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Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (3)

Publié le mercredi 8 juin 2005 à 11h35min

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En 1971, les civils sont de retour au pouvoir à Ouagadougou. Enfin presque. Les militaires sont présents au gouvernement et le chef de l’Etat est un général de division : Sangoulé Lamizana. Mais le RDA, majoritaire à l’Assemblée nationale, dirige le gouvernement. A Paris, tout baigne.

Pour Pompidou, qui ne s’intéresse guère à l’Afrique, Lamizana est "un brave type [...] qui rigole tout le temps" ; pour Jacques Foccart, qui s’y intéresse beaucoup, c’est un "très bon garçon".

Le mardi 27 octobre 1970, Lamizana déjeune à !’Elysée ; le mercredi 28 octobre 1970, il dîne chez Foccart qui écrit dans son Journal de l’Elysée : "C’est vraiment un type délicieux, épatant, gentil. Il est musulman, mais il boit du vin, sous le regard réprobateur de son ministre des Affaires étrangères, Malik Zoromé, qui n’a pas l’air d’être un bon cheval". Lamizana sera à nouveau en France (il est suivi au Val-de-Grâce où il a été hospitalisé à la fin des années 1960 pour un calcul), à l’automne 1970, pour les obsèques du général De Gaulle.

Mais il attend toujours sa "grande visite" en France, la première depuis son accession au pouvoir (elle a toujours été repousée par Charles De Gaulle, tout d’abord pour cause d’emprisonnement de Maurice Yaméogo puis par souci de préséance pour Jean-Bedel Bokassa qui avait accédé au pouvoir quelques jours avant Lamizana).

Cette visite officielle aura lieu, finalement, du samedi 2 au samedi 9 octobre 1971 (c’est une mention que Lamizana fait porter dans sa fiche biographique publiée par le Who ’s Who : "se rend en visite officielle en France (oct. 1971)"). Problème pour le protocole : Bintou, autrement dit Madame Lamizana. C’est, selon Foccart et Pompidou, "la première fois qu’elle sort. Cela ne va pas être rigolo, parce qu’elle ne dit pas un mot de français ". C’est d’ailleurs toute la "suite" de Lamizana qui pose problème et va être une source de conflit avec Foccart (qui se rendra à Ouagadougou le dimanche 5 septembre 1971 pour mettre au point les modalités de ce voyage officiel).

Accueilli à Nice par Foccart puis à Paris-Orly par le président Pompidou, transféré en hélicoptère dans la capitale, Lamizana va visiter Montpellier (Ecole d’application de l’infanterie et lycée agricole), Nîmes (Compagnie d’aménagement du Languedoc), Maisons-Alfort (Ecole vétérinaire et TRT, entreprise de télécommunications).

Pompidou et Foccart aiment bien Lamizana qui ne "fait aucune demande particulière" ; habitués à des sollicitateurs, il apprécient chez le chef de l’Etat voltaïque le caractère strictement "amical" de cette visite. La question se pose cependant de savoir si le chef de l’Etat français et son conseiller Afrique prennent le Président voltaïque pour un homme intègre ou pour un naïf !
C’est que Lamizana ne fait pas l’unanimité.

A Abidjan, il pose des problèmes. Parce qu’il a maintenu longtemps en prison (1966-1970) son prédécesseur, "Monsieur Maurice ", homme lige de Félix Houphouët-Boigny ; parce qu’il l’a libéré et que, du même coup, "Monsieur lvlaurice" aimerait bien récupérer son patrimoine et retrouver son fauteuil présidentiel (pour lui ou pour son fils). Il y a aussi que, au sein du Conseil de l’Entente, création du chef de l’Etat ivoirien, Ouagadougou n’hésite pas à contrer Abidjan. Sur les rapports avec la Guinée Conakry de Ahmed Sékou Touré ; sur la question du soutien à la sécession biafraise.

Au sujet du Biafra, Lamizana déclarera : "Jusqu’à preuve du contraire, la Haute-Volta considère le problème nigérian comme un problème intérieur. Donc, le Biafra ne peut constituer, à nos yeux, une personne de droit international". En fait, tout au long de sa présidence, les rapports entre Lamizana et Houphouët vont "battre froid".

Les syndicats voltaïques s’insurgeront à plusieurs reprises "énergiquement contre la façon humiliante dont vous [il s’agit bien sûr de Lamizana] êtes reçu en Côte d’Ivoire" (à trois reprises, le chef de l’Etat ivoirien n’avait pas accueilli son hôte à l’aéroport).

En août 1967,235 dockers Voltaïques seront expulsés de Côte d’Ivoire pour faits de grève. Des fonctionnaires de l’ambassade de Haute-Volta à Abidjan auraient été impliqués dans le "complot du 5 août 1967". Gérard Kango Ouédraogo avant d’être nommé Premier ministre, aurait envoyé une lettre à Houphouët annonçant que "le gouvernement militaire tire à sa fin" et réclamant "des moyens financiers énormes" pour "implanter définitivement le RDA en Haute-Volta". C’est Houphouët qui va charger l’avocat dahoméen Bertin Borna, ancien ministre, d’assurer la défense de "Monsieur Maurice" lors de son procès.

Dans son Journal de l’Elysée, Foccart cite les propos que lui aurait tenu Houphouët-Boigny le mercredi 22 mars 1972 : "En Haute-Volta, aurait déclaré le chef de l’Etat ivoirien, Maurice Yaméogo reprend de plus en plus de prestige. Lamizana est complètement discrédité et n’a plus aucune autorité. Même des gens comme Garango ne se cachent plus. Ils se font construire des maisons alors qu’ils ont des traitements ridiculement bas, et ils ont les plus belles femmes du pays, ce qui coûte très cher et suscite beaucoup de jalousie. La meilleure preuve de la dégradation de la situation est donnée par le fait que les Mossis d’Abidjan ne retournent plus chez eux et n’envoient plus leur argent. Ils se fixent de plus en plus définitivement en Côte d’Ivoire".

Foccart ajoute : "Houphouët me demande quand Pompidou ira en Haute-Volta. Je réponds.. "En novembre". Il réfléchit et me dit.. "Je pense qu’il ne se passera rien avant. En tout cas, j’ai dit à mes amis.. "Surtout pas de sang !". Ce qui me laisse penser, ajoute Foccart, que des opérations sont prévues dans ce pays".

Le compte-rendu que le président Pompidou fait à René Journiac, bras droit de Foccart, de son entretien avec le chef de l’Etat ivoirien est de la même veine. "J’ai retenu, dit Pompidou, qu’il [il s’agit, bien sûr, de Houphouët] considère que le général Lamizana et l’équipe qui est au
pouvoir ne représentent rien politiquement. C’est en quelque sorte un dessus de cheminée, qui est dans l’impossibilité d’avoir une action sur le peuple voltarque.
Ce gouvernement a peut-être réalisé un certain équilibre budgétaire en faisant des économies sur le traitement des ministres, mais cela n’a pas mis le peuple voltarque au travail. Traditionnellement, la Haute-Volta est dirigée par les Mossis et le RDA, et toute autre équipe est sans efficacité. Il y a en Côte d’Ivoire cinq cent mille Mossis et ils sont tous contre le gouvernement du général Lamizana. J’ai été un peu surpris par ses propos, car personne ne m’avait dit que le général Lamizana ne représentait
rien".

Foccart ne manquera pas de souligner que tout cela "est un peu partisan. Ami de Yaméogo, il [Houphouët bien sûr] a toujours dit que Lamizana ne représentait rien. Lamizana manque de caractère, mais nous ne sommes pas sur le schéma brossé par Houphouët".

Une tension dans les relations franco-voltaïques est perceptible alors que le président Pompidou doit se rendre en visite officielle à Ouagadougou. Pompidou, qui n’aime pas l’Afrique et encore moins les voyages en Afrique, va tancer F occart : "Il faut tous les mettre en garde. Et si
je dois me faire chahuter, je n’irai pas là-bas, parce que je n’ai pas le droit de risquer quoi que ce soit. Si vous n’êtes pas sûr que ce voyage sera un grand succès, il faut l’annuler". Le samedi 27 mai 1972, Foccart débarque à Ouagadougou pour, justement, préparer ce voyage.

Il en revient avec la "confirmation qu ’Houphouët est derrière cette affaire". "L’affaire" c’est "une opposition violente, disposant de moyens". Foccart propose de dire à Houphouët d’attendre la fin de la visite française pour agir. Pompidou s’y oppose : "cela reviendrait à encourager les Ivoiriens à intervenir après. Il faut lui dire [...] que ni avant ni après ce ne sera le moment, que l’Afrique a déjà trop de difficultés, qu’il n’aille pas en rajouter".

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 8 juin 2005 à 15:27, par Madiba En réponse à : > Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (3)

    Heureusement que le Burkina faso a échappé au vieux sinon, nous serions aujourd’hui comme la Côte d’Ivoire.

    Le brave Burkina Faso.

    • Le 9 juin 2005 à 07:48, par Burkin BILA En réponse à : Coucou ! Y a t-il des "amis" de la Côte d’Ivoire à côté ?

      Voici des pages à faire connaitre ! Pendant tant d’années le pion ivoirien a donc fait l’affaire de Paris ! Comment peut-il comprendre que quelqu’un d’autre agisse sans être pion ?
      Les relations entre la Côte d’Ivoire et le Burkina ne commencent pas avec le coup d’état manqué des Soro et consorts ! Cherchons ensemble le cible ailleurs et arrêtons d’annihiler nos forces politiques africaines en les dressant les unes contre les autres !

  • Le 13 juin 2005 à 10:04, par pathe barry En réponse à : > Gal A. Sangoulé Lamizana, portrait d’un combattant (3)

    quel homme !
    C’est ca le Burkina faso

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