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Sanoussa Gansonré à propos des Koglweogo et de la Police de Proximité : « Il n’y a pas de continuité au niveau de l’Etat. Et c’est dommage »

Publié le lundi 21 novembre 2016 à 22h55min

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Sanoussa Gansonré à propos des Koglweogo et de la Police de Proximité : « Il n’y a pas de continuité au niveau de l’Etat. Et c’est dommage »

Le samedi, 12 novembre 2016 à Kombissiri, les associations « Koglweogo » ont tenu une assemblée générale pour soumettre à la réflexion de leurs membres, les implications des mesures portant Police de proximité adoptées par le gouvernement. Ils se sont donc donné trois semaines pour scruter la question avant de se retrouver début décembre pour faire des ‘’contre-propositions’’ et dégager une position commune sur le sujet. Mais, d’ores et déjà, on relève qu’il y a des zones d’ombre entre autorité et associations communautaires de sécurité, « Koglweogo ». Quel est le véritable fond de ce hiatus, alors qu’on pensait que la question était définitivement réglée avec l’adoption de ce décret du 5 octobre ?

Pour comprendre davantage les différents aspects liés à cette affaire, nous sommes allés à la rencontre d’une des personnes ressources, Sanoussa Gansonré. Expert et Consultant en Organisation de Réseaux associatifs et en Police de proximité, M. Gansonré s’est intéressé à ces initiatives communautaires de sécurité et à la Police de proximité depuis maintenant plusieurs années. Entretien !

Lefaso.net : Quelle est votre appréciation sur le nouveau décret portant définition des modalités de participation des populations, les « Koglweogo », à la mise en œuvre de la Police de proximité ?

Sanoussa Gansonré : Pour que je puisse me prononcer sur le nouveau décret, il aurait fallu que je l’aie en intégralité pour l’apprécier en fonction de ce que la stratégie nationale de sécurité intérieure a prévu (parce que cette stratégie a également été adoptée par décret). Ce qui est sûr, c’est que dans la stratégie nationale de sécurité intérieure (qui est valable de 2011 à 2020, il est clairement dit que la nouvelle façon de voir la Police de proximité, appelée réorientation, consiste véritablement à mettre l’accent sur la prise en compte des initiatives locales de sécurité. Il faut rappeler que la Police de proximité, dans sa phase d’après le bilan du premier plan, est basée, au regard du deuxième plan quinquennal et de la stratégie nationale de sécurité intérieure, sur trois axes. Le premier axe consiste en l’accompagnement des initiatives locales de sécurité éprouvées et qui ont véritablement apporté la preuve de leur efficacité ; le deuxième axe, c’est accompagner la mutation des comités locaux de sécurité (c’est-à-dire leur permettre de se réorganiser en fonction de leurs réalités locales) et le troisième axe consiste à susciter l’émergence d’initiatives locales de sécurité dans les zones où il n’y a pas de dynamique communautaire en la matière Et quand vous avez une certaine lecture de ces trois axes, il s’agit tout simplement de susciter l’émergence d’initiatives locales de sécurité dans toutes les régions du Burkina. L’initiative locale de sécurité, c’est ce que les communautés ont, elles-mêmes, mis en place comme instrument, comme espace, comme cadre de prévention de l’insécurité et ce, sur la base de leurs réalités locales, leurs réalités socio-culturelles qui ne vont pas contre les lois du pays ou les droits humains. Le deuxième plan est organisé autour de cela, et la stratégie nationale de sécurité intérieure a intégré cela. Donc, j’imagine que le décret ne va pas remettre en cause la stratégie nationale de sécurité intérieure et que c’est peut-être quelques aspects qu’ils ont dû revoir. Mais, ce qui est sûr, dans le dispositif antérieur, depuis 2010, on avait prévu l’organisation de la Police de proximité à partir de la commune (qui avait un cadre de concertations qui réunit un certain nombre d’acteurs), de la province avec le haut-commissaire comme responsable et le gouverneur au niveau régional qui organise tout cela, de sorte qu’il y ait une harmonie dans la mise en œuvre de la Police de proximité. Ainsi, chaque fois qu’il y aura un problème à régler ou une action à envisager, le dispositif à l’échelon indiqué se met en œuvre en rassemblant les acteurs pour réfléchir rapidement à une solution. Je pense que ce mécanisme aussi ne va pas véritablement changer (dans le nouveau décret). J’ai entendu de voir le décret mais parait-il qu’il n’était pas encore prêt (il y avait des retouches à faire) mais peut-être qu’au moment où nous réalisons cet entretien, il peut être disponible. J’attends donc de le voir. La Police de proximité, telle que revue à partir de 2009-2010, je pense qu’elle demeure. Et lorsqu’on parle d’Initiative locale de sécurité (ILS), on est parti de l’expérience des « Koglweogo » du Yatenga dans le cadre du bilan de la Police de proximité qui devait être pris en compte en vue de la formulation de la stratégie nationale de sécurité intérieure. Quand on a interrogé les acteurs sociaux, les agents de sécurité, les ONG, les associations de développement et autres acteurs, ils ont reconnu effectivement que les associations « Koglweogo » ont apporté une contribution efficace à la prévention de l’insécurité. Beaucoup de problèmes de sécurité ont été solutionnés par ces initiatives et ça, n’importe quel acteur peut le témoigner. Nous nous sommes donc dit que si les communautés, elles-mêmes, ont pris des initiatives, qui ont produit des résultats reconnus par tout le monde, pourquoi alors réinventer la roue ? Il n’y a donc qu’à susciter la création de ces initiatives au sein d’autres communautés et renforcer leur mode de fonctionnement tout en corrigeant les éventuels aspects moins appréciables. Donc, ces initiatives qui sont locales peuvent inspirer d’autres communautés qui font s’organiser en fonction de leurs réalités et l’Etat va les accompagner dans la dynamique de ce que la Police de proximité a prévu comme mécanismes de fonctionnement, comme concepts, etc.
Notons que le premier décret avait été relu lors d’un atelier à Koudougou en 2010. Il porte sur les structures communautaires de sécurité et non exclusivement les ILS (Initiative locale de sécurité).

