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Sana Bob, artiste musicien : « Il faut que ça change »

Publié le vendredi 19 février 2016 à 23h17min

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Sana Bob, artiste musicien : « Il faut que ça change »

C’est actuellement l’un des artistes musiciens les plus cotés au Burkina. A force de travail et de persévérance, l’homme au mégaphone s’est imposé dans le paysage musical en incarnat un reggae à base de sonorités burkinabè et africaines.
De passage à Paris, entre une émission TV et un train pour Bruxelles, il a répondu à toutes les questions de Lefaso.net. En toute franchise !

D’habitude, ce sont les syndicalistes et les manifestants qui utilisent le mégaphone pour crier leur colère et faire connaitre leurs revendications. Vous en faites un instrument de musique…

Oui, je suis un Crieur public qui annonce les bonnes et les mauvaises nouvelles, mais le plus souvent, elles sont bonnes. Pour être bien entendu, il faut que la voix porte loin et le mégaphone sert à ça ! En fait, il remplace le tam-tam qu’on utilisait autrefois dans les villages pour annoncer des nouvelles, mais comme je suis un griot moderne qui vit en ville, je me sers du mégaphone pour communiquer. Grâce à cet outil, je fais venir les gens et après, je dis ce que j’ai à dire.

Il n’y a pas de lieux précis ; je vais là où il y a des gens ; au marché, aux carrefours, devant les feux de signalisation, etc. Ce que je dis n’est pas toujours bien vu des pouvoirs en place, mais à chacun son boulot. Quand j’ai parlé du manque de toilettes publiques dans le titre « Mon pays », ça n’avait pas été bien apprécié par la municipalité de Ouagadougou. Pareil quand j’ai dénoncé le manque d’hygiène chez les femmes qui vendent la nourriture au bord de la route. Mais après, tout le monde a bien vu que j’avais raison et que je voulais que ça change dans le bon sens.

Quelles sont les sources d’inspiration de vos chansons ?

Le plus souvent, ce sont des faits vécus. Vous savez, je suis un enfant adoptif de Hado Gorgho Léontine, une grande dame de la musique traditionnelle qui chantait avec le Larlé-Naba. J’ai appris la musique avec elle tout petit et après, je suis parti en Côte d’Ivoire où j’ai été formé par Rose-Marie Guiro et Were Were Liking.

A mon retour, ce n’était pas facile pour moi qui étais un « diaspo » comme on nous appelle. Il y a avait quelque chose comme un choc culturel et le manque d’hygiène chez les restauratrices au bord de la route, je l’ai vécu. On était au mois de décembre et il faisait froid. Le matin, les gens veulent prendre le petit déjeuner et se réchauffer en même temps. On s’aligne donc en attendant son tour, mais à ma grande surprise, j’ai constaté que c’est le client qui devait laver lui-même son assiette alors qu’il n’y a pas d’eau. A Lomé, j’avais remarqué que les restauratrices mettaient de l’eau et du savon à la disposition des clients pour laver leurs mains. J’ai suggéré cela à la restauratrice burkinabè, mais elle ne m’a même pas écouté. C’était dans le quartier Sankariaré de Ouagadougou. Je lui ai dit : « Madame, le repas que vous mangez à la maison, je m’en fous, mais celui que vous vendez, ce sont les clients qui mangent ; donc, on a le droit d’avoir une assiette propre ». Elle m’a répondu : « Vous les Pawétos, vous faites le malin, tout le monde mange comme ça et personne ne se plaint ».

Sur le manque de toilettes publiques, c’est pareil. J’avais accompagné une amie journaliste française au grand marché de Ouaga et à un moment, elle voulait aller aux toilettes. On a cherché partout, mais il n’y en avait pas. C’est là que j’ai décidé de parler de ce problème dans ma chanson. Il se trouve que la même année, Ouagadougou avait reçu le prix de la ville la plus propre d’Afrique ! J’ai eu des soucis après car pendant près de six ans (6) ans, je ne pouvais pas jouer à Ouaga et les journalistes n’ont pas dénoncé cette injustice.

