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Pourquoi, juridiquement, le tribunal militaire doit libérer immédiatement le Bâtonnier Mamadou S. Traore sans attendre un arrêt de la Chambre d’accusation ou de la Cour de Cassation :

Publié le lundi 2 mai 2016 à 23h42min

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Pourquoi, juridiquement, le tribunal militaire doit libérer immédiatement le Bâtonnier Mamadou S. Traore sans attendre un arrêt de la Chambre d’accusation ou de la Cour de Cassation :

Aux termes des dispositions de l’article 6 du Règlement UEMOA « Les avocats ne peuvent être entendus, arrêtés ou détenus sans ordre du Procureur Général près la cour d’Appel ou du Président de la Chambre d’Accusation, le Bâtonnier, préalablement consulté. »

L’application de cette règle ne signifie nullement que les Magistrats ou les avocats et les Huissiers (Auxiliaires de justice) ou les Notaires (Officiers Ministériels) sont au-dessus de la loi, mais bien au contraire, cette règle constitue plutôt, indiscutablement, une certaine garantie de la liberté et de l’indépendance de l’Avocat dans l’exercice de ses fonctions de défense d’autrui quel que soit le caractère abominable de l’infraction et sa finalité est surtout de permettre au Bâtonnier en exercice de s’assurer que sous le couvert de pseudo motifs divers, le Ministère public (Procureur du Faso, Procureur de la République, Procureur du Roi…) n’entrave l’exercice de la profession d’un avocat qui doit rester, en toutes circonstances, indépendant et libre dans sa parole pour la défense de son client, personne physique ou morale.

Cette obligation de « consultation » du bâtonnier en exercice par le Procureur Général, au-delà de l’obligation de courtoisie nécessaire entre avocats et magistrats, emporte surtout des obligations légales au titre desquelles la communication des éléments de faits matériels mais surtout de droit sur lesquels se fonde l’accusation du Parquet dirigée à l’encontre d’un Avocat et, en l’espèce, le Bâtonnier Mamadou S. TRAORE.

Certes, le secret de la procédure d’instruction, (autre exigence procédurale) qui tend à garantir, entre autres, la présomption d’innocence, interdit à quiconque (en ce compris les intervenants exclusifs dans le cadre d’une procédure d’instruction) de divulguer dans la presse ou par n’importe quels moyens de communication les faits matériels reprochés à n’importe quel inculpé.

La « ratio legis » de l’obligation faite au Procureur Général (avant toutes mesures de privation de liberté d’un Avocat) d’informer le Bâtonnier en exercice des faits reprochés à l’avocat est de permettre au numéro 1 des Avocats de s’assurer que les faits reprochés, faisant l’objet de poursuites pénales n’ont absolument rien à voir avec l’exercice professionnel de l’avocat ou sa liberté de parole et d’écrit, ainsi que son indépendance. Si c’est parce que le Bâtonnier Mamadou S. TRAORE aurait reçu son Excellence M. Macky SALL, Président de la République du Sénégal à son domicile privé ou c’est parce qu’il a défendu un dossier devant la Cour d’ABUJA, ces faits ne peuvent, en aucun cas, servir de base à son mandat de dépôt surtout si les dispositions de l’article 6 du Règlement Communautaire, (imparables qu’elles sont), n’ont pas été scrupuleusement respectées par le Procureur Général.

En effet, en l’espèce, le Bâtonnier en exercice, Maître Mamadou SAVADOGO, indique, imaginons bien évidemment, sous la foi de son serment que le Procureur Général n’a pas observé les dispositions de l’article 6 du Règlement Communautaire de l’UMOA. Dont Acte !

De son côté, le Procureur Général semble acquiescer qu’effectivement, ces dispositions impératives dudit article 6 du Règlement communautaire pose une difficulté concernant le mandat de dépôt du bâtonnier Mamadou S. TRAORE. La messe est dite et bien dite et on ne la répètera pas pour les « sourds » !

Par conséquent, c’est un impérieux devoir de chaque citoyen burkinabè que de s’élever ouvertement contre un tel mandat de dépôt du Bâtonnier Mamadou S. TRAORE afin que le droit soit respecté sans que des esprits malins ne viennent opposer une solidarité corporatiste. Et d’ailleurs qu’y a t-il d’anormal, sauf bien évidemment pour un impie ou un goujat impénitent, à voler au secours d’un frère, ou d’un Confrère ?

En tout état de cause, si nous ne le faisons pas, et sans aucune exagération, la prochaine étape, sera l’arrestation de notre Bâtonnier en exercice qui sera, à son tour, placé sous mandat de dépôt, par la suite, les membres du Conseil de l’Ordre et, enfin, tous les avocats du Burkina Faso. A la fin, il n’y aura plus personne pour défendre personne et, finalement, Adieu, l’Etat de droit au Burkina Faso. Ainsi naissent les Etats totalitaires et dictatoriaux !

Ce vice de forme évident et qui saute aux yeux d’un profane du droit (c’est-à-dire, l’absence de « consultation » du Bâtonnier par le Procureur Général) qui entraîne nécessairement, non seulement la nullité du mandat de dépôt, mais aussi la nullité de l’intégralité de la procédure menée par le Tribunal Militaire à l’encontre du Bâtonnier Mamadou S. TRAORE, s’apparente fort bien aux motifs de l’arrêt de la Cour de cassation du Burkina Faso qui vient d’annuler, courageusement, les mandats d’arrêt internationaux délivrés par le Tribunal Militaire à l’encontre d’une part, de l’ancien Président du Faso, Monsieur Blaise Compaoré, d’autre part, du Président de l’Assemblée Nationale de la République de Côte d’Ivoire, Monsieur Guillaume Kigbafori SORO et, enfin, de Mme Fatou DIALLO épouse DIENDERE.

