’expliquer que les rêves des autres ? A attendre que Francis Fukuyama écrive en 1992 "La fin de l’Histoire" ou que Samuel Huntington s’essaye, en 1997, au "Choc des civilisations" pour emprunter les trompettes des alter-mondialistes et contre-attaquer ?

Pour être plus explicite, la théorie des avantages comparatifs qui est expliquée, explicitée et commentée à souhait dans toutes les universités du monde est, en premier lieu, le fait d’une analyse interne de la situation du commerce du blé en Angleterre, avant d’être généralisée.

C’est dire combien, dans le contexte socio-économique national, sous- régional, voire international qui est celui de nos pays et les défis auxquels ils seront immanquablement confrontés, nos intellectuels ont le devoir de susciter des réflexions prospectives et constructives.

Des sujets ? Il y en a à profusion : le cas du coton et ses incidences sur les politiques commerciales, l’équilibre régional, la territorialisation des économies, le communautarisme, la fongibilité des frontières, la remise en cause du contrat social dans sa conception originelle, etc., sont quelques-unes des préoccupations auxquelles ils pourraient donner leurs avis et leurs hypothèses.

La diplomatie aussi...

A titre d’exemple, pourquoi n’envisagerait-on pas une diplomatie "communautariste" ? Eu égard à la dynamique d’intégration dans laquelle se sont engagés les pays qui constituent, par exemple, l’UEMOA ou le CEN-SAD, et sachant qu’ils partagent sensiblement les mêmes valeurs, avec des intérêts qui se confondront au fur et à mesure que le processus se consolidera, n’y a t-il pas lieu d’imaginer des scénarii pour une diplomatie portée vers la défense des intérêts d’une telle communauté ? Auquel cas, il faut se projeter sur l’avenir, essayer de faire fi des contingences actuelles, en ce qu’elles sont des facteurs limitant de la prospection, pour imaginer des hypothèses d’une structuration à même de répondre à ce questionnement.

Alors que nos sociétés s’individualisent de plus en plus, que les certitudes d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui, tout comme ces dernières ne seront pas celles de demain, l’anticipation semble être la piste la mieux indiquée pour trouver les alternatives à des questions auxquelles nous n’échapperons évidemment pas.

Le souhait est donc que les intellectuels, notamment les chercheurs, apportent leur éclairage à la gouvernance des organisations. Pour cela, il importe qu’ils "apprivoisent" la science et la contextualisent pour servir de points d’appui aux processus de développement. La science aiderait, de ce point de vue, à être citoyenne, au profit de la communauté, tout comme les pouvoirs devraient s’appuyer sur la science pour trouver les solutions idoines aux préoccupations des populations. La pertinence des programmes politiques des partis politiques peut être un indicateur révélateur de la réalité de cette coexistence constructive. Et le défaut dans la prise en considération des réalités d’aujourd’hui serait le péché originel que les uns et les autres lègueraient à la postérité.

Brice SAGNAN
L’Hebdo

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