Pour contourner cette censure, j’ai décidé de jouer dans des coins que je choisis moi-même avec un prix d’entrée à 300 F CFA. J’ai ainsi donné des concerts un peu partout, et je peux vous citer le nom de chaque village depuis Ouaga jusqu’aux frontières du Niger et du Mali. Je dois souligner que les femmes m’ont beaucoup soutenu pendant ces tournées ! Il a fallu attendre dix ans pour que les gens reconnaissent la valeur de ce morceau.

Maintenant, les politiciens m’appellent pour animer leurs meetings, mais à chaque fois, c’est le même titre que je chante. Je dis toujours : « Faut que ça change ». Il en sera ainsi tant que les mentalités et les comportements n’auront pas changé. Pendant la dernière campagne électorale, des artistes ont spécialement composé des morceaux pour les meetings, mais moi, je chante le même que les gens détestaient. J’ai animé les 13 meetings du candidat Roch Kaboré dans les régions et à chaque fois, c’est le même morceau et ça fait vibrer la foule. A Fada N’Gourma, la sécurité a été débordée et c’est moi-même qui ai demandé aux gens de rester sur place. J’étais très content parce que je chantais devant des milliers de gens.

Aujourd’hui, le mégaphone de Sana Bob est bien apprécié, et après le soulèvement populaire, j’ai pu jouer devant le président du Faso, Michel Kafando. Il m’a même reçu dans son palais, félicité et donné des conseils. C’est un bon papa.

Quel est l’objet de votre séjour en Europe ?

Je suis là dans le cadre des activités de l’association « Beog Yiinga » que j’ai créée en 2009 avec des amis. Mon cheval de bataille aujourd’hui, c’est sensibiliser nos papas et nos mamans au Burkina et en Afrique pour qu’ils scolarisent leurs enfants. Je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école et j’ai essayé de me rattraper en suivant des cours du soir. Il y a quatre ans, j’ai rencontré une Belge lors d’un festival à Fada N’Gourma (Fesdig) qui a non seulement apprécié mon reggae, mais qui a aussi été sensible au combat que je mène pour la scolarisation des enfants.

A chaque concert, je mets une partie de mon cachet dans la caisse de l’association et à la rentrée, je paie des Kits scolaires pour les enfants dans les villages là où il y a des écoles. J’insiste dessus parce qu’il y a des endroits où sur les papiers, on a construit et réceptionné des écoles, mais dans les faits, il n’y a pas d’écoles et j’en ai fait l’expérience. C’est dans mes tournées de sensibilisation que j’ai découvert les écoles sous paillottes vers Yako et ça m’a choqué. Je suis allé voir l’association Semfilms et ensemble, on a monté une opération de dons de kits scolaires. Curieusement, quelques mois après notre passage, l’école a été vraiment construite. Là également, j’ai eu quelques soucis avec le ministère de l’Enseignement de base à l’époque. Je ne sais pas ce que j’ai fait de mal, mais la ministre Odile Bonkoungou n’a pas voulu me recevoir.

Avec le soutien d’un photographe Belge également, je suis allé sur des sites d’orpaillages où j’ai sensibilisé les enfants qui y travaillent sur les dangers de leur activité et les convaincre d’aller à l’école parce que certains étaient inscrits mais ont préféré aller chercher l’or.

Quelles sont les activités que vous avez menées durant votre séjour en Europe ?

Je suis arrivé le 18 janvier à Bruxelles et dans la foulée, j’ai donné un concert à Namur dans une salle pleine à craquer. Un Collectif de Namurois s’est créé pour soutenir l’action que je mène pour la scolarisation des enfants, et durant les concerts, on a profité vendre des photos en noir/blanc prises sur les sites d’orpaillage et dans les écoles où nous sommes passés. Les activités ont été menées en partenariat avec la Maison de la culture, la ville, la province de Namur et la région wallonne, et des entreprises privées.