Lefaso.net : Justement, quel va être le rôle en ce moment de ces initiatives locales de sécurité ?

Sanoussa Gansonré : Le rôle effectivement, c’est d’agir dans le domaine exclusif de la prévention. Prévenir, c’est faire en sorte que ce qui devait arriver de mal comme la délinquance, les accidents de la circulation n’arrive pas ou tout au moins atténuer les effets. Si on se rend compte qu’il y a des menaces de vols ou des vols avérés…, on fait un diagnostic sécuritaire local avec l’ensemble des acteurs, qui se posent les questions de savoir comment se manifeste l’insécurité dans l’espace géographique (secteur, village) indiqué, quelles sont les causes de cette insécurité, et les acteurs vont déterminer, avec l’appui de la Police et de la Gendarmerie, les approches de solutions préventive. Après cette étape, on essaie de voir quel est le rôle de chaque acteur (les conseillers municipaux, les parents d’élèves, l’école, le dispensaire, etc.) dans le cadre de la mise en place d’un plan annuel de prévention de l’insécurité dans le secteur ou le village. Les acteurs font un bilan tous les trois mois par exemple, ils apprécient et ils avancent. Le rôle des initiatives locales de sécurité ne consiste donc pas à aller attraper des délinquants ; c’est une mission qui relève des forces régulières, qui ont été formées pour cela et qui disposent de moyens matériels à cet effet. Pour les communautés, c’est un exercice qui consiste à se partager un certain nombre de responsabilités, agir pour qu’il y ait moins de délinquance et de criminalité. Si on dit par exemple que l’insécurité est due au fait que les jeunes n’ont pas d’emplois (ce qui est très discutable du reste), la communauté va voir comment offrir de l’emploi aux jeunes.
J’ose espérer que cette orientée n’a pas été remise en cause.

Lefaso.net : Quel est le contenu de la Police de proximité ?

Sanoussa Gansonré : La Police de proximité est concept sécuritaire axé sur la communauté. La « Police de proximité », c’est un concept qui a toujours existé à travers le monde notamment au Canada, en France... L’Etat burkinabè, à travers des commissaires de police, est allé à l’école de ces pays et a bâti sa police de proximité. Il consiste à intégrer au mandat opérationnel des forces de sécurité la participation des communautés à la lutte contre l’insécurité par la prévention. Cette terminologie est en train de faire place à celle de « participation communautaire » à la lutte contre l’insécurité. Quand l’Etat a adopté la Police de proximité, il a conçu le premier Plan quinquennal en 2005, où il a prévu la mise en place de comités locaux de sécurité (CLS). La notion de « initiatives locales de sécurité » est intervenue au cours de la formulation de la stratégie nationale de sécurité intérieure lorqu’on a appris l’existence et étudié des structures comme les « Koglweogo » au Yatenga et les « Dozos », dans d’autres localités du pays. Comme ce sont des structures mises en place par les communautés bien avant ou pendant la mise en œuvre de la police de proximité on a envisagé de leur consacrer l’appellation initiatives locales de sécurité. Aussi, pour prendre en compte les Comités locaux de sécurité on a proposé la terminologie « structures communautaires de sécurité

