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Retour de « l’enfer libyen » pour migrants irréguliers : Des témoignages poignants

Publié le mardi 25 avril 2017 à 00h00min

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Retour de « l’enfer libyen » pour migrants irréguliers : Des témoignages poignants

Depuis la chute de Kadhafi, la Libye est devenue le terreau des trafics de tout genre. Armes, drogue, pétrole, et pire, le trafic humain a pris de l’ampleur. S’y rendant dans l’espoir d’embarquer pour les côtes européennes, les migrants irréguliers d’Afrique subsaharienne y sont victimes d’esclavage et de multiples exactions. Le mercredi 19 avril 2017, le bureau pays de l’organisation Internationale pour les Migrations (OIM) au Burkina a organisé en collaboration avec l’ambassade du Burkina à Tripoli le retour volontaire de 154 migrants irréguliers en Libye.

Accueillis à l’aéroport international de Ouagadougou, ils ont affiché leur joie d’avoir été extirpés du calvaire libyen. Nous nous sommes rendus le lendemain sur le site d’accueil de ces rapatriés, notamment sur le site d’accueil d’urgence de Somgandé pour en savoir plus sur leur séjour en Libye. Si certains ont accepté témoigner volontiers à visage découvert, d’autres ont préféré garder l’anonymat. Il ressort de ces entretiens que la Libye est devenue un pandémonium pour les migrants irréguliers, surtout noirs qui y ont trouvé résidence ou qui sont en transit pour les côtes européennes.

Adama Koala, Burkinabè d’origine vivait en Côte d’Ivoire avec ses deux femmes et exerçait le commerce, notamment celui de la noix de cola. A la recherche de meilleures conditions de vie, il a choisi de migrer EN 2011 en Lybie avec sa deuxième femme, la plus jeune. La première, elle, est partie dans son village attendant leur retour. Il nous relate son vécu :

Adama Koala cherchait à revenir au Burkina Faso depuis quatre ans.

« Cela fait quatre ans, tous les jours, je cherchais une solution pour rentrer chez moi au Burkina en vain. Tu ne peux pas aller à l’ambassade, car tu es sûr d’être attrapé en cours de route et mis en prison pour une rançon. Tu travailles tous les jours avec les Libyens ; mais à la fin du mois, si tu réclames ton salaire, ils menacent de te tuer avec une arme et t’exigent de continuer à travailler sans réclamer ton salaire. On ne peut pas tout dire… Une nuit, j’étais assis avec ma femme, les bandits sont venus nous demander l’argent et nos biens tels que nos téléphones portables. Nous leur avons dit que nous n’avons plus rien. Ils sont partis. Le lendemain vers 13 h, ils sont revenus en plus grand nombre et déterminés à prendre de l’argent ou nous amener dans leur prison. J’ai fui et je me suis caché dans un jardin public. Quand ils ont vu que j’étais parti laisser ma femme, ils l’ont laissée et ils sont repartis. Nous ne dormons pas les nuits, nous sommes chaque fois en alerte danger. »

« La peau noire n’est rien en Libye, tu es moins qu’un animal. »

« Libyens n’ont pas peur de Dieu », nous confie la femme de Adama Koala. « On travaille pendant un an, mais on ne te paye pas. Si tu décides d’arrêter de travailler, on te menace de mort avec une arme. La peau noire n’est rien en Libye, tu es moins qu’un animal. J’y suis allée rejoindre mon mari. On viole les femmes. Il vaut mieux rester chez toi travailler ; même si ce n’est que 100 francs que tu gagnes, ça vaut mieux qu’en Libye. Tant que les libyens ne volent pas, ils ne peuvent pas avoir à manger. Et ce sont les noirs qui payent. La mort est banale et chaque moment tu es en danger de mort. »

L’itinéraire du migrant irrégulier

Originaire de Garango, Abdou Zombra (pseudonyme) a décidé d’aller en Libye par la voie irrégulière en 2015. Passant par le Niger, notamment par Niamey puis Agadez, il a atteint la Libye par Gatrun (ou Al Katrun) dans le Sud en embarquant dans des véhicules pick-up. Il explique que c’est à partir de là que les migrants se dispersent en fonction de leurs destinations. Certains se rendent dans les villes de l’intérieur dans l’objectif de trouver du travail, mais ceux voulant tenter la traversée de la Méditerranée pour l’Europe vont à Tripoli. Là, ils y travaillent afin de constituer des finances pour payer l’embarcation. Arrivé depuis 2015, « moi, je faisais tout ce qui pouvait me procurer de l’argent pour vivre et j’économisais pour prendre une embarcation pour l’Italie », nous confie Zombra Abdou.