C’est la troisième fois que je viens en Belgique et cette fois-ci, j’ai aussi animé des concerts en France, notamment à Marseille, Toulouse, mais aussi en Suisse. L’objectif est de rencontrer aussi des partenaires prêts à nous accompagner dans le combat pour la scolarisation des enfants. C’est aussi l’occasion de rencontrer la communauté burkinabè partout où elle se trouve parce que j’ai remarqué qu’il y avait pas assez de Burkinabè lors des concerts.

Vous avez été sacré Kundé d’Or en 2015. Qu’est-ce que ce prix a changé pour vous ?

Quand tu n’es pas encore sacré Kundé d’Or, tu ne connais pas la valeur de cette distinction, mais le jour où tu l’obtiens, tu sens autour de toi que tu n’es plus le même. On te salue, félicite partout où tu passes et ça permet de mettre plus en valeur ton travail. Je suis rentré au Burkina il y a 15 ans et je n’avais jamais participé à ce type d’évènement comme les Kundé d’Or. Mais j’avoue que j’ai l’impression que les gens attendaient que Sana Bobo ait ce prix, comme une sorte de reconnaissance de ce qu’il fait.

Vous êtes le premier musicien burkinabè de Reggae à remporter ce prix…

Oui, mais il faut bien écouter Sana Bob parce que je ne fais pas le même reggae qu’en Jamaïque. Je suis un Yadga originaire de Namentenga. Mes parents sont venus de Zorgho-Sankoinsin et sont installés actuellement à Kaya. Je fais du Wed Bendé, une danse du pays mossi, dans les régions du Centre-Nord et du Nord. C’est le genre musical que jouait le Larlé-Naba. Je fais un mélange du Wed Bindé, du reggae et la musique mandingue parce que j’ai longtemps vécu avec des Ivoiriens, Maliens et Guinéens. En mixant la musique traditionnelle avec le reggae, ça me permet de dire certaines choses que je n’aurais pas pu dire avec le Wed Bindé, qui est fondamentalement une danse de réjouissance où il est plus question de d’amour, de solidarité que de dénonciation.

Vous êtes bien connu du public burkinabè, mais moins à l’étranger…

C’est vrai, c’est le Tallon d’Achille des musiciens Burkinabè actuellement. J’ai un manager au Burkina, mais hors des frontières, ce sont des bonnes volontés qui m’aident à participer à des festivals ou animer des concerts. Ce n’est pas une critique, mais une remarque : nos compatriotes à l’étranger ne sont pas comme les Maliens, les Sénégalais, les Ivoiriens ou les Congolais qui sont bien organisés et qui font venir des artistes de leur pays. Or, les grands musiciens africains qui tournent en à l’étranger ne sont pas plus forts que nous, mais c’est leurs communautés qui sont organisées et les soutiennent. En 2014, j’ai donné un concert à Bruxelles en présence de Burkinabè et à la fin ils m’ont dit : « On est fier que tu viennes nous rencontrer ».

Autre remarque : Nous avons de grands évènements culturels comme le Fespaco, le SIAO, la SNC, etc. A ces occasions, on doit inviter des producteurs français, belges, américains, mauriciens, rwandais ; on installe des plateaux pour que les artistes burkinabè puissent se produire et se faire voir. La musique, c’est comme un mets ; il faut goûter avant de savoir si on aime ou pas. Il faut donc qu’on donne l’occasion aux gens de goûter notre musique ! Regardez dans le foot, avec les écoles ouvertes depuis des années, les compétitions qu’on organise, ça finit par faire découvrir les talents. On doit faire pareil pour la musique.

Est-ce que la musique permet à Sana Bob de vivre décemment ?

Oui, ça me nourrit, en tout cas, grâce à la musique, je vis comme la majorité des Burkinabè. Il y a les concerts, la vente des CD et DVD qui rapportent et aussi les droits d’auteur que me verse le BBDA ; même si c’est un peu !

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Lefaso.net (France)

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