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Guinée Bissau : Kumba Yala, le mauvais philosophe

Publié le mardi 24 mai 2005 à 07h16min

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Et revoilà donc la Guinée-Bissau qui, subrepticement, s’engouffre dans les turbulences politiques faites de coups d’Etat et d’insurrections militaires. En effet, cette ex-colonie portugaise de 36 120 km2, devenue indépendante en septembre 1975, n’a pas mis du temps à montrer qu’elle savait, à l’instar d’autres pays africains, pratiquer un sport très prisé : les raccourcis militaires pour accéder au pouvoir.

C’est d’abord le général Joao Bernado Vieira qui, le 14 septembre 1980, inaugura cette série noire en prenant le pouvoir par les armes, en même temps qu’il mettait fin à l’union avec le Cap-Vert. Presque 15 ans après (3 juillet 1994), on assistera aux premières élections multipartites, un scrutin controversé qui maintiendra Vieira au pouvoir. En 1998, ce sera une insurrection populaire, qui sapera les bases de cette petite démocratie balbutiante.

La CEDEAO se jettera alors dans la résolution de cette crise qui venait s’ajouter aux autres de la sous-région, non encore entièrement résolues : Sierra-Leone, Liberia. La mise en place d’un gouvernement de transition apportera un semblant de modus vivendi dans ce pays, puisque qu’un plan de paix sera signé le 3 février 1999. Une trêve de courte durée, car, en juin de la même année, les soldats étaient encore hors des casernes.

Un énième coup de sang qui emportera Vieira. C’est alors qu’apparut celui qui paraissait incarner les espoirs des bissau-guinéens, un homme que l’on disait intègre, qui a fait ses armes dans une sorte de populisme : Kumba Yala, enseignant de philosophie, féru de Kant. Lassés des multiples putschs, les bissau-guinéens mettront leur espoir entre les mains de l’homme à l’éternel bonnet rouge. Le 16 janvier 2000, ce dernier est élu à la magistrature suprême.

Les Bissau-guinéens et la Communauté internationale avaient cru qu’enfin ce pays, avec à sa tête cet homme au caractère trempé, allait entamerait un cheminement vers le développement. Hélas, chacun, en ce qui le concerne, a vite déchanté, car le prolixe Yala a vite montré qu’il ne valait pas mieux que ses devanciers.

Confirmant déjà le fait qu’il n’est pas évident que ceux qui font de l’opposition, une fois parvenus au pouvoir, fasse bonne figure. Beaucoup agissent de telle sorte qu’on en arrive à regretter certains "présidents à vie". Du reste, ces cas de figures sont légion sous les tropiques.

Ce qui devait donc arriver après cette gestion calamiteuse arrivera trois ans plus tard : le 14 septembre 2003, Kumba Yala est renversé par un coup d’Etat mené par le général Verissino Seabra Correia, qui fera nommer Henrique Rosa chef d’Etat et Arthur Sanha Premier ministre. Ce dernier n’a pas été accepté par la population à cause de ses antécédents judiciaires.

Du reste, il sera remplacé par la suite par Carlos Gomes Junior. Ecarté donc du Sommet du pouvoir, Kumba Yala, tout philosophe qu’il est, n’a pas pu s’élever pour atteindre le "noos" (l’intellect) et est apparemment resté scotché à l’épitoumia (les choses matérielles). Rongeant son frein, l’homme, affirment ses contempteurs, tirera les ficelles de tous les coups tordus dont le pays est victime, telle la mutinerie d’octobre 2004, qui avait laissé sur le carreau le chef d’Etat-major de l’armée.

Pourtant, cahin-caha, des élections présidentielles seront fixées le 19 juin 2005. La classe politique accepte ce calendrier électoral. Mais c’était sans compter avec la boulimie du pouvoir de Yala, qui trépignait d’impatience de se remettre en pole position.

Non content d’avoir été retenu parmi les 17 candidats à cette course à la présidence par la Cour suprême, Kumba Yala poussera l’outrecuidance jusqu’à se déclarer président, le 15 mai dernier, chef d’Etat de Guinée-Bissau pour, dit-il, "terminer son mandat" ? "J"ai été renversé par un coup d’Etat militaire et obligé à renoncer au pouvoir, ce qui signifie que mon mandat n’est pas terminé, a-t-il déclaré, tout en affirmant que le scrutin du 19 juin était reporté. Branle-bas de combat dans la sous-région, car avec ce genre d’attitude, nul ne peut dire ce quiil adviendra dans les prochains jours.

Ce qui explique que l’Union africaine ait décidé de prendre le taureau par les cornes. Son président, Olusegun Obasanjo, ainsi que son homologue de la CEDEAO, Mamadou Tandja, et le sénégalais Abdoulaye Wade se sont rendus dare dare à Bissau, pour éteindre ce feu qui couve.

Leur action sera-t-elle fructueuse ? On ose l’espérer ; mais la crainte est là car depuis cette sortie tonitruante, Kumba Yala reçoit chez lui civils et militaires, et c’est ce qui fait peur, car 60% des soldats et 70% des officiers supérieurs sont de son ethnie (celle des Ballantes). Et la grande muette a beau dire qu’elle ne suivra pas Yala, rien n’est sûr.

Et voilà donc Kumba Yala, le philosophe, prêt à mettre la cité en danger, pour assouvir ses ambitions personnelles. Platon doit se retourner dans sa tombe.

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana
L’Observateur

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