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Crise ivoirienne : La fumée "grise" de Gbagbo

Publié le vendredi 29 avril 2005 à 11h24min

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Les regards de la communauté internationale et particulièrement, ceux des Ivoiriens étaient tournés vers la baie de Cocody dont les eaux devenues saumâtres ne reflètent plus les lambris du palais de verre de la présidence ivoirienne.

Ce haut lieu où Laurent Koudou Gbagbo réunissait les bûches et autres ingrédients combustibles qui devraient permettre d’allumer le feu qui aurait servi à faire monter sa fumée.

Il a fallu attendre treize jours. L’attente fut donc longue. Ce même chiffre treize a été choisi par le médiateur sud africainThabo MBeki. L’on se souvient en effet que sa feuille de route pour un retour de la paix en Côte d’Ivoire a été rendue publique le 13 avril dernier.

Simple coïncidence ? Sans être superstitieux, osons croire que ce chiffre (13) apportera la paix en terre d’Eburnie. Y-a-t-il véritablement des raisons d’espérer, après la réponse de Gbagbo à MBeki ? Une chose est certaine. La fumée libérée n’est pas "noire", signe d’un refus catégorique. Elle n’est pas non plus "blanche", expression d’une approbation totale.

La fumée tant attendue est "grise", ce qui nécessite des interprétations et analyses approfondies afin de décoder le message de Laurent Koudou Gbagbo. Reconnaissons qu’un pas en avant a été fait avec la volonté politique exprimée d’avoir recours à l’article 48 de la Constitution à titre exceptionnel pour valider la candidature d’Alassane Dramane Ouattara à l’élection présidentielle d’octobre 2005.

Mais en même temps, un nouvel obstacle se dresse, qui risque de bloquer le processus électoral. Le recours par le président ivoirien à l’Institut national des statistiques (INS) exclusivement pour établir les listes électorales sans en informer la classe politique ivoirienne et sans en référer au médiateur, peut être perçu comme un danger pour la paix. Tout laisse penser que Laurent Koudou Gbagbo veut sortir la Côte d’Ivoire de la "crise de l’ivoirité" pour l’installer dans une "crise électorale".

De la crise de l’ivoirité à la crise électorale

Après avoir pris pendant longtemps en otage le retour de la paix en Côte d’Ivoire avec ses diverses volte-faces, Laurent Koudou Gbagbo va-t-il réussir à piéger la prochaine élection présidentielle d’octobre 2005 ? C’est son parti, le Front populaire ivoirien (FPI) dirigé par Pascal Affi N’Guessan qui donne le ton. Le parti présidentiel fait une analyse de l’Accord de Pretoria en ses points 7 et 8 portant sur l’organisation de l’élection présidentielle qui inquiète et indique que des dispositions de cet accord ne seront pas respectées. Prenons connaissance de ces deux points :

Le point 7 portant sur la Commission électorale indépendante (CEI) précise que :

- les parties signataires ont convenu d’apporter des modifications à la composition, à l’organisation et au fonctionnement de l’actuelle Commission électorale indépendante (CEI).

Ainsi, il est retenu :

1. S’agissant de la Commission centrale de la CEI :

- que chaque partie signataire de l’Accord de Linas-Marcoussis soit représentée par deux (2) personnes soit (06) personnes pour les "Forces nouvelles",

- Seuls ont voix délibérative au sein de la Commission centrale, les représentants des parties signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis, ainsi que le représentant du Président de la République et celui du président de l’Assemblée nationale.

2 - S’agissant du bureau de la Commission centrale

- Que chaque partie signataire de l’Accord de Marcoussis soit représentée par une (01) personne au sein du bureau qui comprendra en outre, un (01) représentant du Président de la République et un (01) représentant du président de l’Assemblée nationale, soit au total, douze (12) personnes ;

- Le mandat des membres de la Commission centrale prend fin à l’issue des élections générales.

- "Le point 8 relatif à l’organisation de l’élection stipule :

- en vue d’assurer l’organisation d’élections libres, justes et transparentes, les parties signataires ont admis que les Nations unies soient invitées à prendre part aux travaux de la Commission électorale indépendante (CEI) et à ceux du Conseil constitutionnel".

Mandat a été donné au médiateur d’adresser une requête aux Nations unies à cet effet. La mission des Nations unies sera "appuyée par un mandat et des pouvoirs appropriés".

Le Front populaire ivoirien (FPI) considère que ces dispositions sont critiquables et contestables. Ainsi, s’agissant de l’organisation de l’élection, les responsables du parti soulignent :

- la mission d’évaluation de l’ONU qui a séjourné en Côte d’Ivoire du 13 au 27 octobre 2004 note dans son rapport à la page 3 "qu’il apparaît que les partis politiques ont la conviction que celui qui contrôle la Commission électorale indépendante contrôle également le processus électoral et, virtuellement, le verdict des urnes".