Bref, c’est donc la prévention qui est véritablement au cœur de l’action de la Police de proximité. Après la mise en œuvre du premier plan quinquennal, on a pu tirer des enseignements et on a également vu ce que les initiatives locales de sécurité ont apporté. C’est ainsi qu’on s’est dit que la véritable police de proximité pour les Burkinabè consistera désormais à s’appuyer sur les réalités locales et les expériences qui existent déjà en la matière comme les « Koglweogo ». C’est à partir de-là, qu’on parle de réorientation de la Police de proximité qui repart vers les communautés, avec leurs réalités, tout en tenant compte du fait que nous sommes dans un Etat de droit où chaque acteur a son rôle et qu’ il y a des limites à ne pas franchir. Quand le deuxième plan a été adopté, qui devrait consacrer l’opérationnalisation de tout cela, malheureusement,, ça n’a pas pu être mis en œuvre et on ne sait pour quelle raison précise. L’Etat l’a adopté, pourquoi la direction de la Police de proximité n’a pas pu le mettre en œuvre ? Seule elle peut répondre à la question. On a relu le décret pour dire également qu’il ne s’agit pas d’aller imposer aux communautés, la création de structures communautaires de sécurité mais qu’on suscite plutôt leur création, on les accompagne, on les forme. Même pour le cas des « Dozos » qui n’ont pas été mises en place strictement pour la prévention de l’insécurité (ils défendent un corps socio-professionnel mais par détour, ils ont contribué à sécuriser leur espace, leur prise en compte dans la Police de proximité devrait obéir à un autre schéma qui consiste à asseoir les communautés et les associations « Dozos » pour voir quel est le rôle spécifique que ces organisations vont jouer aux côtés des Comités de police de proximité (puisqu’on ne peut pas leur dire de se confondre dans ces communautés). C’est l’esprit et la lettre de la réorientation de la Police de proximité. Il y a eu beaucoup de missions à l’intérieur du pays pour expliquer aux populations, le sens de cette réorientation et il y a eu une grande adhésion. Ce qui restait à faire, c’est de passer à une phase de mise en œuvre des trois axes de la réorientation sus-évoqués. Mais, comme ce plan n’a pas été convenablement mis en œuvre, et face à la montée de l’insécurité, les populations n’avaient autre choix que de s’organiser pour faire face au mal. D’où la prolifération des associations « Koglweogo ». Il n’y a pas eu d’acteurs pour les sensibiliser, les former, les encadrer (même si dans certaines localités, à l’image de l’Oubritenga, on a vu la police aller vers ces acteurs, ou à la demande de ces communautés, pour les assister). Les gens en ont fait à leur tête, avec les sévices corporels qu’on déplore tous, parce qu’il n’y a pas eu encadrement. Il y avait une grimpée de l’insécurité, les populations ne pouvaient que s’organiser. Quand vous voyez des populations qui sont dépossédées de tous leurs troupeaux, de leurs vivres…, elles n’ont d’autres choix que de s’organiser pour se défendre. Donc, avec l’adoption de ce décret, il faut aller très rapidement sur le terrain parce que si on tarde encore, ce n’est pas exclu que des actions regrettables surgissent. Il faut les former, les encadrer. L’encadrement aussi ne signifie pas aller imposer, il faut une approche participative. Quand une habitude commence à s’installer, pour l’arrêter, il faut du tact. Il faut aussi éviter qu’il y ait des scissions, des tendances au sein de ces initiatives locales de sécurité qui peuvent entraîner d’autres problèmes. Il faut que le ministère en charge de la sécurité intérieure se lève donc, sans attendre, afin d’accompagner les communautés et les structures communautaires de sécurité. On a assez parlé, il faut agir et avec la méthode.

