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France : Brigitte Girardin parviendra-t-elle à réanimer la politique africaine de la France ? (2)

Publié le vendredi 10 juin 2005 à 08h26min

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Ministre déléguée à la Coopération, au Développement et à la Francophonie dans le premier gouvernement de Dominique Galouzeau de Villepin, Brigitte Girardin s’installe rue Monsieur. Qui est devenue, depuis quelques années, un cul-de-sac.

Xavier Darcos, Pierre-André Wiltzer et, avant eux, au temps des "socialistes", Charles Josselin, qui ont eu en charge ce département ministériel, ont passé leur temps à chercher leurs marques. Du même coup, le discours français sur l’Afrique est devenu indigent. Ce n’est pas de la responsabilité de ceux qui le tiennent ; c’est de la responsabilité de ceux qui les obligent à le tenir.

L’Afrique a besoin d’experts et de spécialistes des questions africaines et du développement, d’hommes et de femmes qui s’y investissent totalement. C’est ce qui s’est passé au cours de la période coloniale ; on prenait le temps d’étudier, d’apprendre et de comprendre avant d’expliquer aux autres. Ce n’est plus le cas.

Il y a un an, François Soudan, qui sait de quoi il parle, interrogeant Darcos pour JA./L ’Intelligent (nO 2271/18-24 juillet 2004), avait terminé son entretien par un laconique "Bon courage" à l’adresse du ministre ; un "Bon courage" qui voulait tout dire. Entre "on peut
penser", "peut-être", "il est d’ailleurs difficile de faire la part des choses", "éventuellement", etc. qui traduisaient l’incertitude du ministre, il n’y avait pas de place pour le courage, la volonté, la détermination. En quelques mots : un grand dessein franco-africain (cf LDD France 0239/Lundi 9 août 2004).

L’inélégance de son départ de la rue Monsieur (qui sont ces ministres qui acceptent d’être nommés mais pas d’être démis, se croyant titulaire d’une fonction qui n’est, par essence, qu’intérimaire et à la discrétion du chef du gouvernement ?) claironnant que, mal venu chez Chirac-de Villepin, il "ira voir en face" chez Sarkozy, ajoute à l’inanité de son action au gouvernement. Il y a eu erreur de casting en ce qui le concerne, mais ce n’est pas une raison pour cracher dans la soupe !

Après dix années d’errements de la politique franco-africaine, le bilan est affligeant et s’accumule tout naturellement sur les épaules du dernier nommé : Darcos. Ce bilan s’exprime, actuellement, dans deux ouvrages (tous deux significatifs ; tous deux tout à la fois suffisants et insuffisants) : Comment la France a perdu l’Afrique (Antoine Glaser et Stephen Smith - Calmann-Lévy) ; Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général (Aminata Traoré - Fayard).

A l’issue du sommet France-Afrique organisé à Ouagadougou du 4 au 6 décembre 1996, le président Compaoré avait déclaré : "Si l’Afrique devait rester en marge des préoccupations de l’ordre mondial du troisième millénaire, alors elle sera forcément une bombe et ses radiations se répandraient certainement loin". Quelques mois auparavant, dans le Journal du Dimanche (30
juin 1996), il avait préconisé "d’élaborer et d’articuler les axes d’un nouveau partenariat tourné vers le développement" et de "promouvoir l’émergence de politiques nationales industrielles s’encastrant harmonieusement dans des zones économiques régionales". Ce n’était pas nouveau, mais il était bon qu’un chef d’Etat africain le dise.

Le Club de Rome, réuni en conférence à Yaoundé, le 12 décembre 1986, disait déjà : "L’Afrique souffre, aujourd’hui, de contraintes politiques et économiques qui risquent de l’exclure des grands choix mondiaux". C’était il a dix ans ; c’était il y a vingt ans. Ce diagnostic est plus que jamais d’actualité.

Le problème avec la volatilité des responsables des politiques de coopération, c’est que le nouveau venu passe son temps à enfoncer des portes ouvertes. Alors que ses interlocuteurs sont là depuis des années, des décennies. Et qu’il y a permanence des problèmes. Une permanence telle que les gardiens de la rue Monsieur, généralement, préférent se préoccuper d’un volet de leur activité qui est, lui, institutionnalisé : la Francophonie.

