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‘’ On ne peut pas avancer en ignorant catégoriquement notre identité … ‘’ Sibiri Luc Irénée Dembèga, président du Club Afrique Mon Afrique

Publié le mercredi 8 juin 2016 à 23h15min

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‘’ On ne peut pas avancer en ignorant catégoriquement notre identité … ‘’ Sibiri Luc Irénée Dembèga,  président du Club Afrique Mon Afrique

« Pour un retour à la source, un retour au pays de CHAM ». C’est le crédo de l’association, Club Afrique Mon Afrique (CAMA), animée par des jeunes ‘’assoiffés’’ de préserver et de promouvoir des valeurs nationales et africaines. Incivisme, perte de valeurs et d’intégrité, missions et projets de l’organisation sont des sujets abordés avec son premier responsable, Sibiri Luc Irénée Dembèga.

Lefaso.net : Le CAMA, qu’est-ce que s’est ?

Sibiri Luc Irénée Dembèga : Le Club Afrique Mon Afrique (CAMA), est une organisation officiellement reconnue en mai 2009 et a pour principal objectif de mener des activités entrant dans le cadre de la préservation et de la promotion des valeurs culturelles africaines. C’est la préservation de la mémoire africaine, en un mot.

Lefaso.net : Que faut-il comprendre par ‘’valeurs culturelles africaines’’ ?

Sibiri Luc Irénée Dembèga : C’est tout ce qui peut être une référence pour nous, jeunesse africaine, pour construire l’avenir sur une identité qui nous est propre. Car, dit-on, le passé est un guide convaincant pour construire l’avenir. Donc, le passé doit être pour nous un socle et voilà pourquoi le CAMA en a fait son cheval de bataille.

Lefaso.net : Qu’est-ce qui vous a motivés à créer une telle structure pour promouvoir les valeurs africaines ?

Sibiri Luc Irénée Dembèga : Nous avons été d’abord des auditeurs d’une émission, « Afrique Mon Afrique » sur une radio de la place (Ouaga FM, ndlr) que nous avons eu la chance par la suite de co-animer avec le principal animateur (Dr Bétéo Nébié) et en lui proposant aussi des thèmes sur la culture africaine. Pendant trois années, nous avons apporté notre modeste contribution en débattant donc sur des thèmes qui concernent les valeurs africaines, les valeurs spirituelles, l’Egypte antique, etc. Cela nous a permis de rencontrer beaucoup de jeunes qui avaient manifesté un grand intérêt pour ce genre d’initiatives. D’où l’idée de mettre en place cette association pour aller au-delà de la radio pour partager des savoirs.

Lefaso.net : Qu’est-ce que la jeunesse gagne aujourd’hui en s’orientant vers les valeurs africaines ?

Sibiri Luc Irénée Dembèga : Il faut savoir que la vie, elle-même, est un mystère. Nous sommes entourés de mystères, de plusieurs valeurs. Ce sont des choses que nos ancêtres nous ont léguées. Que nous voulions ou pas, nous sommes nés d’une famille qui est d’un clan… et qui a des valeurs. C’est cela qui fait notre identité. On ne peut pas avancer en ignorant catégoriquement cela. Or, de nos jours, la jeunesse avance en laissant derrière elle des réalités dont elle devra tenir compte. Ces éléments que les jeunes tendent à abandonner pouvaient faire, en réalité, le fondement de leur succès, de leur épanouissement. Voilà pourquoi nous prônons qu’on revienne à ces valeurs culturelles, retourner vers la source pour puiser des éléments positifs. Une jeunesse qui se réfère à de telles valeurs ne sera jamais perdue.

Lefaso.net : Quels genres d’activités vous menez au CAMA ?
Sibiri Luc Irénée Dembèga :
C’est, essentiellement et surtout, des débats et des formations. Au-delà de l’association CAMA, en tant que entité, c’est aussi des valeurs que nous véhiculons entre nous membres. CAMA est ouvert à tout le monde et nous allons aussi vers des personnes-ressources pour apprendre et leur demander de nous aider dans la mission que l’association s’est assignée.

Lefaso.net : Qui sont les personnes-ressources pour vous, quand on sait qu’une telle initiative en exige ?

Sibiri Luc Irénée Dembèga : Cette ressource humaine, nous l’avons nommée le collège de sages. Dans nos statuts et règlement intérieur, nous avons spécifié que le CAMA a, à son sein, un collège de sages qui est formé de personnes de référence que les membres approchent pour demander le soutien et l’accompagnement dans la poursuite de sa mission. Ce sont des chefs coutumiers, de vieilles personnes, des chercheurs, etc.

Lefaso.net : Normalement, le Burkina ne devait pas connaître un certain nombre de tares sociales selon votre logique ; comment analysez-vous donc aujourd’hui la recrudescence de l’incivisme au Burkina sous toutes ces formes ?

Sibiri Luc Irénée Dembèga : Personnellement, je dirais que c’est l’ignorance la source de tout mal. Cette ignorance, ce n’est pas seulement au sein de la jeunesse ; il y a aussi beaucoup de parents qui ne se connaissent pas eux-mêmes. Donc, la jeunesse aussi est perdue ; plus de repère. Normalement, dans la société, le père/la mère est un repère pour l’enfant. Mais, quand un père ne se connaît pas… c’est compliqué pour la suite.

N’importe qui ne doit pas aller n’importe comment. Rien n’est fait au hasard en Afrique et chaque père doit pouvoir apprendre à ses enfants comment marcher par rapport à un certain nombre de valeurs. Donc si un père, côté valeurs intrinsèques et sociales est perdu ; que fera l’enfant pour respecter ses parents ? Imaginez, un enfant qui se lève le matin pour aller à l’école, et qui ne sait pas dire bonjour à son père ou à sa maman. Il y a problème.

La base est faussée à partir du moment où l’enfant n’a pas le réflexe d’amour de dire bonjour à son père et à sa mère. Cette valeur fondamentale de respect du père et de la mère, si elle est ratée, je ne sais pas ce qu’il deviendra dans la société. S’il ne respecte pas ses géniteurs et se retrouve à l’école, quel regard de valeur pourrait-il avoir vis-à-vis de son enseignant ? Le voit-il en tant qu’enseignant ou en tant que maître ? Parce que dire que quelqu’un est mon maître, ça recouvre un sens très lourd qui va au-delà des connaissances scientifiques, livresques pour me construire.

Malheureusement aussi, est-ce que les maîtres (je parle de tous ceux qui enseignent) mesurent vraiment la noblesse et la portée de leurs missions dans la société, de sorte à pouvoir se conduire comme tels et donner ce qu’on attend d’eux ? Ça fait que l’enfant part à l’école mais il n’est pas initié à y aller ; il est simplement instruit. Sans remettre en cause quoi que ce soit, je dirais qu’il y a beaucoup d’éléments à revoir dans le contenu de l’enseignement car, il y a une rupture avec certaines valeurs qui devaient aller avec l’école.

Lefaso.net : Quel est le projet qui tient vraiment à cœur le CAMA ?

Sibiri Luc Irénée Dembèga : C’est au regard de tout ce que nous avons développé que nous avons pensé à la « Semaine africaine du Burkindlim de Ouagadougou, SABO ». Cette semaine dont nous sommes sur les préparatifs, vise à contribuer à la restauration des valeurs culturelles et spirituelles burkinabè que nous sommes en train de perdre. Cela est pour nous un combat impératif parce que nous devons honorer le sang versé de nos ancêtres, de nos grands-parents, nos parents et nos frères tombés pour des valeurs nobles, pour les causes nationales.

Aujourd’hui, nous portons le nom ‘’Burkinabè’’ qui veut dire ‘’homme intègre’’ ; nous pensons que c’est un simple mot que nous portons. Mais, de la Haute-Volta (donc du Voltaïque) au Burkina-Faso (donc au Burkinabè), il a fallu des hommes pour réfléchir et comprendre que c’est une culture de nos pères. Ces hommes ont donc voulu l’instaurer, le promouvoir comme valeur. Ces personnes qui ont remarqué et réfléchi ont simplement voulu que nous nous revêtions l’intégrité. Aujourd’hui, chacun peut dire de la bouche que je suis intègre.

Mais, en réalité, l’intégrité ne se proclame pas, elle se vit et ce sont les autres qui vont le constater. Et c’est à la fin d’une mission ou d’une vie qu’on peut dire que celui-là est intègre. C’est un sacrifice, un don de soi. Aujourd’hui, on prône cela sans même vraiment se poser la question fondamentale du nom que nous portons. Véhiculons-nous les valeurs du Burkindlim (intégrité) ? Ceux qui l’ont été se sont sacrifiés pour que nous jouissions aujourd’hui du sceau d’homme intègre. Alors, c’est une culture, c’est un art de vie à ‘’ré-inculquer’’ à la jeunesse. Il faut vraiment travailler à ce que l’Homme du Burkina soit intègre.

Lefaso.net : Que faut-il faire pour restaurer ces valeurs ?

Sibiri Luc Irénée Dembèga : L’objectif de cette Semaine, c’est de rechercher les traces des valeurs que nous pouvons inculquer. Par exemple, les initiatives d’intérêt commun, tout le monde est-il prêt pour se sacrifier pour l’ensemble des Burkinabè ? Donc, nous devons d’abord aller vers les pères, qui sont cachés dans les villages les plus reculés, tous ceux qui se sentent interpellés par la restauration de ces valeurs, peuvent nous aider dans ce combat. Nous aussi, nous pouvons nous tromper ; nous ne disons pas que nous qui menons ce combat sommes intègres, nous n’avons donc pas de leçons à donner, nous disons simplement qu’il faut qu’on repense à notre intégrité.

Donc, nous ne pouvons pas dire voilà ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Nous invitons seulement, surtout à travers cette semaine, à penser ensemble. Ce n’est même pas à une édition qu’on peut le faire, c’est un combat de longue haleine. Cela fait une trentaine d’années que nous portons le nom Burkinabè, nous sommes-nous assis pour penser si nous sommes toujours sur la voie et si nous méritons cette valeur ? C’est ce que la jeunesse du CAMA et d’autres jeunes tentent de mettre en exergue. D’où le thème de cette première édition : « Jeunesse et devoir de mémoire ».

Lefaso.net : Quel sera le contenu ?

Sibiri Luc Irénée Dembèga : Avant même la semaine proprement dite, nous voulons d’abord rendre hommage à ceux qui sont tombés le 15 octobre 1987. Bien que ce soit un jour de deuil, il a été aussi un jour de victoire. Victoire qui s’est traduite par les propos de ceux qui sont tombés ce jour-là. Nous voulons donc poser des gerbes de fleurs, faire des stèles et planter des arbres autour du cimetière de Dagnoën pour rendre hommage aux pères du Burkindlim. Donc, nous voulons mettre un petit jardin et l’entretenir.

Du reste, nous avons même entrepris le nettoyage régulier des lieux pour le débarrasser des ordures et maintenir les lieux intacts.
Outre cela, on aura des communications, un marché dénommé ‘’Burkind daaga’’ où des gens pourront échanger avec des personnes de savoirs et de cultures que nous avons identifiées et que nous continuons d’identifier. Ce sera vraiment une foire de rencontres de valeurs et d’Hommes de connaissances. Faire comprendre à la jeunesse que le nom Burkinabè qu’elle porte est en lui-même une culture.

Lefaso.net : Avec l’exhumation...
Sibiri Luc Irénée Dembèga : L’exhumation n’efface pas l’esprit. Son message est universel et pour nous, ils vivent à jamais. Nous ne voyons plus cela comme de simples tombes qu’il faut symboliser, c’est un esprit vivant à entretenir. Nous voulons vraiment symboliser ce lieu, dans notre dynamique de promotion de l’intégrité.

Lefaso. net : Le message de CAMA à ce jour ?

Sibiri Luc Irénée Dembèga : Nous avons sollicité une autorisation auprès des autorités afin de nous permettre de mener cette activité qui nous tient vraiment à cœur. Le 13 en 1 (c’est-à-dire les treize tombes, Thomas Sankara et ses douze compagnons, en un seul lieu) est un symbole prodigieux et spirituel de la lutte pour la liberté de la jeunesse burkinabè et de l’Afrique d’une manière générale. Celui-ci ne devra jamais être banalisé ni désacralisé, comme c’est le cas aujourd’hui.

Comme l’a dit notre grand-père le Larlè Naaba Ambga « nisaal yuurin paad dunian, a minga ya ting toom » qui signifie « C’est le nom de l’homme qui reste dans le monde, son corps n’est que poussière ». Ces propos nous rappellent que la flamme d’espoir burkinabè et africaine est spirituelle et ne devrait en aucun cas disparaître pour des profits bassement matériels. La tombe n’est pas seulement un symbole matériel, elle est surtout spirituelle. Tous ceux qui veulent apporter leur pierre à cette édification peuvent contacter le CAMA (70 74 66 98 - 79 90 92 71 / camafaso2009@yahoo.fr).
Que les Pères protègent nos pères ! Que l’amour soit notre bouclier !

Entretien réalisé par Oumar L. OUEDRAOGO
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