Lefaso.net : Vous vous êtes intéressé à ces initiatives communautaires de sécurité avant même qu’elles ne soient connues du grand public et vous avez même produit des rapports en vue de la mise en place de la stratégie nationale de sécurité intérieure. Quel est votre sentiment lorsque vous vous rendez compte qu’il n’y a pas de suite ; c’est un perpétuel recommencement.

Sanoussa Gansonré : C’est un sentiment de désolation. Je ne suis pas seul à le dire ; tous ceux qui nous ont reçus dans le cadre de cette Police de proximité nous appellent pour nous demander ce qui se passe. Malgré ce qu’on a entrepris comme travail, ce qu’on a réalisé comme missions dans les 45 provinces et auprès des groupes sociaux (religieux, coutumiers, associations de jeunes, de femmes, de commerçants etc.), on est à ce stade. C’est parce que quelque part, quelqu’un n’a pas joué son rôle. Les gens ont réfléchi et fait des propositions pertinentes. Par exemple, l’un des axes de réflexion c’était comment éviter une récupération de ces associations par une tierce personne (politique, économique, etc.). Tout ce qui se passe aujourd’hui a été prévu dans les réflexions, pour éviter justement qu’on arrive à une situation où les gens vont agir à porter préjudice à autrui. Donc, quelqu’un, quelque part, a refusé de mettre en œuvre le deuxième plan quinquennal. Pour quelle raison, je n’en sais pas. Mais, ce qui est sûr, c’est que c’est déplorable, qu’on ait mis assez de moyens pour envoyer des gens sur le terrain, rassembler les acteurs, avec les ressources de l’Etat, pour former les acteurs avec les ressources de l’Etat…., qu’on laisse tout cela tomber parce que, quelque part, quelqu’un a dit non, quelqu’un n’est pas convaincu de l’approche…. C’est dommage.

Lefaso.net : Pas donc de continuité au niveau de l’administration !

Sanoussa Gansonré  : C’est dommage, il n’y a pas de continuité au niveau de l’Etat. Je le dis et celui qui veut, je peux lui montrer tous les rapports produits dans le cadre de la Police de proximité de 2009 jusqu’à 2014. Ces documents sont très riches et il va être très difficile qu’on puisse aller au-delà de cela fondamentalement. Si ce qui a été produit n’a pas été mis en œuvre, la question qu’on peut se poser est de savoir, si ce qui est en train d’être produit aujourd’hui va être effectivement mis en œuvre ? Ce qui a été fait hier, où l‘ensemble des acteurs (de la base au sommet) ont été impliqués, a été mis de côté. Faut-il réinventer chaque fois la roue ? C’est vraiment dommage. Et lorsque vous voyez des gens intervenir sur les sujets des « Koglweogo », de la Police de proximité, c’est vraiment déplorable parce qu’ils ne vont pas à l’information juste. Il y a même des gens qui se réclament pères fondateurs de la Police de proximité. Il n’y a pas quelqu’un qui peut se réclamer sa paternité ; c’est l’Etat burkinabè qui a la paternité parce que c’est lui a envoyé des commissaires pour se former auprès de pays où ce mécanisme est en vigueur. La Police de proximité, ce sont les communautés organisées, avec l’appui de la Police et de la Gendarmerie (ce n’est pas une Police proche des populations).

Lefaso.net : On a l’impression que même ceux qui se réclament responsables des « Koglweogo » comprennent difficilement le rôle de leur organisation ; lorsque vous dites que le rôle c’est dans la prévention alors qu’eux, ils interpellent des présumés délinquants, même dans d’autres zones que les leur !

Sanoussa Gansonré : Oui mais, avant de parler de ce concept, il faut dire qu’il y a effectivement la possibilité pour tout citoyen burkinabè, en cas de flagrant délit, de pouvoir immobiliser le prévenu délinquant pour que les forces de sécurité se déploient sur le terrain et le récupèrent. Or, avec ce qui se passe actuellement on voit que les structures vont jusqu’à faire des enquêtes ; ce qui n’est pas justement de leur rôle. Mais, qui va le leur expliquer ? Ce qui avait été prévu dans le deuxième plan quinquennal, c’était la sensibilisation suivie des formations. Ce qui n’a pas été le cas. Les gens ne savent pas ce qui veut dire « Police proximité ». Même au niveau des services de sécurité, tout le monde n’est pas à même de l’expliquer. Voilà pourquoi je dis qu’il faut aller sur le terrain avec tous les acteurs et tôt, sans attendre. La situation n’est pas dramatique, on peut y remédier. Il faut travailler dans un sens bien organisé, où on s’écoute, où on réfléchit et où on réfléchit avec tout le monde et sur le terrain. S’asseoir entre quatre murs pour réfléchir et aller appliquer ne peut pas marcher. Concevoir et aller dire de faire ceci ou cela, ça ne peut plus marcher. Il faut réfléchir avec les communautés. Les communautés sont à mesure de comprendre, c’est simplement une bonne approche qu’il faut utiliser. L’être humain étant ce qu’il est, si tu pars avec un ton autoritaire, ça ne marchera pas ; les populations vous diront que vous êtes à Ouagadougou dans une autre réalité alors que ce sont elles qui souffrent dans leur environnement. Il faut donc aller avec la bonne approche.