Cet arrêt d’annulation des trois mandats d’arrêts par la Cour de Cassation est difficilement critiquable sur le plan juridique d’autant plus qu’il s’agit d’une décision émanant de la juridiction suprême du Burkina Faso. Elle fera nécessairement office de jurisprudence.

A ce sujet, le « balai citoyen », organisation de la société civile (OSC), drôlement silencieux sur les malversations (mises récemment en évidence dans le rapport de l’ASCE) et commises par certaines autorités de la transition, serait bien inspiré de respecter et de faire respecter les décisions de justice dans la mesure où la décision de chaque Magistrat est rendue au nom du peuple burkinabè.

Par ailleurs, il est contradictoire de s’opposer à l’immixtion du pouvoir exécutif dans la sphère de l’autorité judiciaire et, en même temps, vouloir critiquer les décisions judiciaires surtout lorsqu’elles émanent de la plus haute juridiction du pays.

Pour s’en tenir strictement aux règles de la procédure pénale concernant le mandat de dépôt décerné, litigieux et légalement contestable, au-delà même de la personne individuelle du Bâtonnier Mamadou S. TRAORE, il convient d’appeler, et ce, sans même connaître la nature des faits qui lui sont reprochés, (eu égard au secret de l’instruction) à la libération immédiate et sans condition pour le vice rédhibitoire de procédure, et le péché mortel originaire de l’absence de « consultation » préalable du P.G. qui a, irrémédiablement plié cette procédure illégale en application des dispositions impératives de l’article 6 du Règlement communautaire de l’UEMOA.

Dès lors, pour sortir de cet imbroglio judiciaire, la voie royale pour le Tribunal Militaire est d’édicter une ordonnance spécialement motivée au seul visa de l’article 6 du Règlement communautaire, d’application directe dans l’ordonnancement juridique burkinabè. Cela honorera le Tribunal Militaire…

Par ailleurs, cette juridiction (le Tribunal Militaire) doit, d’elle-même, prononcer au passage la nullité du mandat de dépôt pris à l’encontre du Bâtonnier Mamadou S. TRAORE et des actes subséquents, notamment l’acte initial d’inculpation ainsi que l’intégralité des procès-verbaux de la procédure menée à son encontre avant que la Chambre d’accusation ou la Cour de cassation ne s’emparent de ce dossier, radicalement vicié.

Ne pas prendre une telle ordonnance consisterait sans aucun doute, à mener une procédure exclusivement à charge alors que le Juge d’Instruction, aux termes des textes légaux, doit instruire non seulement à charge sur réquisition du Parquet, mais également à décharge en fonction des éléments de preuve et des vices de procédures décelés par l’inculpé et/ou son Avocat. C’est surtout s’exposer à la censure de la Chambre d’accusation ou de la Juridiction suprême.

La loi demeure toujours la loi même si elle est perçue souvent comme sévère (sed lex, dura lex) et si les acteurs de la justice refusent eux-mêmes d’appliquer le droit, ne serait-il pas la porte ouverte à de graves dérives totalitaires et au « torpillage » de l’Etat de Droit.

Si la violation de la loi par un citoyen « lamda » est répréhensible, elle l’est encore davantage par des Magistrats qui ne sont pas, eux aussi, en dépit de l’excellence utile des relations entre avocats et Magistrats, au-dessus de la loi, même si les décisions sont rendues au nom du peuple burkinabè.

L’avocat ne doit, en aucun cas, ni pour une cause quelconque (y compris pour l’argent), reculer devant la mise en œuvre des textes légaux, nationaux ou internationaux, et ce, au nom des principes mêmes d’indépendance et de liberté de voix et d’écriture de l’Avocat, devant aucune barrière judiciaire pour la défense des principes cardinaux de la procédure qu’elle soit, civile, pénale ou militaire.

C’est ce que gagnerait indéniablement le droit, ce que le Tribunal militaire a, d’ores et déjà, perdu en délicatesse, en mépris de l’article 6 du Règlement communautaire, nonobstant la présomption d’innocence du Bâtonnier Mamadou S. TRAORE qui a droit, comme tout citoyen au-delà de sa qualité d’avocat et d’ancien Bâtonnier, à un procès équitable.

Ne pas le dire ou l’écrire pour la postérité constituerait un « silence coupable », non seulement de la part des auxiliaires de justice et des magistrats, mais aussi de l’ensemble des citoyens burkinabè soucieux du respect des textes légaux.
L’application de l’article 6 du règlement Communautaire n’est pas une question d’individu ou de personne, mais une question de principe élémentaire d’application d’un droit processuel sans lequel, aucun Etat de Droit ne peut véritablement prospérer. « La procédure est la sœur jumelle de la liberté », disait Loisel. Nous le constatons aujourd’hui avec le cas de notre Confrère, le Bâtonnier Mamadou S. TRAORE dont la libération immédiate ne peut et ne doit souffrir d’aucune ambiguïté au visa de l’article 6 du Règlement Communautaire de l’UEMOA qui devrait d’ailleurs être intégré dans le « corpus » législatif burkinabè sous le numéro 75 bis du Code de Procédure Pénale.

Paul KERE,
Docteur en Droit de L’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne.
Avocat au Barreau de Nancy et du Burkina Faso
Délégué CSBE Région n° 6 France.

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