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Référendum français : "Chirac n’a pas été sage...", affirme le professeur Loada

Publié le jeudi 2 juin 2005 à 07h22min

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Le professeur Augustin Loada : "le peuple burkinabè aussi est capable de s’exprimer à travers les élections, surtout sa jeunesse..." Suite au large refus de l’électorat français d’accepter la nouvelle constitution européenne en cours d’adoption, le professeur Augustin Loada de l’Université de Ouagadougou a accordé une interview à Sidwaya. Pour lui, dans le prévisible "non", français il y a des leçons à tirer pour la classe politique africaine et burkinabè.

Sidwaya (S.) : Quelle réaction vous suggère le "non" français au projet de constitution européenne ?

Professeur Augustin Loada (Pr A.L.) : Je suis personnellement un peu déçu parce que je suis attaché à l’idée de construction d’ensembles sous régionaux, même si on s’attendait un peu à ce résultat.

J’essaie de lire la réaction du peuple français, de trouver un lien avec les processus qui se construisent ici dans nos sous-régions et je vois qu’il y a des leçons à tirer pour nous Africains et en particulier pour nous Burkinabè.

Ce "non" est un vote sanction contre l’ex gouvernement français dirigé par Raffarin. Pour moi, ceux qui ont voté "non" ne sont pas forcément opposés à l’idée de construction européenne. Bien au contraire, je crois que c’est une autre Europe qu’ils souhaitent voir s’imposer dans ce processus. Une Europe qui accorde de l’importance aux plus faibles, à la protection des plus faibles et non une Europe libérale dans laquelle ce sont les plus fortunés et les plus puissants qui parviendraient à participer au jeu qui se met en place. C’est davantage un vote-sanction contre un malaise qui s’exprimait à l’intérieur de la France.

Je pense aussi que pour nous Burkinabè, c’est une leçon de démocratie. Même si la réponse à la question qui a été posée n’est pas celle que j’aurais souhaitée, c’est quand même une leçon de démocratie qui a été administrée et de ce point de vue, le peuple français est admirable.

S. : Après ce "non", quelle perspective pour la France ?

Pr. A.L. : En terme de perspective, la France sera dans une position inconfortable vis-à-vis de ses partenaires qui sont déjà engagés dans le processus et qui ne vont pas reculer. Je me demande si quelque part les Français ne se prennent pas pour le nombril de l’Europe. Ils pensent que sans eux, les autres ne pourront pas avancer. Peut-être qu’ils vont faire traîner le processus mais j’ai l’impression que c’est un processus irréversible. Et, de toutes les façons, même si le processus tarde à se concrétiser, je suis persuadé que c’est l’Europe qui va payer le prix parce que dans cette mondialisation, elle cherche à s’ajuster au niveau des Etats-Unis. S’il y a des acteurs qui retardent cette donne, ça ne pourra qu’affaiblir l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis parce que les Américains eux, ne s’embarrassent pas de ces considérations d’ordre social. Ils sont engagés dans une compétition mondiale dans laquelle les filets de protection sociale que les Français et certains Européens voudraient, risquent de les handicaper.

S. : Si vous étiez Chirac, quelle alternative prépareriez-vous ?

Pr. A.L. : Je ne suis pas Chirac, mais je vois aussi que Chirac n’est pas De Gaulle parce qu’avec un désaveu aussi cinglant, je me demande qu’est-ce qui reste de légitimité à ce président pour qu’il s’accroche au pouvoir. Etant donné qu’il se réclame de l’héritage de De Gaulle, il aurait dû en tirer les conclusions et tirer sa révérence parce qu’apparemment, c’est lui et son gouvernement que les Français voulaient sanctionner.