Que les hommes de médias également aillent aussi à la vraie information pour faire de vraies analyses. Mais lorsqu’ils n’ont pas accès à la vraie information, ça devient difficile de faire de bonnes analyses.

Aussi, les gens parlent de « groupes d’auto-défense ». Cette appellation pose problème à mon humble avis. Prenons le cas des vigiles qui sont en ville et qui veillent sur des patrons, et des personnes disposant d’autorisation d’achat et de ports d’armes ; entre eux et les populations qui s’organisent dans leur environnement, qui est plus auto-défense que l’autre ? Non, les communautés s’organisent pour se défendre. Et cette appellation a maintenant une connotation péjorative, comme si c’était des hors-la-loi, des vas-t-en guerre. Et lorsqu’on leur colle cette appellation et qu’ils arrivent eux-mêmes à l’accepter, ça peut être très dangereux. Les défis sécuritaires sont énormes et demandent que la communauté s’organise aux côtés des Forces de défense et de sécurité. Les associations « Koglweogo » et assimilées ont de l’expérience en la matière.

Aussi, il faut éviter de confondre les « Koglweogo » à un groupe de personnes ; parce que dans leur concept originel, c’est une organisation qui veut dire protéger les hommes, leurs biens et l’espace dans lequel ils vivent. Contrairement à ce que des gens pensent que c’est pour protéger la brousse, c’est un concept qui veut dire protéger la vie humaine simplement. Donc, quand on dit « Koglweogo », il faut éviter de voir deux, trois ou quelques personnes organisées ; c’est toute la communauté et chacun joue un rôle. Mais comme une communauté ne peut pas s’organiser sans direction, on met en place une sorte de bureau avec quelques personnes et ce sont elles qu’on voit en mouvements, ce sont elles qui coordonnent l’action de ces organisations.

Lefaso.net : On note qu’il y a de plus en plus de couacs entre ces associations et des forces de sécurité (la preuve avec cet incident devant la gare STAF, il y a deux semaines). Comment peut-on expliquer cela ?

Sanoussa Gansonré : Ce qui est arrivé est regrettable bien sûr. La première explication qu’on peut trouver, c’est le ‘’boom’’ des « Koglweogo ». Ensuite, le fait que les populations y ont adhéré de façon systématique. Si fait que tout ce qui semble en contradiction avec l’action de ces organisations est rejeté par les populations. Ce sont des facteurs très importants à prendre en compte.

Lefaso.net : Certains leaders de ces organisations « Koglweogo » pensent que certains couacs entre leurs structures et des forces de sécurité sont sciemment provoqués dans le but de les voir disparaître. Est-ce votre perception ?

Sanoussa Gansonré : Je l’apprends effectivement avec les reportages des journalistes. Si c’est le cas, j’accuse le manque de sensibilisation, de contacts. Le contact ne consiste pas à appeler quelqu’un pour lui dire de faire, ou de ne pas faire, ceci ou cela. Non, ça va au-delà. Le contact consiste à aller vers lui, avec la bonne approche, pour que vous vous asseyiez pour écouter, parler, pendant une journée ou des journées. Cela permet à la personne d’entrer dans votre univers, votre esprit, dans votre politique sécuritaire et d’y adhérer. C’est cela qui a manqué. Le ministère de la sécurité intérieure fait des efforts pour le rapprochement mais est-ce la meilleure approche ? Il y a des expériences qui sont-là et il faut simplement les mettre en branle. On ne peut pas répartir avec un autre son de cloche vers les populations parce que ça devient de la contradiction et ça ne fait pas bien pour une institution. Il n’y a pas eu de continuité dans l’action de l’Etat et les populations acculées sont également perdues dans les actions de l’Etat. C’est déplorable, alors qu’il y a de nombreuses ressources qui y sont injectées. C’est du gâchis sur le plan des ressources financières, des ressources humaines mais surtout sur le plan de la confiance des populations vis-à-vis des institutions de l’Etat. Vous verrez que de nombreux pays sont venus à l’expérience du Burkina, notamment des « Koglweogo » du Yatenga et ils sont allés mettre les enseignements tirés en œuvre et ça marche. Pendant ce temps, nous sommes-là, en train de piétiner. Toutes les dérives qu’on constate aujourd’hui avaient été appréhendées et il a été dit qu’il faut travailler à l’éviter. Mais hélas ! C’est dommage et il faut véritablement que les gens se ressaisissent à tous les niveaux.

