Affaire Thomas Sankara : « C’est triste de ne pas pouvoir identifier l’ADN, mais cela ne met pas fin aux poursuites », Me Bénéwendé Sankara
LEFASO.NET | Par Tiga Cheick Sawadogo
La contre-expertise dans l’identification des ADN du président Thomas Sankara et ses 11 autres compagnons d’infortune s’est aussi révélée vaine. Après les experts du laboratoire de police de Marseille en France, ceux de l’université de Santiago en Espagne également ne sont pas parvenus à trouver les ADN des victimes du coup d’Etat du 15 octobre 1987, enterrés à la hâte au cimetière de Dagnoën. Les résultats de la contre-expertise ont été portés à la connaissance des différentes parties le 19 juin 2017. C’est avec ‘’amertume’’, surprise que Me Bénéwendé Stanislas Sankara, avocat de la famille du président Sankara depuis 20 ans, a accueilli les conclusions. Par contre, cela ne met pas fin aux poursuites. D’ailleurs à l’endroit des auteurs, des complices, la moisson est fructueuse, nous a-t-il confié dans cette interview.
Lefaso.net : Déjà, rappelez-nous le contexte qui a suscité la demande de la contre-expertise…
Me Bénéwendé Stanislas Sankara : En réalité, c’est une demande en contre-expertise formulée par les ayants droits du président Thomas Sankara, mais aussi par les ayants droits de 11 autres familles. Sur les 13 victimes du coup d’Etat du 15 octobre 1987, il y a une famille qui n’a pas jugé nécessaire de demander la contre-expertise.
En rappel en mai 2015, quand il y a eu les exhumations suite à la décision du juge d’instruction d’y procéder, il y a eu en même temps une expertise balistique, une autopsie et la troisième expertise était l’identification du test ADN. Je précise que c’était le laboratoire de police de Marseille en France qui avait été commis pour faire ce travail d’identification de l’ADN, qui s’est révélé malheureusement infructueux.
Quand les résultats ont été livrés aux différentes familles, le juge naturellement a demandé les avis des uns et des autres. La famille du président Sankara avait demandé une contre-expertise. C’est donc pour cela que le juge d’instruction s’est référé à un laboratoire espagnol, notamment de l’université de Santiago qui a pris pratiquement deux ans, pour enfin transmettre les différents résultats ainsi que les prélèvements.
C’est ce résultat qui a été livré le 19 juin par le juge d’instruction aux ayants droits et leurs avocats, aux inculpés en présence également de leurs avocats ; mais aussi du commissaire du gouvernement près le tribunal militaire. Donc ce sont des résultats qui ont été officiellement communiqués à toutes les parties.
Pour me résumer, c’est une contre-expertise qui a pris sa source avant même l’insurrection. Si vous vous rappelez il y a déjà 20 ans, dans les différentes procédures que nous avons menées dans cette affaire, la question de l’identification des restes a toujours été posée.
C’était la requête des parties civiles, mais le dossier était bloqué. Avant la fuite de l’ancien président Blaise Compaoré, il n’était même pas possible d’instruire le dossier. Ce n’est véritablement que sous la transition qu’il y a eu une procédure d’instruction sérieuse qui a permis de mettre l’action en mouvement en procédant à des inculpations. L’autre pan de la procédure, c’est le test ADN qui avait été demandé…
Que disent exactement les résultats qui ont été communiqués aux différentes parties ?
La conclusion, c’est que l’expert dit qu’il n’a pas été observé un profil génétique. Cela veut dire que l’expert de l’université de Santiago a abouti aux mêmes conclusions que l’expert français, à savoir que le résultat était négatif. C’est sans équivoque. Aussi bien pour les restes du président Thomas Sankara, que pour les restes des autres 11 autres victimes. Tous les prélèvements qu’on a envoyés ont donné le même résultat…
A l’ouverture des tombes, il y a des crânes qui avaient des touffes de cheveux, des habits que certains ont reconnus, et il y a même des pièces d’identités, là c’est clair. D’un point de vue scientifique, on estime qu’on ne peut pas identifier l’ADN, c’est cela qui crée la polémique. Mais nous ne sommes pas des scientifiques, nous avons demandé à deux laboratoires qui sont de notoriété mondiale d’identifier. Ils nous disent qu’ils ne retrouvent pas. Vous comprenez pourquoi en tant que profane, on est impuissant, estomaqué, surpris…
Est-ce à dire que ce n’est pas par exemple Thomas Sankara qui a été inhumé dans cette tombe ?