S. : Et si vous étiez leader de ceux qui ont prôné le "non", comment alliez-vous capitaliser votre victoire ?

Pr. A.L. : Je ne vois pas ce qu’il y a de commun entre Jean-Marie Le Pen et Laurent Fabius. Or on voit que très majoritairement, les électeurs du Front national ont voté contre. On voit par ailleurs que l’extrême gauche a très majoritairement voté contre, de même que les électeurs du Parti communiste français. De ce point de vue je m’interroge sur les capacités de ceux qui ont prôné le "non" à construire une véritable alternative parce que je ne suis pas persuadé qu’ils fassent les mêmes rêves, même si c’est le "non" qu’ils ont ensemble prôné. Peut-être que l’alternative viendrait de la gauche parce que ses électeurs ont majoritairement voté contre le traité. Ils se sont exprimés contre et je dirais que les attentes vis-à-vis des partis de Gauche, notamment le parti communiste et l’extrême Gauche et même vis-à-vis du Parti socialiste sont grandes. Il faudra que le Parti socialiste s’ajuste par rapport aux demandes qui sont exprimées par ses militants, ses adhérants, ses électeurs. Si alternative il y a, il faut tenir compte de cette demande sociale au niveau de la Gauche et construire un programme qui ferait peut-être aussi la part belle au Parti communiste parce que ses électeurs aussi se sont majoritairement prononcés contre la version actuelle de la constitution européenne. C’est à la Gauche plurielle de reconstruire cette alternative face à ce rejet du libéralisme que les électeurs français semblent avoir condamné. Et là, je vois le Parti socialiste, s’il est intelligent, tirer les plus grands bénéfices de cette situation qui apparemment est un désaveu pour les appareils des partis de gouvernement et pour les élites françaises.

S. : Dans cet environnement, comment entrevoyez-vous, dès lors, le débat politique français dans les jours à venir ?

Pr A.L. : Il faut d’abord saluer la richesse du débat qui a précédé le référendum, parce qu’on a constaté que tout le pays était en campagne, tous les partis politiques, tous les dirigeants. Même le Français moyen s’est trouvé engagé dans un débat constructif sur l’idée que chacun se fait de la construction européenne. Là également il y a une leçon à tirer pour les Africains, pour les Burkinabè. Une véritable démocratie suppose qu’on puisse débattre sur des projets, sur des programmes, sur des idées et non sur les personnes. Deuxième chose, il me semble quand même que ce débat n’est possible que parce qu’il y a un minimum d’instruction. Pour lire le traité constitutionnel, l’interpréter, pour se faire une opinion sur les avantages et les inconvénients de ce traité, il faut un minimum d’instruction. Il faut reconnaître qu’en Afrique, il y a encore beaucoup à faire pour que le peuple soit instruit, éduqué, pour qu’il comprenne quels sont les enjeux des débats en cours, de façon à lui permettre de mener un débat de société digne de ce nom. Les Français s’étant prononcés contre le traité constitutionnel. La France risque d’être un peu à la touche même si elle va essayer de faire entendre sa voix pour qu’elle ne soit pas laissée sur le bas côté.

Le professeur Augustin Loada : "Ce non est un vote-sanction contre le gouvernement français, contre le président Jacques Chirac..."

S. : Vous avez évoqué tout à l’heure l’éducation comme un grand facteur de la participation des citoyens aux débats dans la cité. Est-ce à dire que vous épousez la thèse de Chirac, selon laquelle les Africains ne sont pas faits pour la démocratie ?

Pr A.L. : Il faut quand même rendre justice à Chirac. Je pense que Chirac n’a pas dit que les Africains n’étaient pas mûrs pour la démocratie, il a dit que les Africains n’étaient pas mûrs pour le multipartisme. Il y a une nuance parce que le multipartisme ne peut pas épuiser toute la problématique de la démocratie. C’est vrai qu’on ne peut pas faire la démocratie sans les partis politiques, mais il ne faut pas confondre multipartisme et démocratie, de la même façon qu’il ne faut pas confondre le fait d’avoir une constitution ou le fait d’avoir organisé des élections plus ou moins "propres" avec la démocratie. Les choses sont plus complexes que cela. Cela dit, il faut reconnaître qu’il y a des contraintes objectives à la consolidation de la démocratie en Afrique, une fois que ces processus sont mis en place. Nous avons parlé tout à l’heure de l’instruction, de la nécessité de l’éducation. Je reste convaincu que sans éducation, sans instruction du peuple, le jeu démocratique a de fortes chances de devenir un simulacre.