On avait, du reste, mis en place une Fondation appelée Fondation pour la prévention en matière sécuritaire, la promotion de la paix et du développement humain durable. La création de cette structure a été inspirée suite à un atelier organisé par la commune de Ouagadougou dans le cadre de son Programme conjoint de renforcement de la sécurité urbaine (PCRSU) en 2011. Les fondateurs ont compris la possibilité qu’à un certain moment, l’Etat ne puisse plus jouer un rôle dans l’encadrement des structures communautaires de prévention de l’insécurité pour plusieurs raisons (économique, technique, politique…) et qu’il faut d’autres acteurs institutionnels pour poursuivre l’accompagnement. Vous voyez bien qu’on n’a pas eu tort.

Lefaso.net : Que fait cette Fondation actuellement ?

Sanoussa Gansonré : Elle a plusieurs fois proposé sa contribution à la gestion de la situation avec les « Koglwéogo » au MATDSI (ministère de l’Administration territoriale et de la sécurité intérieure), mais sans bénéficier d’écoute. Cependant, elle est en train de s’organiser pour apporter d’autres contributions techniques au renforcement des capacités organisationnelles des structures communautaires de sécurité sur le terrain. Cela permettra de relancer sainement la participation communautaire et d’éviter les comportements et attitudes décriées par certains acteurs. Le président de la Fondation est le premier directeur de la Police de proximité, à la retraite.

Lefaso.net : Quel message donc aux acteurs, parce que l’objectif final est que le Burkinabè soit en sécurité ?

Sanoussa Gansonré : C’est d’abord à l’endroit du ministère en charge de la sécurité à revoir tout ce qui a été fait au sujet de la Police de proximité, à revoir tous les rapports qui ont été produits, toutes les recommandations et partir de là pour la suite. Il y a des éléments très enrichissants et d’actualité. Si on laisse ça et on les range dans les oubliettes, ce qui va venir également pourrait être rangé dans les oubliettes par un acteur qui ne partagerait pas la vision du ministère actuellement. Je leur demande d’accélérer le processus et de voir les autres acteurs du processus pour la réussite de la relance de la police de proximité qui nous est indispensable du reste.
A l’endroit des autres acteurs institutionnels, il faut que les gens cherchent à comprendre le processus qui a été enclenché depuis 2009 avant d’avoir des avis, avant d’analyser et éviter des propos qui vont emmener ces organisations à manquer du respect vis-à-vis de l’Etat. Il ne faut pas les opposer ; tout le monde fait partie de l’Etat.

Aux structures communautaires de sécurité, « Koglweogo », je les invite véritablement à écouter attentivement les invites du ministère en charge de la sécurité par rapport à leur intégration dans la Police de sécurité. De toute façon, c’était prévu. Parlant de Police de proximité, il faut voir tout simplement, l’organisation de la communauté pour prévenir l’insécurité, avec l’appui de la Police et de la Gendarmerie. Je les invite donc à s’approprier la Police de proximité. Mais, là aussi, il faut qu’il y ait une offre d’appropriation, voilà pourquoi j’invite le ministère de la sécurité à s’investir rapidement pour apporter la formation.

Au citoyen lambda, qu’il sache qu’il est acteur de la Police de proximité dans son secteur, dans son village. Il faut dépasser les débats inutiles pour travailler pour le bien de tous. Toutes les intelligences doivent être conjuguées pour faire face aux nombreux défis et menaces sécuritaires. Sachons conserver les acquis au lieu de chercher à réinventer la roue.

Dieu bénisse le Burkina faso.

Entretien réalisé par Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net

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