Non, non, ce n’est pas ce que cela veut dire. C’est ce qui donne lieu à des spéculations et à des polémiques. Ça crée un doute, puisqu’on confronte les prélèvements des restes du président avec les prélèvements qui ont été faits sur les membres de sa famille. Mais au regard des résultats scientifiques, les experts disent qu’ils n’ont pas pu identifier l’ADN.
Les raisons, c’est-à-dire les intempéries, la mauvaise conservation des corps (exposés de façon littérale à la surface), peuvent être une des causes. Mais je précise que je ne rentre dans ces rasions parce que je suis avocat, pas expert génétique.
Notre rôle en tant qu’avocat c’est de rapporter exactement ce que le juge nous a communiqué. Nous avons même demandé qu’on nous donne copie des deux rapports et nous attendons la réaction du juge.
Dans le cadre de ce dossier, il y a des personnes qui ont été inculpées, certaines ne peuvent-elles pas situer si c’est effectivement à Dagnoen que Thomas Sankara et ses compagnons ont été enterrés ?
Je ne trahis pas le secret de l’instruction. Si vous remontez, par voie de presse il y a 30 ans, certains avaient déjà fait leurs témoignages. Ce qu’ils ont vu, ce qu’ils en savent, ils en ont parlé. Il y a des témoignages, mais également des éléments scientifiques qui résultaient de l’autopsie et de l’enquête balistique qui viennent charger ceux qui sont retenus. Voilà pourquoi je dis que le fait de n’avoir pas identifié l’ADN n’est pas une occasion de disculper les présumés coupables.
Après les résultats de la contre-expertise, quelle est la suite ?
La procédure ne s’est jamais arrêtée. Par exemple, pendant que les experts cherchaient l’ADN, le juge a continué des auditions, des confrontations, et à faire des commissions rogatoires. Maintenait ce qui peut venir, c’est l’inhumation des restes. C’est une étape possible. Il s’agira aussi de continuer la procédure par rapport aux infractions qui ont été dénoncées.
N’oubliez pas que ceux qui sont aujourd’hui inculpés sont poursuivis pour plusieurs chefs d’infractions. Assassinat, faux en écriture publique, recel de cadavres, complicité…donc les infractions sont établies. La question qui est posée au juge d’instruction qui cherche à charge et à décharge des éléments de preuve, est de pouvoir établir la culpabilité au regard de la responsabilité pénale.
Le problème d’identifier l’ADN venait préciser l’identité des victimes du coup d’Etat du 15 octobre 1987. C’est vrai qu’aujourd’hui, c’est de l’amertume de ne pas pouvoir identifier l’ADN du président Thomas Sankara et de ses compagnons. C’est même un gout amer que nous avons à travers la gorge, mais cela n’enlève en rien à la poursuite aux plans juridiques et judiciaires du dossier. Le juge d’instruction continuera à faire son travail, peut-être jusqu’à prendre une ordonnance de clôture et de renvoi devant une juridiction de jugement.
Maintenant les résultats de l’expertise balistique est une piste, puisqu’on a découvert dans les tombes des balles qui permettent même de savoir quelles sont les armes qui ont été utilisées. Pendant les exhumations, il y a même certaines familles qui ont reconnu des objets appartenant au défunt.
Au regard de ces éléments, je pense qu’à ce stade, le juge d’instruction a beaucoup d’éléments d’appréciations. Ce qui crée le gout d’inachevé, c’est que si l’ADN était certifié de façon indubitable, cela permettait à tous ceux qui cherchent la vérité, qui luttent pour la mémoire du président Thomas Sankara , de savoir où sont ses restes.
Mais ça ne fait pas un frein à la procédure, c’est ce qui m’intéresse en tant qu’avocat. Ce n’est pas un élément qui constitue un obstacle à la procédure.
Mais comme beaucoup ont pu l’écrire, l’énigme Sankara est qu’il est resté immortel et il est partout. C’est ce que je retiens en définitive. Mais d’un point de vue la justice, si depuis 30 ans tout concorde à dire qu’il a été assassiné, la justice doit faire son travail jusqu’au bout pour appréhender ses assassins, les juger conformément à la loi pour la vérité juridique et pour l’histoire. C’est triste de ne pas pouvoir identifier l’ADN, mais cela ne met pas fin aux poursuites.
Si la famille n’avait pas demandé et si le juge ne voulait pas d’ADN, il pouvait juste se limiter à la balistique. Tout comme il pouvait se limiter à l’autopsie, il pouvait aussi se contenter des témoignages…Même ceux qui sont inculpés ont reconnu certaines choses. Mais chacun se défend en disant qu’il y avait un contexte, un mobile, ceci ou cela. C’est un travail au niveau de la défense et du juge dans la reconstitution les faits pour tirer les conséquences en droit.
Juridiquement en quoi l’identification des restes est importante dans la recherche des assassins ? Pour le commun des mortels, il faut plutôt chercher qui sont ceux qui ont tiré et les commanditaires, que de s’échiner à faire des tests sur le restes des défunts …
Oui, l’histoire liée à l’assassinant du président Thomas Sankara fait qu’aujourd’hui il y a beaucoup d’anecdotes, beaucoup de choses se disent et chacun y va de son commentaire. Deuxièmement, tous ceux qui ont été sauvagement tués le 15 octobre 1987 ont été enterrés nuitamment selon les témoignages, à la sauvette. Ceux qui ont eu le courage d’aller le 16 octobre sur les tombes, se sont rendu compte que c’était des corps plus ou moins exposés.
Je ne pense pas qu’aucun membre de la famille ait été présent et a pu identifier les corps avant qu’on les inhume. A ce stade si on vient vous dire qu’on a la possibilité d’un point de vue du droit de prospecter et s’assurer que c’est effectivement Thomas Sankara qui était inhumé là ; c’est un droit inaliénable que la famille disposait pour avoir le cœur net. C’est qui a d’abord guidé la démarche de la famille Sankara. Ne serait-ce que par dignité de la personne humaine, je pense qu’il fallait le faire.
Troisièmement, pour nous autres profanes, chercher le test ADN était une évidence. Nous pensions qu’avec les membres de la famille qui ont donné leur sang pour la confrontation, cela aboutirait. Il y a 20 ans, on ne pensait même pas qu’on pouvait ouvrir la tombe. Sous Blaise Compaoré on a vu tous les manèges pour bloquer le dossier. N’eut été l’insurrection, peut-être que ce dossier était certainement dans un tiroir. Mais à la faveur de la lutte de notre peuple, de cette quête, de cette aspiration pour la justice et pour la démocratie, le peuple burkinabè s’est imposé une justice qui a permis d’ouvrir le dossier Thomas Sankara.
C’est pourquoi cette requête qui émanait de la famille a été en réalité prise en compte par le juge d’instruction qui lui-même a demandé qu’on puisse d’abord exhumer pour qu’il constate qu’il y a des restes dans les 13 tombes présumées. L’autre élément, c’était de s’assurer ce qu’étaient ces restes, c’est ce travail qu’il a essayé de faire.
Les tombes ont été ouvertes en présence des membres des familles. Là, on a découvert effectivement des ossements, des morceaux d’habits que certaines familles ont reconnus. C’était insoutenable, certaines familles ont même refusé de venir. C’est plus que du cannibalisme quand on regarde, on se demande comment des êtres humains peuvent faire ça à leurs semblables. Encore qu’il s’agissait des frères d’armes et des amis, comprenez que le choc est grand.