Cependant, il explique que comme c’est le cas pour la plupart des migrants irréguliers, il pouvait passer un mois sans avoir son salaire vu qu’il était en situation irrégulière. Les employeurs font travailler les migrants irréguliers sans les payer et menacent de les tuer si toutefois ils réclament leurs salaires ou décident d’arrêter de travailler. « Nous étions traqués par les bandits et même certains policiers qui nous dépouillaient de toutes nos économies et de tous nos biens. » Finalement, il était devenu difficile pour eux d’avoir la somme afin d’embarquer pour l’Europe. Ce denier dit avoir été attrapé par les bandits, mis en prison pour une rançon en échange de sa liberté. Il y avait cette éventualité qu’il soit vendu à un autre trafiquant qui pouvait augmenter à son tour la rançon à verser ou à un particulier qui pouvait exiger qu’il travaille sans salaire ; il pouvait encore subir des abus sexuels. Nous sommes « très soulagés d’être revenus au Burkina ». « La meilleure des solutions pour nous était de trouver de l’argent pour la traversée » nous dit-il.

Poursuivant, il confie que les trafiquants qui proposent l’embarcation sont de mèche avec les gardes côtiers libyens. Après vous avoir embarqués, ils donnent l’information aux gardes côtiers qui vous interceptent en pleine mer ; en ce moment, soit on vous écroue en prison, soit on vous exige une rançon pour votre liberté. Lorsqu’un migrant est emprisonné, c’est la somme de 1000 dinars libyens (environ 100 000francs CFA) qui lui est demandée. Dans cette condition, ce dernier est obligé d’avoir recours à ses parents pour qu’ils leur envoient cette somme.

Un groupe nous relate comment est organisé le réseau

Dans nos échanges avec un groupe de quatre jeunes burkinabè ayant quitté la Côte d’Ivoire pour la Libye, ces derniers de retour sur la terre de leurs ancêtres nous ont relaté comment le réseau est organisé. Pour eux, il existe un réseau dans les pays de départ qui propose, moyennant une somme, des facilités aux personnes désirant migrer par la voie irrégulière en Libye et en Europe. Ce réseau a des membres communément appelés « cocsaire » (négociants) dans les pays de départ, dans les pays de transit et dans les pays d’arrivée. C’est un membre de ce réseau qui est généralement un Africain de race noire qui informe les gardes côtiers ou les bandits de la situation des migrants, leur position pour qu’ils soient arrêtés et emprisonnés. Une fois emprisonnés, c’est ce membre encore qui négocie avec le Libyen la rançon que le migrant doit consentir pour retrouver la liberté. Il récupère la rançon auprès des parents du migrant et le verse. Lorsque vous voulez tenter la traversée de la mer méditerranéenne, c’est ce même réseau qui vous propose une embarcation et vous dénonce aux gardes côtiers. Vous êtes perpétuellement arrêté et emprisonné. Du coup, le migrant se retrouve coincé car le chemin du retour est aussi risqué que celui de l’aller.

Moussa Sawadogo montre son trajet pour atteindre Tripoli

Se confiant à nous, Moussa Sawadogo, explique comment il a quitté la Cote d’Ivoire pour se rendre en Libye en traversant le Burkina et le Niger. Arrivé en Libye par Gatrun, il a continué sa migration vers Tripoli pour l’Europe en passant par Saba, Bani Walid avec des embarcations irrégulières. Arrêté et emprisonné à Tripoli, il dit avoir été battu tous les jours. « Et pendant que tu appelles tes parents pour leur demander de t’envoyer la somme de la rançon, on te bat afin que tes parents entendent tes cris sous l’effet des supplices, histoire de leur mettre la pression ».Toujours selon ses explications, les migrants ne sortaient pas de leurs maisons par peur d’être attrapés et mis en prison. Il confie que les migrants irréguliers noirs sont maltraités en Libye. Ils sont vendus comme esclaves, ils travaillent, mais ils ne perçoivent aucun salaire. Les esclaves sont également vendus pour exploitation sexuelle.

Depuis la chute de Kadhafi, les trafics et les crimes sont devenus des moyens de survie

Aboubacar Samadoulgou témoigne que le trafic de noirs est devenu la source de revenus pour beaucoup de Libyens

Après la chute de la Jamahiriya islamique du Colonel Mouammar Kadhafi, l’Etat a progressivement disparu, le chômage a augmenté, la pauvreté également. La prolifération des armes, les crimes et les trafics sont devenus un moyen de survie pour beaucoup. « Les migrants irréguliers étant nombreux et vulnérables, ils sont la cible de ces bandes organisées », nous fait comprendre Aboubacar Samadoulgou qui vivait en Libye depuis 2011. Il confie que même les Libyens ne sont pas épargnés par les enlèvements organisés par les plus aisés.

Certes, la joie de retrouver leur mère patrie se lit sur les visages de ces migrants irréguliers. Mais si certains avouent ne plus vouloir tenter l’immigration irrégulière, d’autres ne s’avouent pas vaincus même si la voie de la Libye ne sera plus empruntée. Ils tenteront par d’autres voies pour atteindre l’Europe.

Youmali Koanari
Lefaso.net

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