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Culture et diversité des cultures au Burkina Faso

Publié le mardi 16 février 2016 à 07h00min

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Culture et diversité des cultures au Burkina Faso

Sur le territoire burkinabè coexistent un État prétendument républicain, quatre royaumes monarchiques mosse, un royaume gourmantche, et de multiples sociétés culturellement sans État (non structurées en chefferies). Par définition, la République est “au-dessus” de tous, mais avec quel légitimité, ou/et dans quels rapports d’hypocrisie ? Les récentes visites d’allégeance au Mogho Naaba, du tout nouveau ministre de “la” culture, et du ministre de la Jeunesse et des sports, à l’aube d’une nouvelle Constitution, fournissent l’occasion de reposer des questions fondamentales.

L’émergence d’un “Nous”, d’une communauté nationale, d’une culture commune n’a rien de “naturelle” (elle ne va pas de soi), ni de surnaturelle (elle ne nous est donnée par aucune divinité que ce soit).
Sa “fabrication” relève d’un imaginaire collectif toujours à revisiter, à réinventer, à nourrir, c’est un “bouillon de cultures” en somme, qui se bricole de gré à gré (au pire à la “va comme je te pousse”) au gré de visions individuelles fortes (celles du président capitaine Thomas Sankara, par exemple, qui nous a légué le nom magnifique de Burkinabè, et l’intégrité comme visée morale), dans la mesure où elles sont acceptées par des collectivités qui se les approprient, jusqu’à (peut-être, et au mieux) gagner l’ensemble des communautés, et atteindre à ce “Nous” dans lequel tous et chacun peut se reconnaitre.

Encore faut-il pour cela que ces “visions” puissent être partagées par tous, mais avant cela que ceux qui ont la charge institutionnelle du “bricolage” aient des visions. Or, quand “on” manque de vision, “on” regarde en arrière et “on” en réfère aux “traditions”, aux coutumes.

C’est sans doute ce qui a motivé le geste du jeune ministre de la culture, Tahirou Barry, pour qui la renaissance nationale semble “devoir” (c’est son geste médiatisé qui me fait dire cela) passer par l’autorité morale du Mogho Naaba de Ouagadougou, comme si elle était la seule autorité morale du pays !

Non seulement elle n’est pas la seule autorité coutumière en pays mosse, espace multipolaire (Tenkodogo, Ouagadougou, Yatenga, Boussouma), mais c’est ignorer aussi le Nunbado du Gourma, et surtout toutes les autorités coutumières des sociétés sans État, les plus de soixante ethnies non-mosse !

À moins que le ministre de “la” culture ne se prépare à un tour du Faso qui lui ferait visiter, pour ainsi dire, tous les villages en dehors du pays moaga pour recevoir les bénédictions de tous les chefs coutumiers du Burkina Faso, son geste récent est une insulte à la diversité des cultures et traditions que le Burkina Faso recèle.

Maa ka Maaya ka sa a yere kono. Si le Burkina Faso était une personne (maa), les personnes (maaya) de sa personne sont multiples dans sa personne. Comprenez : les cultures sont multiples dans la culture burkinabè, ou la culture burkinabè ne peut se réduire à la seule culture moaga. En conséquence, si le ministre de la culture ne parvient pas à nourrir l’imaginaire collectif d’une culture burkinabè républicaine qui ne soit ni coutumière, ni exclusivement moaga, son ministère devrait être celui DES cultures, des arts et du tourisme. Nous avons en commun notre nom, nous sommes Burkinabè, mais est-ce suffisant pour générer une culture burkinabè ? Régis Dericquebourg définit ainsi les conditions d’avènement d’une culture : « Il suffit qu’un groupe quelconque d’individus ait un minimum de vie commune, qu’il soit un tant soit peu séparé d’autres groupes, qu’il occupe un petit coin de l’espace social, qu’il se pose les mêmes problèmes et peut-être qu’il ait quelques ennemis en commun pour qu’une culture se développe », mais cette définition, tout à fait pertinente pour une secte ou un groupe d’individus tenu à l’écart de la société, ne peut s’appliquer à un pays aussi riche en diversités culturelles que le nôtre : nous ne sommes pas un groupe quelconque d’individus.

Il faut cependant préciser qu’en agissant ainsi, Tahirou Barry n’a fait que respecter la Constitution de la IVe république, dans le préambule de laquelle la loi du 11 juin 2012 a introduit (suite à l’insurrection de militaires en 2011, et à la faillite évidente de l’État) : "Reconnaissant la chefferie coutumière et traditionnelle en tant qu’autorité morale dépositaire des coutumes et des traditions dans notre société", sans préciser de quelle chefferie il s’agissait, mais en n’en supposant qu’une seule et unique, tout comme le colonisateur le faisait, pour faire exister un empire virtuel sur lequel régnerait une seule autorité morale. Ainsi la chefferie coutumière et traditionnelle reconnue par la Constitution de la IVe république est celle du Mogho Naaba de Ouagadougou.

Renforcer l’autorité morale des “Chefs” (ne nous méprenons pas, pas tous les chefs, seulement “celui” à la tête de la hiérarchie moaga de la capitale) pour garantir une administration apaisée du territoire, a été une attitude coloniale quasi permanente. Elle a été “restaurée” par le régime de Blaise Compaoré quand ses exactions menaçaient de le rattraper. Ainsi l’instauration du Jour du pardon s’est-elle faite avec les autorités coutumières et religieuses, puis, et surtout, après l’insurrection de militaires en 2011, il y a eu cette introduction, dans la Constitution, de la reconnaissance d’une autorité morale unique, distincte de l’État, pour le cas où il (l’État) faillirait encore.

Car en 2011 il a disparu, il a fait l’autruche, son feu s’est éteint, entendez : toutes ses représentations se sont effacées, le temps que l’orage passe ! Mais le pays (en-dehors de la capitale qui a souffert des exactions des insurgés), le “pays réel” comme le disait (le dit-il toujours ?) Me Halidou Ouédraogo, a continué de fonctionner sans problème majeur ; les Mosse sous la tutelle de leurs dima, et les sociétés sans État (dites anarchiques) sans qu’aucun désordre ne s’y installe, parce que leur prétendue anarchie est accompagnée d’une multitude d’autorités locales qui ont continué de fonctionner (d’ailleurs, on a pu observer que cette vacance de l’Etat a été, en quelque sorte, des vacances pour ces sociétés que les lourdeurs administratives et policières d’un État, en fait, encombre, mais qu’elles supportent parce qu’elles sont civilisées, que leur culture de l’Autre est développée), preuve s’il en fallait d’une légitimité tout à fait relative de l’État (légitimité déjà largement entamée par l’analphabétisme : la légitimité de l’État étant proportionnelle au nombre de citoyens qui maîtrisent la langue par laquelle l’État s’exprime).

Qu’il soit clair, si ça ne l’est pas pour tout le monde, qu’avec l’actuelle Constitution, une faillite de l’État ferait du Burkina Faso un Empire légitime, avec à sa tête le Mogho Naaba de Ouagadougou, ce qui conviendrait peut-être aux Mosse ; mais, jusqu’à ce qu’un Moaga parvienne à nous prouver le contraire, une monarchie ne sera jamais une république, quand bien même elle serait constitutionnelle.

Or, nous nous préparons à entrer dans la Ve république et, dans une république, à visée démocratique qui plus est, il y a un fondamental incontournable qui exige la séparation des pouvoirs, entre l’État républicain et les autorités coutumières, quelles qu’elles soient, mais aussi religieuses par une laïcité sans faille ni complaisance.

Au cours de la IVe république, et même au cours de la Transition, ce fondamental en a pris un coup, signe de la faiblesse des institutions. Après l’insurrection populaire de 2014, qui parmi les politiciens de l’ancien régime n’est pas allé chercher les bénédictions de l’Empereur des Mosse (du cercle de Ouagadougou) pour se redonner une virginité morale ? Et où le PM s’est-il réfugié quand le RSP a interrompu le Conseil des ministres en avril dernier ? Même Diendéré est allé chercher rédemption auprès de cette même autorité morale royale, avant de se réfugier à l’Ambassade du Vatican. Et aussi, combien de prières ont été demandées, à tout moment, par les plus hautes instances de la Transition, et à la moindre occasion, qui se substituaient ainsi aux autorités religieuses.

L’autorité morale doit d’abord se trouver en chacun de nous, et l’Autorité morale républicaine doit être le Président de la république. Si le Président nouvellement élu a conscience qu’il est, et doit être la seule autorité morale du Burkina Faso tout entier, et que les autorités coutumières le reconnaissent comme tel, alors que cessent les hypocrisies de la IVe république et « la discrimination coloniale interne qu’elle [a] constitutionnalis[é]e et qu’elle pratique mine de rien…/… À cet égard, le Préambule de la Constitution sur la reconnaissance de la chefferie coutumière et traditionnelle devra[it] être supprimé, ou complété comme suit : "Toutes les coutumes et traditions de nos ethnies sont égales entre elles, et toutes, ainsi que les autorités coutumières et traditionnelles, quand elles existent, sont subordonnées à l’autorité politique républicaine qu’elles reconnaissent ". Car ce n’est pas à la République de faire allégeance à des autorités traditionnelles, chefferies ou royaumes, mais à celles-ci de reconnaître la République et de lui faire allégeance ». [Extrait de la très pertinente critique publiée par Kwesi Debrsèoyir Christophe Dabiré, sur fasonet le 4 novembre 2015, sous le titre : Octobre burkinabè 2014-2015 (3). La séparation des autorités.]

Le “hic” est que le naam du Mogho Naaba sur “le monde” est censé être “total”, en conséquence il contient toute autre forme d’autorité, y compris celle de l’État ; autorité qui, de ce fait ou vue sous cet angle, se trouve n’être rien d’autre qu’une imposture. Mais alors, pour quels intérêts occultes (c’est-à-dire secrets, qui nous sont cachés) tant d’argent a-t-il été dépensé avec l’appui de la France pour mettre en scène des élections “transparentes” et républicaines si, en fait, l’autorité morale du Faso est celle d’un empereur, et non de la république ?

Jacques Zanga Dubus
ozdubus@gmail.com

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