Certains en se fondant sur des valeurs traditionnelles, ont estimé qu’il n’était pas indiqué d’exhumer des restes et même de les envoyer à l’étranger pour des examens…
Non, dépassons ça pour aller de l’avant. Il y en a qui ont même dit qu’il ne va pas pleuvoir quand on a ouvert les tombes. Le Burkina Faso est un pays qui a besoin de progresser avec aussi la science. Si la science peut nous permettre d’aller de l’avant dans la vérité juridique, il faut l’exploiter. Pourquoi nous avons des tribunaux modernes ?
Comment la famille du président Thomas Sankara a accueilli les résultats de la contre-expertise ?
Moi-même je trouve cela un peu choquant. La première fois, on a plus supporté en se disant que si c’était infructueux à Marseille, ailleurs les résultats seraient concluants. Mais comme cela prenait du temps, on a commencé à se poser des questions et on nous a rassurés que c’est la complexité des restes humains qui fait que l’expert traine. Puisque les restes ont quitté un pays pour aller à un autre en suivant des procédures, il fallait aussi des autorisations administratives pour rapatrier les prélèvements et les résultats.
Mais quand on a dépouillé et qu’on nous a lu qu’il n’a été observé aucun profil génétique pour ces marqueurs, on savait que les résultats étaient négatifs, c’est attristant. Les espoirs se sont estompés. Mais ce désespoir n’a pas du tout touché notre persévérance dans la recherche de la vérité et la lumière. Bien vrai on n’a pas trouvé d’ADN, mais cela ne veut pas dire qu’on n’a pas tué Sankara. Il est en chaque burkinabè, il vit parmi nous, dans son peuple. Mais qui l’a tué, qui a fait qu’il n’est pas physiquement là, est-ce qu’on l’a séquestré ? De ce point de vue, le dossier demeure entier et le juge a la responsabilité de dire qui a fait quoi, voilà pourquoi on ne s’est pas du tout découragé. On est restés stoïques et la lutte continue.
Mais où en sommes-nous avec le dossier en lui-même ? Quand va-t-on assister à la clôture de l’instruction et au jugement du dossier ?
Le juge d’instruction est maitre de sa procédure. Le dossier a des ramifications. Si le juge estime qu’il a suffisamment d’éléments pour rendre une ordonnance, il va le faire. S’il estime qu’il n’a pas d’éléments, il va rendre une ordonnance de non-lieu comme on l’a vu dans l’affaire Norbert Zongo. Mais nous, nous pensons que le juge a suffisamment d’éléments, d’indices pour soutenir à charge que les infractions qui ont été commises le 15 octobre 1987 sont réelles, établies. Maintenant qui ont des auteurs, des co-auteurs, des complices ?
Il y en qui sont aujourd’hui inculpés, en liberté provisoire, certains sont incarcérés et d’autres sont en fuite comme Blaise Compaoré qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international. Le juge continue de chercher d’autres. Là, la recherche n’est pas infructueuse. A l’endroit des auteurs, des complices, la pêche a donné, la moisson est fructueuse.
On a fait compte rendu à la famille à qui il appartient de prendre une décision pour qu’on notifie au juge d’instruction. Nous sommes des courroies de transmission, on n’est pas là pour prendre une décision, on est là pour conseiller, assister, défendre les intérêts de nos clients et leur assurer une garantie de leurs droits devant la justice…
Au regard de tous les éléments dont il dispose, il appartient au juge de situer les responsabilités et prononcer les peines le plus rapidement possible. Cela me fait maintenant 20 ans, mais je rends grâce à Dieu, aujourd’hui je suis fier de voir qu’il y a des jeunes avocats qui sont prêts pour la relève. Aussi longue sera la nuit, le jour viendra…
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Interview réalisée par Tiga Cheick Sawadogo
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