LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Débat présidentiel français : aux antipodes de la communication politique

Publié le samedi 6 mai 2017 à 23h19min

PARTAGER :                          
Débat présidentiel français : aux antipodes de la  communication politique

Sur les chaînes de l’Hexagone, l’épilogue du second tour de la campagne présidentielle française du 7 mai 2017 s’est matérialisé par le face-à-face Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Beaucoup d’experts y vont de leurs analyses. La démarche que nous proposons prend en compte certains constituants de la forme qui permettent de mieux apprécier le fond.

Du constituant formel

Le constituant formel englobe le code non-verbal et le code verbal. Le code non-verbal est culturel, et prend en compte les aspects vestimentaires et gestuels. Pour ceux qui ont suivi le débat sur une chaîne de télé, Marine Le Pen et Emmanuel Macron sont tous deux de bleu vêtus. Si c’est la couleur symbole de la candidate Frontiste, cela peut sembler une coïncidence pour Macron, car le décryptage de ce code vestimentaire donne autre chose. Pour le cas de Le Pen, le bleu renvoie à la mère océan (Marine), mais surtout aux valeurs chrétiennes dont elle se veut la gardienne, cette couleur étant le symbole de la Vierge, et partant de la dévotion. Par ailleurs, le bleu de Le Pen marque l’appartenance à l’aristocratie française.

Dans les châteaux feutrés de Louis XIV, les femmes faisaient oindre leur corps d’huile rare de sorte à avoir une peau diaphane, laissant transparaître des veines injectés de sang bleu, le symbole filial de la noblesse. Enfin, le bleu est la première bande du triptyque des couleurs nationales de la République française. L’équipe nationale de France, toutes disciplines confondues, s’appelle Les Bleus. Macron a dû choisir cette couleur sur fond de chemise blanche, assortie d’une cravate bleue, pour marquer son appartenance à la mère patrie. Du point de vue du code vestimentaire, les deux candidats sont à égalité.

Au niveau de la gestuelle, Marine Le Pen s’est mise dans une posture offensive, sinon protectrice des valeurs de la République. Son visage affiche une expression tantôt grave, même sévère (sourcils cruels), tantôt hilarant et sarcastique (mâchoires crispées) selon qu’elle sermonne son vis-à-vis ou qu’elle rit de ce qu’elle considère comme les impairs de sa gestion en tant qu’ancien ministre de l’économie. Le déictique accusateur (doigt-index) est chaque fois pointé sur Macron qui lui, adopte une attitude défensive. L’avant-bras gauche instinctivement accoudé sur la table, les doigts joints en faisceau, Macron tente de résister aux assauts de Le Pen et d’apporter du poids à son argumentaire. Parfois, les mains centrifuges, il adopte une attitude docte, ou alors il se met en posture de gendarme, la main levée, paume ouverte, pour interrompre son interlocutrice dans sa diatribe violente et intempestive. Excédé, le candidat ovni (ni droite ni gauche) lui-même vire au rouge, s’agitant frénétiquement et c’est Le Pen, se montrant tout d’un coup maternaliste, qui demande au jeune Macron survolté si « ça va mieux ! ».

Le code verbal regroupe tous les actes relevant du langage oral. Le débat a duré plus de deux heures, et fut dans l’ensemble très houleux. Une diatribe politique inouïe a été servie au public par les deux candidats susceptibles de représenter la France au plus haut niveau. Point de langage diplomatique pour arracher des points auprès d’un électorat indécis. Il faut « parler pour convaincre » non pas les électeurs déjà acquis à leur cause, mais plutôt une bonne partie de l’électorat qui fuit les deux écueils de Charybde et Skylla : ni Macron ni Le Pen.