S. : Est-ce que le refus de Chirac de démissionner prouve la fin des valeurs incarnées du gaullisme de la Ve République française .

Pr A.L. : C’est vrai que Chirac se réclame de l’héritage de De Gaulle, mais on voit que Chirac n’est pas Gaullien parce qu’il a reçu plusieurs désaveux avant ce référendum et trois fois de suite, il a perdu des consultations, sans en tirer les conséquences gaulliennes. De ce point de vue on peut s’interroger sur la réalité de cet héritage gaullien. En même temps, il faut reconnaître que c’est un homme politique qui est foncièrement attaché au pouvoir et il l’a montré tout au long de sa carrière. C’est véritablement un animal politique. Dans cette logique, je peux comprendre qu’il n’ait pas du tout envie de tirer sa révérence. Je peux comprendre qu’il ait envie d’aller jusqu’au bout de son mandat, mais dans quel état va-t-il le terminer, c’est la question que beaucoup se posent. Beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur sa capacité à rebondir après un tel désaveu. C’est vrai que par le passé, il nous a montré qu’il pouvait rebondir mais là, à moins de deux (2) ans de la fin de son mandat, on se demande ce qu’il peut encore inventer.

S. : Au-delà de Chirac, on constate que les représentants du peuple français, les députés, auraient dit oui si on les avaient consultés, peut-être à 90% ?

Pr A.L. : Cela traduit ce décalage entre l’opinion des élites et puis celle du peuple parce qu’effectivement, si Chirac avait choisi la voie de la sagesse qui consistait à faire ratifier le traité pour le parlement, il n’aurait pas eu ces déboires-là. Mais il a fait un pari qu’il a perdu. A l’occasion de ce référendum on a vu effectivement que les parlementaires français, la classe politique française dans sa grande majorité n’était pas en phase avec le peuple (...).

S. : En quoi Chirac n’a pas été sage en organisant ce référendum ?

Pr A.L. : Je pense que ce n’était pas sage d’utiliser la voie du référendum parce qu’il y avait tous les signes évidents que les Français allaient se tromper de question. Il y avait tous les signes évidents que les Français allaient se saisir de cette opportunité pour sanctionner le gouvernement Raffarin.

Peut-être qu’il espérait à travers ce pari semer la zizanie dans le camp de la Gauche ; il y est parvenu quand on regarde l’état dans lequel se trouve le Parti socialiste. Mais c’est un pari qui s’est retourné contre lui-même.

S. : Les résultats des sondages réalisés pendant la campagne n’ont-ils pas influencé le choix des électeurs français ?

Pr A.L. : C’est vrai que d’une manière générale on peut discuter sur l’influence des sondages par rapport aux opinions qui sont mesurées. Cependant, il y a beaucoup d’analystes qui estiment que cette influence n’est pas liée, parce que dans le cas d’espèce les sondages ne se sont pas trompés.

S. : Le "non" français n’explique-t-il pas les réticences des dirigeants politiques à consulter leurs peuples ?

Pr A.L. : Il faut reconnaître que consulter la population relève de la tradition démocratique, or on sait très bien que cette tradition est faiblement ancrée dans nos pays. Et puis organiser une consultation électorale, ça coûte cher. Un référendum peut paraître comme un luxe en Afrique. Peut-être aussi que les dirigeants africains se méfient de leur peuple. Le peuple peut être en décalage avec ce que pensent les élites dirigeantes, voici autant de facteurs qui peuvent expliquer la réticence des élites dirigeantes africaines à consulter le peuple dans le processus d’intégration régionale en Afrique.

