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Espace CEDEAO : Où en sommes-nous avec la monnaie unique ? Réponse avec le Directeur chargé de la surveillance multilatérale, Lassané Kaboré (1/2)

Publié le lundi 3 juillet 2017 à 01h22min

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Espace CEDEAO : Où en sommes-nous avec la monnaie unique ? Réponse avec le Directeur chargé de la surveillance multilatérale, Lassané Kaboré (1/2)

Inspecteur du Trésor de formation, Lassané Kaboré est le Directeur chargé de la surveillance multilatérale à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à Abuja au Nigéria. Avant d’accéder à cette fonction suite à un concours en 2008, il a occupé plusieurs postes de responsabilité au sein de l’administration burkinabè dont celui de Directeur des affaires monétaires et financières (DAMOF). Mis à la disposition de son pays en 2013, il a occupé la fonction de Directeur général de la coopération (DGCOOP), jusqu’à la fin de la transition et réintègre son institution communautaire en 2016. A travers cet entretien que nous proposons en deux séquences, ce fonctionnaire international, très en alerte sur les questions monétaires, parle de son travail au sein de l’institution communautaire, du processus de mise en œuvre de la monnaie unique de la CEDEAO, du FCFA et des performances de son pays, le Burkina Faso.

Lefaso.net : Dites-nous, en quoi consiste votre travail au sein de la CEDEAO ?

Lassané Kaboré : La Direction de la surveillance multilatérale relève du département des politiques macroéconomiques et de la recherche économique. Ce département a essentiellement deux directions à savoir celle de la surveillance multilatérale qui s’occupe de tout ce qui concerne l’analyse économique et les performances des pays et la direction de la recherche et des statistiques. La surveillance multilatérale consiste justement à suivre les performances des Etas membres par rapport aux critères macroéconomiques de convergence retenus dans le Pacte de convergence et de stabilité de la CEDEAO. Vous savez que pour les pays de la CEDEAO, les pères fondateurs de l’institution, ont décidé d’avoir à terme une union monétaire. Pour ce faire, les pays doivent travailler à faire converger les niveaux de déficit budgétaire, d’inflation, ainsi que les politiques économiques et monétaires.

Parce que si vous créez une monnaie où il y a trop de disparités entre vos économies en matière de gestion des finances publiques, cette monnaie serait difficilement viable. C’est pourquoi, le rôle de cette direction est de travailler à la stabilité macroéconomique des Etats membres afin de permettre l’avènement de la monnaie unique au niveau de la CEDEAO.

Où en sommes-nous avec la monnaie unique ?

A la suite de ma prise de fonction en 2008, une feuille de route pour la monnaie unique de la CEDEAO a été élaborée et soumise à la Conférence des chefs d’Etats et de gouvernement qui l’a adoptée en 2009. Dans cette feuille de route, il a été retenu 2020 pour la création de la monnaie unique de la CEDEAO. Des progrès notables ont été accomplis depuis cette adoption dans la réalisation des activités. Ainsi, en matière d’union douanière, le Tarif extérieur commun (TEC) a été adopté et mis en vigueur le 1er janvier 2015. Toutefois, lorsqu’on adoptait cette feuille de route, un certain nombre de facteurs exogènes dont font face les Etats membres n’étaient pas prévisibles. Par exemple en 2009, lorsqu’on adoptait la feuille de route, le Nigeria qui est l’économie dominante car représentant en moyenne 70% du PIB régional, avait une croissance robuste, un déficit faible, un taux d’inflation stable et des réserves en mois d’importations nettement supérieures à la norme communautaire qui était de six (6) mois.

Aujourd’hui les chocs exogènes ont conduit à une dépréciation du Naira (monnaie nigériane) qui était à un niveau assez stable. La chute du prix du baril de pétrole, cumulée à une baisse de la production et les questions sécuritaires avec la résurgence d’actes terroristes ont naturellement plombé la croissance du pays et conduit à une dépréciation du Naira par rapport au dollar américain et bien entendu, par rapport aux autres devises.

En plus de l’émergence de la secte terroriste Boko Haram au Nigeria, il y a également les pays de la bande sahélo sahélienne comme le Burkina, le Niger, le Mali qui sont également confrontés aux mouvements terroristes. Les efforts qui ont été déployés en matière de lutte contre l’insécurité dans ces pays, se sont faits au détriment des secteurs porteurs de croissance et de développement économique. Ce sont donc des chocs qui n’étaient pas prévus, des facteurs exogènes qui n’étaient pas prévisibles et qui viennent handicaper et freiner l’élan de vouloir créer la monnaie unique en 2020.
La monnaie unique dans l’espace CEDEAO n’est pas pour demain alors ? Alors que depuis un moment, de nombreux mouvements, notamment de la société civile, invitent à se départir du FCFA qui est une monnaie coloniale. Est-ce que tous ces facteurs susmentionnés sont connus de tous ?