Certes, c’est un débat qui relève d’une certaine communication politique, négative de surcroît, où l’on agit sur le mental du public en cherchant à rudoyer son adversaire. C’est la technique du conditionnement, et la candidate du Front national a bien compris que pour marquer son territoire de confrontation, elle devrait passer à l’offensive. D’entrée de jeu, elle aligne des allégations et accusations, s’écartant parfois du sujet pour exhumer des dossiers qu’elle juge compromettants pour son vis-à-vis. Dans les 10 premières minutes du débat, Macron tente de défaire la toile gluante qui s’abat sur lui. En matière de communication politique, les 5 premières minutes sont déterminantes. Le reste du temps est consacré à une logorrhée ennuyante, comme nous le constatons par exemple chez nos hommes politiques en Afrique. Si Macron semble maîtriser son sujet, quoique parfois perturbé par les salves de son interlocutrice, Le Pen, elle, s’est contentée d’amasser des preuves contre son vis-à-vis, qui l’amènent à plonger chaque fois le nez dans une paperasserie à la limite brouillonne. Peu importe, chez elle, il faut déconstruire le débat, désarçonner l’adversaire, le confondre, le marquer de façon émotionnelle de sorte que celui-ci épuise son temps de parole à démentir les accusations portées contre sa personne. Malgré la cacophonie provoquée par cette situation, Macron arrive à lancer une contre-offensive : « Mme Le Pen, vous mentez (…) J’ai eu des victoires, j’ai eu des échecs… ». Il commence à développer son argumentaire, chaque fois interrompu par la Frontiste, qui prévient avec emphase : « Attention, ne jouez pas avec moi à l’élève face à son professeur ! ». Le décor est ainsi planté pour le reste du débat.

De l’analyse du contenu

L’ordonnancement du débat donne à voir plusieurs thèmes abordés de façon transversale par les deux candidats : le social, l’économie, l’Europe, la monnaie, la sécurité, la politique extérieure, etc. Il serait fastidieux sinon prétentieux de faire une lecture croisée du programme des deux candidats sur les différents sujets. D’ailleurs à quelle fin ? C’est plutôt les aspects liés à la communication politique à partir du débat qui nous intéressent particulièrement.

La communication politique a ses règles. Pour tout homme politique qui cherche à devenir un vrai tribun, cela demande une préparation minutieuse. La maîtrise de soi, du sujet, de l’art oratoire, et avoir une capacité de persuasion sont autant d’éléments qui font du verbe politique un verbe du cru, c’est-à-dire un langage original, plaisant et réaliste. Pour ceux qui se rappellent l’histoire de Gérard Kango Ouédraogo et de son alter égo Joseph Ouédraogo, dans l’ancienne Haute-Volta, le peuple a eu droit à l’époque à des joutes inédites. Pareil entre Nazi Boni et Joseph Ki-Zerbo, Maurice Yamégo et Ahmed Sékou Touré de la Guinée, etc. Dans un autre registre, la verve révolutionnaire de Thomas Sankara a également charmé face à la « grande expérience » de François Mitterrand.

À l’opposé d’un certain Sarkozy face à Hollande en 2012, Le Pen et Macron ont servi un débat musclé, d’une rare violence qui occulte l’essentiel de leur programme respectif. Concernant le volet social qui regroupe la question des salariés, des impôts sur le salaire, du chômage, de la retraite et de la sécurité sociale, Le Pen lance une pique à Macron : « Moi, je suis la candidate du pouvoir d’achat des Français, vous, vous êtes le candidat de la vente (…) Tout n’est pas à vendre, tout n’est pas que dividende (…) Si le taux de chômage est élevé, c’est de votre faute. Vous n’avez pas à culpabiliser les Français. Ne les infantilisez pas, vous n’êtes qu’un candidat par défaut… ». Quand bien même en économiste averti, Macron essaie d’apporter chaque fois des réponses par des chiffres, Le Pen enfonce le clou. L’émotionnel finit par l’emporter sur la raison, et le dialogisme s’installe. Autre point d’achoppement, la question de l’Europe. Le Pen réaffirme sa volonté d’organiser un référendum (en septembre) si elle est élue, aux fins de quitter l’Union, à l’instar du Brexit en Angleterre. Elle clame la souveraineté des peuples, la souveraineté économique et monétaire. Elle envisage même un retour au Franc. Une vision ridicule, selon Macron, qui assène sa vérité : « Votre projet de sortir de l’euro est mortifère. Il faut éviter la guerre des monnaies ». Sur la question de la sécurité, Marine attaque sans sourciller : « Les fondamentalistes et tous les radicaux dehors ! » En jetant l’anathème sur l’UOIF , elle annonce des mesures énergiques dont la déchéance de nationalité, mais aussi des « mesures chirurgicales » sur les onze (11) mille fichiers classés S.