S. : Y a-t-il des leçons à tirer de ce non pour la construction de l’Union africaine et des espaces comme l’UEMOA ?

Pr A.L. : Il y a une leçon que je tire de cette situation mais il faut reconnaître que pour en arriver là, il a fallu pratiquement plus d’une génération aux Européens pour parvenir à cette situation. C’est-à-dire l’idée d’une confédération, voire d’une fédération au niveau de l’Europe même s’il y a des résistances qui sont très fortes au niveau des Etats-Nations. C’est un processus de très longue haleine et je crois que les Africains doivent l’envisager dans cette perspective. Et la leçon que je tire, compte tenu du fait qu’il y a ce décalage qui est souvent constant entre les élites et le peuple, si on arrivait à consulter le peuple, est qu’il demanderait davantage de réformes, davantage de progrès en matière de construction commune et en matière d’intégration régionale en Afrique.

S. : Après ce "non" français, quel avenir pour les vaincus Raffarin et Chirac et pour les victorieux Emmanuelli et Fabius ?

Pr A.L. : Pour Raffarin, son avenir politique me paraît à court terme bouché parce qu’il y a un désaveu cinglant qui a été exprimé. A mon avis je ne le vois pas rebondir au plan national, peut-être va-t-il se concentrer, après son départ du poste de Premier ministre français, sur sa région pour terminer sa carrière politique. En revanche je vois très bien Nicolas Sarkozy rebondir. Je vois déjà qu’il est dans les starting-blocs pour la présidentielle de 2007. Il s’est posé en alternative face au désarroi qui a gagné son camp et donc vis-à-vis du président Chirac. Je suis persuadé que ses aspirations à briguer la magistrature suprême seront davantage plus fortes au lendemain de cette consultation électorale et avec son entrée annoncée dans le prochain gouvernement français. Au niveau de la Gauche je vois Laurent Fabius essayer de reprendre l’initiative même si beaucoup lui reproche de jouer une carte personnelle. Lui aussi aspire apparemment à un destin national et je le vois essayer de capitaliser cette victoire en essayant de prendre l’appareil socialiste ou alors de se poser en candidat naturel de la Gauche à la présidentielle de 2007. Par contre, Emmanuelli est un personnage qui incarne la Gauche traditionnelle ; je dirai même un peu sectaire du Parti socialiste. Je ne le vois pas en train de briguer la magistrature suprême. Je pense plutôt qu’il va essayer de jouer une fonction de veille critique au sein du Parti socialiste pour s’assurer que les valeurs auxquelles il est attaché, celles du socialisme traditionnel sont prises en compte par un Laurent Fabius qui, apparemment, est bien parti pour se positionner comme candidat du Parti socialiste par la présidentielle de 2007.

S. : En définitive, quelles leçons tirer de ce "non" pour les hommes politiques et les élites burkinabè ?

Pr A.L. : C’est une leçon de démocratie qui a été administrée et quand elle est magistralement administrée comme le peuple français l’a faite, on ne peut que s’en féliciter, on ne peut que s’en réjouir. Deuxième leçon, l’élection est un moyen d’expression. Elle est un moyen de demander des comptes aux élites dirigeantes. Je m’adresse en particulier aux sceptiques, à ceux qui pensent qu’on ne peut rien attendre comme changement des élections. Je suis persuadé que bien au contraire voter c’est une manière de s’exprimer. De ce point de vue, les Burkinabè devraient prendre au sérieux l’expérience démocratique qui se déroule dans notre pays avec les différentes consultations électorales qui vont venir. L’élection est donc un moyen de s’exprimer et le peuple qui n’attend que des occasions pour s’exprimer doit pouvoir s’exprimer à l’occasion de l’élection présidentielle de 2005 et municipale de 2006 au Burkina Faso. La dernière leçon, est que la démocratie ne fonctionne bien que s’il y a l’éducation, que s’il y a l’instruction du peuple de façon à permettre un débat constructif. Si cela n’est pas fait, je suis persuadé que le peuple peut être facilement manipulé. En dernier mot, je dirai que la consolidation de la démocratie passe inévitablement par l’éducation et l’instruction du peuple, si on veut que le jeu démocratique ne soit pas un simulacre.

Entretien réalisé par El Hadj Ibrahim SAKANDE (ibra.sak@caramail.com)
Sidwaya

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