Or l’Afrique noire francophone (mais pas seulement ; c’est vrai, aussi, pour bien des peuples des Caraïbes, d’Amérique et d’Asie) est en attente d’une réponse française à ses problèmes. Pourquoi ? Parce qu’ils parlent français ou parce qu’ils ont, avec la France, un lien historique. Quelle peut être cette réponse ? C’est, une fois encore, le président Blaise Compaoré qui nous l’apporte. C’était à la fin des années 1990 (en 1998 exactement alors qu’il présidait l’OUA), à l’occasion d’un colloque organisé par l’Assemblée nationale française sur "la nouvelle politique africaine de la France". Le chef de l’Etat burkinabè affirmait alors : "Il faut désormais établir des relations fraternelles". Fraternité et solidarité sont sans doute les maîtres-mots de ce que doit être la coopération française.

Brigitte Girardin se voit confier la garde des clés de la rue Monsieur alors que, dans quelques jours, va se tenir à Paris la conférence, au niveau des ministres des Affaires étrangères, préparatoire au prochain sommet de Bamako. Ce sera le XXIIIème sommet France-Afrique.

Le dernier peut-être ; car chacun se lasse d’assister à cette grandiose et coûteuse cérémonie qui ne cesse de poser des problèmes sans jamais apporter de solutions. Le premier sommet s’était tenu à Paris le 13 novembre 1973. Il Y avait, autour de Georges Pompidou, six chefs d’Etat africains : celui du Niger, promoteur du projet, Hamani Diori, Jean-Bedel Bokassa, Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, Sangoulé Lamizana, Albert-Bernard Bongo.
Ce dernier a, depuis, changé de prénom puis de nom. Les autres sont morts, le dernier en date étant Lamizana (cf LDD Spécial Week-End Oil8/Samedi 28-dimanche 29 mai 2005 et Burkina Faso 058 à 06i/Lundi 30 mai à Jeudi 2 juin 2005).

Aujourd’hui, le Niger crie famine ; le Sénégal se dépatouille dans les difficultés de l’alternance ; la Côte d’Ivoire a sombré dans la pire crise (à noter ce matin, lundi 6 juin 2005, l’entretien de Laurent Gbagbo accordé à France Soir) ; le Burkina Faso et le Gabon sont confrontés à une présidentielle qui suscitera plus de frustrations que de passion d’ici la fin de l’année 2005.

Si le sentiment anti-français n’est exprimé que par des minorités manipulées dans une perspective politique, partout, en Afrique, il y a incompréhension vis-à-vis de la politique africaine de la France. En schématisant, on peut affirmer que le "non" de la France à l’Union européenne est comme un lointain écho au "non" de l’Afrique francophone à la France. Ce n’est pas une réponse à la question posée, c’est l’expression d’un malaise profond qui est perçu comme un abandon. Les "élites" françaises n’assurent pas plus en matière de politique intérieure qu’en matière de relations internationales.

Si j’évoque les "élites", c’est que ce n’est pas seulement la classe politique qui est mise en cause ; le divorce se situe également vis-à-vis d’une classe dirigeante qui comprend l’administration et le patronat, les uns et les autres donnant l’impression de ne se préoccuper que de leur intérêt immédiat. En Afrique, l’administration française et le patronat français sont, eux aussi, désormais, trop souvent absents ; ce ne sont pas les ONG (leur bilan n’est pas aussi satisfaisant qu’elles veulent bien le dire) qui comblent le vide.

Il y a urgence à mettre l’Afrique à l’ordre du jour de nos priorités. Si vous n’en n’êtes pas convaincus allez faire un tour du côté de la gare du Nord, des banlieues et des quartiers "périphériques" de la capitale ; à Douala, Abidjan, Lomé, etc. sans oublier les villages du Sahel ou de la forêt où la misère, l’analphabétisme, le désoeuvrement, les maladies, l’insécurité, etc. composent le quotidien. Rue Monsieur, il y a un ministère en charge de la coopération et du développement, prioritairement dans la zone francophone. Ce devrait être une raison d’espérer pour tous ceux qui, par l ’histoire ou la langue, appartiennent au même espace que nous.

Ou faudra-t-il continuer à ne penser les relations franco-africaines qu’en termes militaires ou de gestion de situations de crise (est -ce un hasard si l’Ambassadeur en mission, Haut représentant pour la sécurité et la prévention des conflits est un ex-gardien de la rue Monsieur, Wiltzer) ?

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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