Macron, pour tenter de dédramatiser la situation peinte en noire par Le Pen, lâche d’une voix exaspérée : « Vous êtes la grande prêtresse de la peur (…) Le piège, c’est votre discours de haine, de division. Le plus grand souhait des terroristes, c’est la guerre civile ». Il n’en fallait pas plus à Le Pen de revenir sur le cas algérien, déstabilisant son jeune interlocuteur par une citation qui jette le trouble dans l’esprit des Français : « Vous dites que la France a une responsabilité dans le terreau du terrorisme (…) Vous êtes même allé en Algérie pour dire que la France a commis un crime contre l’humanité. C’est pousser les jeunes terroristes à se radicaliser contre la France… ». Une arme fatale, un coup imparable. Macron essaie de faire diversion, mais Le Pen insiste, sachant bien que le cours électoral peut être plié en sa faveur à ce moment-là ! L’émission est en direct, la question posée et réitérée doit recevoir une réponse à la seconde près. Comment répondre sans heurter les sensibilités en France comme en Algérie et dans le Monde arabe ? Macron balbutie, bredouille quelques mots, puis marque de nouveau son territoire d’assurance par son intime conviction : « Vous mentez aux Français, il faut regarder son passé en face, et ne pas cultiver la haine. Jacques Chirac l’a fait avant moi (…) Les enfants nés en France peuvent aussi se radicaliser. Notre République doit avoir une place pour chacun et chacune. Notre pays a détruit la République qui les a nourris ». En parlant au nom d’une République unie face au danger terroriste, Macron s’est mis dans la posture d’un vrai homme d’État ! Le clou du débat s’est joué à ce niveau.

En politique extérieure, Le Pen dénonce l’allégeance de Macron à la chancelière allemande Angela Merkel, allant jusqu’à ironiser que même si celui-ci est élu, la France sera de toute façon gérée par une femme ! La candidate Frontiste soutient également qu’elle est la mieux placée pour parler à Donald Trump et à Vladimir Poutine. Macron, pour sa part, souhaite renforcer le partenariat avec les États-Unis surtout au sein du système des Nations unies. Il a judicieusement saisi la « carte blanche » de l’émission pour faire un clin d’œil à l’Outre-Mer et aux personnes handicapées. Dans sa diatribe corrosive, Le Pen n’a pas manqué de dire entretemps à Macron qu’il est « jeune de l’extérieur mais vieux de l’intérieur ». Une allusion à sa femme Brigitte Trogneux, la probable Première dame qui est de loin son aînée de vingt ans ?

En tous les cas, les deux candidats ont abordé la question de la politique extérieure de la France avec certains pays et continents, en l’occurrence l’Europe, l’Amérique, la Russie, la Chine, le Monde arabe, etc. L’Afrique, elle, aura été la grande absente de ce débat. Quid de la Françafrique ?

Dr Dramane Konaté
Sémiologue, écrivain.

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 7 mai 2017 à 20:46, par Brahma En réponse à : Débat présidentiel français : aux antipodes de la communication politique

    Vous avez produit un beau texte, c’est bien, félicitations.

    Mais un de mes rêves pour lequel je ne cesserai de travailler est d’arracher les africains noirs francophones à certaines stérilités françaises, certaines études parlant y compris l’influence médiatique. A défaut, je ne vois pas de chance pour la créativité pratique si les peuples restent encore longtemps exposés à de telles influences les incitant à se complaire dans le statut d’éternels assistants ou observateurs de la marche du monde. Suffit déjà le fait qu’on est collectivement atteint via les lourdeurs inutiles et l’improductivité de nos administrations.

  • Le 7 mai 2017 à 22:01, par Diallo Mamoudou En réponse à : Débat présidentiel français : aux antipodes de la communication politique

    Merci pour cette analyse riche en enseignements. Jai suivi le débat du début a la fin j’ai très peu appris sur les programmes des candidats. Cette analyse m’eclaire davantage sur la posture communicationnelle de chacun des candidats.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique