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Nigeria-USA : Le cas Taylor

Publié le mardi 10 mai 2005 à 07h58min

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Quand Olusegun Obasanjo se rend aux Etats-Unis, il n’éprouve certainement pas de difficultés à se faire recevoir à la Maison Blanche. Bien d’autres dirigeants africains n’ont pas ce privilège de pouvoir discuter avec l’homme le plus puissant de la planète.

C’est que Olusegun Obasanjo n’est pas n’importe qui. Il est à la tête de l’un des pays les plus peuplés, les plus riches, les plus pétrolifères mais aussi les plus en proie à la menace intégriste. Un pays qui compte donc, dans la stratégie d’approvisionnement des Etats-Unis en pétrole et de lutte contre le terrorisme.

Mais pour cette visite, Obasanjo était attendu sur le cas Taylor. Rien que pour son poids dans l’échiquier sous-régional, le Nigeria est un interlocuteur intéressant et peut être un partenaire de choix pour les Etats-Unis. Mais la dévorante ambition américaine de vouloir tout contrôler et tout diriger pourrait avoir affaire à forte partie avec Olusegun Obasanjo, en particulier sur le sort de l’ancien président libérien, Charles Taylor.

A Washington, c’est à peine si le président nigerian ne s’est pas vu intimer l’ordre de remettre Charles Taylor au Tribunal spécial de Freetown. A la veille de son arrivée en terre américaine en effet, la Chambre des représentants a adopté une résolution à la quasi-unanimité, demandant à Abuja de "transférer rapidement" M. Taylor au Tribunal spécial.

Cette pression savamment orchestrée par les lobbies américains ne semble toutefois pas avoir ébranlé M. Obasanjo qui joue là sa crédibilité et son honneur. En acceptant d’accueillir l’ex-président libérien, en juin 2003, Olusegun Obasanjo avait contribué à éviter une tragédie dans la capitale liberienne, au moment où Monrovia était assiégée par des rebelles. Tous avaient salué cette action du Nigeria qui, du reste, a permis d’instaurer un processus de paix qui continue de se construire.

En même temps, des gages avaient été donnés à Taylor qu’il ne serait pas extradé en Sierra-Leone, bien qu’il fût sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Pour Obasanjo, cette impunité (passagère) est le prix à payer pour le retour de la paix au Liberia. Car Taylor dispose encore d’une capacité de nuisance. Et s’il est acculé, rien ne prouve que son ancienne armée restera passive. Sans compter l’impressionnante fortune dont dispose l’ancien maquisard devenu président et avec laquelle il peut tout faire.

Du reste, même emmuré dans sa résidence surveillée, l’ex-chef d’Etat n’est-il pas accusé de continuer à déstabiliser la sous-région ? Le procureur du Tribunal spécial de Freetown n’a pas hésité à mettre sur son compte la tentative d’assassinat, en janvier dernier, du président guinéen, Lansana Conté. Il a aussi mis à l’index le Burkina d’avoir reçu la visite de Taylor.

Si les dirigeants de Ouagadougou ont préféré garder le silence sur ces allégations - sans doute ne leur accordent-ils aucun crédit - le porte-parole du président Obasanjo, lui, a officiellement émis des doutes sur la véracité des accusations dont fait l’objet M. Taylor. Ou le procureur ment pour amener la communauté internationale à précipiter l’extradition de Taylor (ce qui serait hautement préjudiciable à l’honneur du Tribunal), ou il dit la vérité et c’est le Nigeria qui ne respecte pas les termes de l’accord qui veut qu’un tel exilé se tienne tranquille en observant un devoir de réserve.

Une chose est sûre : Obasanjo fait preuve d’une fermeté que l’on aimerait voir plus souvent chez nos chefs d’Etat. Tout en reconnaissant que tout auteur de crimes doit être jugé, il a refusé de livrer Taylor au Tribunal spécial. Il préfère le renvoyer dans son propre pays, une fois que les institutions démocratiques permettront de garantir ses droits.

En cela, Obasanjo applique la Convention des Nations Unies qui dit qu’"aucun Etat partie n’expulsera, ne refoulera ni n’extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture".

Les Etats-Unis qui se veulent champions de la lutte contre l’impunité, ne sont cependant pas exempts de critiques. N’ont-ils pas refusé d’adhérer à la Cour pénale internationale ? Pire, n’ont-ils pas inventé la délocalisation de la torture en transférant des présumés terroristes dans d’autres pays pour être soumis à des interrogatoires assortis de sévices ?

Dans une enquête parue dans "Le monde diplomatique" d’avril dernier, l’écrivain journaliste Stephen Grey révèle que "l’armée américaine vient de reconnaître la mort d’une trentaine de prisonniers confiés à sa garde en Afghanistan et en Irak" et que "la CIA multiplie les opérations de "sous-traitance", envoyant des captifs dans les geôles du Maghreb ou du Proche-Orient où la torture continue d’être d’usage courant". On appelle cela la "restitution extraordinaire".

Face à un interlocuteur comme George W. Bush qui autorise de telles pratiques contraires aux droits humains, Olusegun Obasanjo a raison de tenir bon, dans le cas Taylor. L’Amérique devrait commencer à mettre de l’ordre dans ses propres rangs, à s’insérer dans la Cour pénale internationale, avant de vouloir donner des leçons aux autres.

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 10 mai 2005 à 12:23 En réponse à : > Nigeria-USA : Le cas Taylor

    Bravo pour votre analyse !
    Vous avez d’autant plus raison de proner des réserves envers les Etats-Unis et leurs accusations véhementes (du procureur Crane notamment) qu’on se rappelle encore comment ils n’ont pas hésité à mentir éhontement à propos des armes de destruction massive pour pouvoir envahir l’Iraq et confisquer son pétrole. !!!

    Walker

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