Cette conviction partagée par l’ensemble de la classe politique ivoirienne est le fondement de la revendication, depuis la réinstauration du multipartisme en Côte d’Ivoire en 1990, de la création d’une institution indépendante neutre et impartiale, spécialement chargée des élections.

Les modifications apportées par l’Accord de Pretoria à la Commission électorale indépendante battent en brèche ces principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance :

- déséquilibre dans la représentation au sein de la Commission, notamment dans le bureau où le G7 dispose d’une majorité écrasante de sept (07) membres contre 3 au maximum pour le parti au pouvoir ;

- discrimination en faveur du G7 à travers le droit de vote exclusivement réservé aux signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis alors que tous les membres de la Commission centrale prêtent serment devant le Conseil constitutionnel et sont astreints aux mêmes obligations ;

- limitation du mandat de la Commission à l’organisation des élections générales, ce qui est en fait une commission ad hoc, en violation de l’article 32, alinéa 4 de la Constitution et de l’esprit qui fonde la création de cette haute autorité administrative.

En outre, le pouvoir donné par l’Accord de Pretoria aux signataires de l’Accord de Linas-Marcoussis de changer leurs représentations au sein de la Commission électorale indépendante (CEI) peut être source d’instabilité en ce qu’il précarise la situation de la Commission et ne lui permet pas de tirer profit de l’expérience accumulée par ses membres actuels depuis sa création, ce qui constitue un risque évident pour l’élection qui a lieu dans moins de sept (7) mois.

Au total, les modifications arrêtées à Prétoria violent de façon flagrante, l’Accord de Linas-Marcoussis où il est simplement question d’organiser une "meilleure représentation des parties prenantes à la table ronde au sein de la Commission centrale de la CEI, y compris au sein du bureau". Elles vont au-délà des revendications du G7 formulées à l’occasion des débats parlementaires et contredisent les conclusions du comité des experts commis par le médiateur.

Le caractère sensible et stratégique des attributions de la Commission électorale indépendante, notamment :

- l’établissement des listes électorales,

- la détermination des circonscriptions électorales et de leur nombre,

- la proposition des dates du scrutin et d’ouverture des campagnes électorales ;

- la réception des candidatures,

- la désignation, la fonction et la révocation des membres des bureaux de vote,

- l’organisation et la supervision des campagnes électorales,

- la proclamation provisoire ou définitive des résultats de toutes les élections ne saurait s’accommoder d’une commission électorale otage du "G7" qui avait ainsi l’occasion rêvée de réussir par la voie électorale, le coup d’Etat qu’il n’a pu réussir ni par la voie armée, ni par la voie constitutionnelle.

Ainsi, l’analyse du FPI s’est imposée au Président de la République de Côte d’Ivoire.

Qui veut contrôler l’organisation de l’élection présidentielle ?

Le grand intérêt de l’Accord de Prétoria réside dans le principe permanent du recours au médiateur sur les interprétations de son contenu, confère le point 14, sur l’interprétation de l’Accord :

- les parties signataires conviennent de s’en remettre à l’arbitrage du médiateur en cas de différence d’interprétation sur tout ou partie de l’Accord de Pretoria.

Pourquoi donc le président Laurent Koudou Gbagbo n’a-t-il pas actionné cette clause en saisissant le médiateur Thabo MBeki sur l’organisation de l’élection présidentielle ? En dessaisissant la CEI de sa mission portant sur l’établissement de listes électorales, ne crée-t-il pas une crise dans la sortie de la crise recherchée ? N’est-ce pas cette même CEI ouverte à d’autres composantes politiques qui a organisé l’élection présidentielle de 2000 qui a eu pour vainqueur Laurent Koudou Gbagbo ? Cette CEI était-elle à la solde du FPI ? Tout le laisse croire. Alors Robert Guéi a donc eu raison de dénoncer la victoire de Laurent Koudou Gbagbo à l’élection présidentielle de 2000. Que l’histoire est cruelle !

La présence d’un représentant des Nations unies au sein de la CEI ne vise-t-elle pas à garantir l’impartialité de la structure en charge de l’élection ? Laurent Koudou Gbagbo ne cache-t-il pas mal sa peur d’une élection présidentielle propre et transparente ?

La volonté du camp Gbagbo de contrôler le processus électoral est manifeste. Si ses partisans dénoncent la CEI et considèrent qu’elle peut être prise en otage par le G7, ils expriment leur désir de vouloir caporaliser la structure en charge d’organiser l’élection présidentielle.

Laurent Koudou Gbagbo traduit cette réalité en acte concret en donnant des pouvoirs à l’INS pour l’établissement des listes électorales. Le président ivoirien doit éviter de vouloir sortir son pays de la "crise de l’ivoirité" tout en imposant au peuple ivoirien, une nouvelle "crise électorale".

L’exploitation unilatérale et déraisonnée de l’article 48 de la Constitution qui lui accorde des pouvoirs exceptionnels est à proscrire, au risque d’ouvrir une ère de dictature en Côte d’Ivoire et de plonger le pays dans une instabilité durable.

Par Michel Ouédraogo
Sidwaya

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