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Enquête à Orodara où deux visions du monde s’affrontent 2/2

Publié le samedi 16 juillet 2016 à 06h00min

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Enquête à Orodara  où deux visions du monde s’affrontent 2/2

Le seul patrimoine culturel immatériel accepté par les musulmans est, à notre connaissance, Allah. Et pour eux, « il n’y a de dieu que Dieu ». Il n’en est pas de même pour les religions animistes, polythéistes.

À cause du sang versé, et de la connotation négative du terme « fétiche » généralement appliquée aux autels sacrificiels, les dénigrements ne manquent pas au sujet des religions traditionnelles, dans les commentaires des Africains convertis aux religions du Livre. Ainsi, au sujet des rites sèmè, pour nombre de protestants, « leurs manières-là, c’est du Satan ! ». Ils oublient que le dieu de l’Ancien Testament, le dieu d’Abraham et de Jacob, réclamait le sang des bœufs par flots (voir Job) ; c’était un dieu vengeur et sans pitié, qui lançait sortilèges et plaies à toute occasion. Ce Dieu-là est aussi celui du Coran.

Les Sunnites, eux, retiennent leur langue, mais ont demandé aux autorités administratives qu’un arrêté soit pris pour que le rite du dwo n’ait lieu que la nuit, ce qui leur permettrait d’exercer leur “propre” culte la journée en toute tranquillité. Ainsi “sans doute” serait célébré par eux un culte de la lumière, et par les coutumiers, un culte des ténèbres. Ce manichéisme insensé est nuisible à la paix entre les communautés, il est diviseur et en cela diabolique au sens étymologique du terme [diable, du grec diabolos : qui désunit, qui divise ; ou calomniateur, selon une autre traduction, ce qui revient au même]. D’ailleurs, les coutumiers Sèmè sont les premiers à affirmer que les sorciers œuvrent la nuit, et les Sunnites les derniers à publier qu’Al-^icha‘, la prière de la nuit, devrait en principe durer toute la nuit, ce qui ne fait pas pour autant d’eux des sorciers !

Les oppositions fondamentales entre l’animisme et les religions importées

L’animisme des Sèmè (comme toute croyance selon laquelle des animaux, des éléments naturels ou des objets abritent des puissances surnaturelles et reflètent l’idée d’une indispensable fusion de l’homme et du monde qui l’entoure), diffère essentiellement des religions importées par la proximité du monde invisible qu’elle considère (génies et mânes des ancêtres) et le patrimoine culturel immatériel qu’elle mobilise. La plupart des religions traditionnelles ouest-africaines partagent néanmoins l’idée d’un dieu créateur plus lointain. Pour les Sèmè, c’est Diòno, ou encore Diònosô ou Diossò, “le grand d’en haut”.

Pour ceux qui croient au Dieu des religions importées (et imposées), “Il” a placé l’homme au sommet de sa création, au-dessus des animaux et des éléments naturels, placés là pour lui, pour qu’il en fasse ce que bon lui semble.

Ces deux conceptions du rapport de l’homme à son environnement et au monde sont radicalement opposées, contradictoires et inconciliables. Pour l’animisme, il s’agit de fusion avec la nature ; pour les religions du livre, il s’agit de la dominer. Et pour l’islam sunnite qui détient la sunnà, la vérité, il s’agit aussi de suprématie sur les autres religions, d’hégémonie.

La tolérance a-t-elle des limites ?

La société sèmè a été, est et sera toujours accueillante à l’égard de l’étranger : il est sacré et doit être bien reçu s’il est de passage [Nombreuses sont les histoires dans lesquelles un mendiant, un lépreux, se révèle être un génie bienfaisant venu proposer un pacte aux humains]. S’il reste, il est d’autant mieux accepté s’il est utile à la communauté, et davantage s’il s’y intègre complètement. La question est de savoir où se situe la limite de la tolérance, si l’accueilli décide de jouer son propre jeu aux dépens des coutumes de la communauté qui l’accueille.

Par ailleurs, la société sèmè a été, jusqu’ici, tolérante aux idées religieuses des autres. Anne Fournier, chercheur qui travaille depuis plusieurs années sur les sites sacrés et la coutume chez les Sèmè, précise : « Les religions animistes savent comment inclure certaines nouveautés, notamment des fétiches. Tant que les nouveautés viennent de sociétés qui fonctionnent sur le même principe, et qui partagent à peu près le même socle de croyances, cela ne pose pas de problème. En accueillant les nouvelles religions, les Sèmè ne pouvaient s’attendre à les voir revendiquer ensuite une exclusivité qui ne fait pas partie de leur propre mode de pensée ».

Une autre question est de savoir où se situe la limite de la tolérance s’il ne s’agit pas d’un accueilli, mais d’un membre de la communauté qui ne joue plus le jeu de sa propre communauté, mais celui d’une religion importée pour générer autour de lui une communauté parallèle afin qu’elle le soutienne, et que soit accordé davantage de crédit à ses visées personnelles, aux dépens de sa communauté d’origine.

Les Sunnites prêchent la tolérance dans les statuts de leur mouvement national, mais les faits témoignent du contraire, la presse en a rempli des colonnes. Au niveau strictement local, en 2016 les Sunnites de la mosquée du quartier Kouarino ont voulu empêcher les fidèles de la mosquée shiite du quartier Sogo de fêter Mouloud, la naissance de Mahomet.

Plus subrepticement, comme c’est arrivé à Monsieur S…, enseignant, musulman shiite entré dans la mosquée sunnite du quartier Kouarino pour y prier, dès qu’il a été repéré comme non-sunnite [par les quelques poils qu’il a juste sous la lèvre inférieure, et sa façon de prier, les bras le long du corps], sans être chassé ouvertement il a été poussé, par chaque nouvel arrivant, jusqu’à se retrouver dehors !

Qu’est-ce qui rend le lieu investi par les Sunnites si important pour les Sèmè ?

Historiquement, c’est là où s’est très longtemps tenu le marché, ainsi que son fétiche qui en protège les activités et évite les troubles inhérents à toute concentration humaine ; quand le marché a été déplacé en centre-ville, son fétiche l’a suivi, laissant sur place trois autels auxquels les Sèmè coutumiers sacrifient en des occasions particulières. En l’an IV de la révolution, il avait été question d’y faire une auto-gare, en laissant accessible aux coutumiers la zone qui les concernait. Cette “sollicitude” à l’égard de la religion traditionnelle autochtone peut étonner, de la part de révolutionnaires décidés à balayer les forces “arriérées et rétrogrades” du pays. Ce qui étonne aujourd’hui, c’est que cette simple reconnaissance de la liberté “universelle” de culte est refusée aux Sèmè par des musulmans qui prétendent, par ailleurs, prêcher la tolérance. Cliquez ici pour lire la suite sur regions.lefaso.net

Jacques Zanga Dubus
ozdubus@gmail.com

[En ce qui concerne la culture locale, Anne Fournier, chercheur de l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) qui travaille depuis 2009 sur les sites sacrés et la tradition chez les Sèmè, nous a été d’une aide précieuse.]

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