Je ne dirai pas qu’elle n’est pas pour demain. Même si on recule l’échéance, c’est quelque chose qui est déjà acté. Vous l’avez si bien dit, nos populations demandent que nos Etats puissent aller, comme ce que la CEDEAO le dit, vers « la CEDEAO des peuples », donc vers l’intégration économique et monétaire. Pour aller à une monnaie unique et pour qu’elle soit viable et crédible, il faut des fondamentaux. Souvent il n’y a pas assez de communication, ce qui fait qu’il y a de la spéculation. Si l’on communiquait plus souvent, il n’y allait peut-être pas avoir de mouvements contre le FCFA. Peut-être que beaucoup ne savent pas qu’il y a une feuille de route pour aller vers la monnaie unique et qu’une Task Force sur la mise en œuvre de la feuille de route de la monnaie unique de la CEDEAO, supervisée par quatre chefs d’Etat à savoir les Présidents du Niger, du Ghana, de la Côte d’Ivoire et du Nigeria, a été créée. Il convient également de rappeler l’existence de la Task Force mise en place pour suivre les entraves à la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO et confiée au Président du Burkina Faso.

En raison de tout ce qui se passe, est-il possible que le FCFA connaisse une dévaluation comme en 1994 ?

C’est une question assez difficile à répondre. Je ne maitrise pas tous les facteurs mais je regarde les fondamentaux des économies des pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire Ouest africaine), qui utilisent dans notre espace CEDEAO, le Franc CFA. Quand vous examinez la situation de ces pays de l’UEMOA, il n’y a pas de dérapage sur le plan de la gestion des finances publiques. Par ailleurs, le niveau du ratio couverture des réserves en mois d’importation est confortable. Peut-être qu’il y a d’autres raisons parce que je ne suis pas de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) mais je regarde seulement les performances des économies de nos Etats membres notamment le niveau de déficit budgétaire, les réserves brutes en mois d’importation, les taux de croissance etc. Donc en se basant sur les indicateurs de performance et les fondamentaux des économies des pays, je ne pense pas que cela soit une nécessité.

Depuis quelques jours vous êtes au Burkina. Quel est l’objet de votre présence dans la capitale burkinabè ?

Nous sommes là dans le cadre de l’analyse des performances de l’ensemble des 15 Etats membres de la CEDEAO, toujours en lien avec cette mission de surveillance multilatérale. Actuellement nous examinons les rapports de 2016 élaborés par chaque pays par rapport aux indicateurs de convergence qui ont été retenus. Par exemple au niveau de la CEDEAO, on demande aux Etats d’avoir un déficit budgétaire qui ne soit pas supérieur à 3%. On leur demande aussi de ne pas avoir un endettement supérieur à 70%, ainsi qu’un taux d’inflation supérieur à deux chiffres. Nous examinons toutes ces performances et bien d’autres ratios portant sur le niveau de la masse salariale, les réformes économiques entreprises par chaque pays en vue de consolider la croissance et de créer des emplois décents, les difficultés ainsi que les facteurs explicatifs decertains dérapages budgétaires.Cela permet de formuler des recommandations aux Etats membres en vue de consolider la convergence des économies et la création de l’union monétaire de la CEDEAO.
Les conclusions du travail technique que nous allons faire seront soumisespour examen au Conseil de convergence, qui regroupe les Ministres des Finances et les Gouverneurs des Banques centrales.

Que retenir des performances de votre pays, le Burkina Faso ?

Le Burkina a fait des progrès parce qu’il a renoué avec la croissance. On est parti de 4% en 2015, qui était une année difficile à 5,9% en terme de taux de croissance en 2016. En matière de mobilisation de recettes, il y a eu aussi des progrès. Mais il faut dire que pour le Burkina, la partie qui attire l’attention des participants est surtout le poids de la masse salariale et subséquemment celui des charges de fonctionnement. Quand vous regardez le ratio et la masse salariale, par rapport aux recettes, elle (la masse salariale) est assez importante et largement au-dessus de la norme communautaire retenue qui est de 35%. Naturellement, il sera demandé au Burkina Faso d’y remédier. Il faut que, dans le cadre du programme pluriannuel de convergence du Burkina Faso l’on sente qu’il y a un effort de maitrise de la masse salariale et une amélioration des recouvrements des recettes. Si le pays arrive à augmenter sensiblement la mobilisation des recettes et maitriser la poussée de la masse salariale, cela permettra de réduire le niveau du ratio et de revenir à la norme communautaire.

Entretien réalisé par Marcus Kouaman
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