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Pôles judiciaires spécialisés : Les éclairages du directeur de la politique criminelle

Publié le mercredi 10 février 2016 à 06h30min

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Pôles judiciaires spécialisés : Les éclairages du directeur de la politique criminelle

Les structures de contrôles ne cessent de présenter dans leurs rapports d’activités des cas de malversations financières. Mais, jusque-là, très peu de personnes ou structures impliquées passent devant les juridictions. Pour mettre fin à cette anomalie, le gouvernement a décidé de prendre à bras le corps ce mal qui gangrène l’économie nationale. Dans ce cadre, le Conseil des ministres, en sa séance du 03 février 2016 a examiné et adopté un projet de loi portant création de pôles judiciaires spécialisés dans la répression des infractions économiques et financières. En quoi vont consister ces pôles judiciaires, comment vont-ils fonctionner, dispose-t-on de compétences pour animer ces juridictions spécialisées ? Nous vous proposons, dans les lignes ci-après, les éclairages du Directeur général de la politique criminelle et du sceau au ministère de la justice, des droits humains et de la promotion civique, Pascal Bamouni.

Lefaso.net : Veuillez-vous présenter à nos lecteurs ?

Pascal Bamouni : Je m’appelle Pascal Bamouni, je suis le directeur général de la politique criminelle et du sceau au ministère de la justice, des droits humains et de la promotion civique.

Le dernier conseil des ministres a examiné un projet de loi sur les pôles judiciaires spécialisés dans la répression des infractions économiques et financières, en quoi vont consister ces pôles judiciaires ?

Effectivement, le conseil des ministres a adopté le mercredi 03 février un projet de loi instituant des pôles judiciaires spécialisés. Cette mesure consistera en un réaménagement des Tribunaux de grande instance (TGI) de Ouaga et de Bobo, pour leur permettre d’avoir des personnes spécialisées dans le traitement des infractions économiques et financières. Comme vous le savez, il y a plusieurs types d’infractions. Il y a des infractions qu’on peut appeler des crimes de sang, il y a des infractions simples, il y a des infractions également qui ont un caractère financier et économique… Ces types d’infractions ont une incidence sur l’économie, le développement. Or, notre pays a des moyens très limités. Il faut faire en sorte que les moyens que nous avons, ne soient pas détournés, et utilisés à des fins personnelles.

L’autre aspect, c’est que ces infractions sont très complexes et très difficiles à détecter. Et les moyens de preuves ne sont pas faciles à établir afin que l’on dise que telle ou telle personne a fait ceci ou cela.

C’est dire qu’il faut que les personnes qui vont traiter de ces affaires-là aient des compétences approfondies, avérées pour permettre de pouvoir gérer ces dossiers. C’est pour cela que la Politique nationale de justice (PNJ) qui prône une justice accessible, efficace et efficiente a prévu un renforcement des capacités des acteurs, de même que la mise en place des structures adaptées pour traiter ce type d’infractions. C’est dans ce sens qu’il a été question de mettre en place des structures efficaces pour gérer ces dossiers. C’est donc ce qui justifie la mise en place des pôles économiques et financiers pour traiter ces types de dossiers.

Quelle sera la spécificité de ces pôles judiciaires ?

La spécificité des pôles économiques et financiers, c’est d’abord dans les matières qu’ils auront à traiter. On a listé un certain nombre d’infractions. Comme premier critère de compétence des pôles : l’escroquerie, l’abus de confiance, le détournement de deniers publics, le blanchiment de capitaux, la concussion, la corruption, le trafic d’influence, la fausse monnaie, le délit d’initié, délit boursier et plusieurs autres infractions qu’on retrouve dans la loi qui porte prévention et répression de la corruption au Burkina.

Mais, pour que ces pôles judiciaires puissent être compétents, on a ajouté un autre critère à savoir le critère de la très grande complexité. Comprenez avec moi que si ces pôles devaient traiter systématiquement de toutes les infractions que j’ai citées, il y aurait très rapidement un encombrement ; c’est pour éviter cela que le critère de la très complexité vient s’ajouter au premier pour déterminer la compétence des pôles.

Par quoi faut-il entendre le caractère de très grande complexité ?

Le critère de la très grande complexité tient à plusieurs éléments. Dans l’entendement du texte, une affaire est d’une grande complexité, soit par le nombre d’auteurs, de complices ou de victimes, soit par l’intérêt pécuniaire en jeu, soit par l’étendue du ressort géographique concerné, soit enfin par les moyens techniques mis en œuvre.

Comment vont fonctionner ces pôles ?

Le projet de texte de loi a prévu la création de deux pôles. L’un des pôles qui sera logé au TGI de Ouaga1, le deuxième pôle sera logé au TGI de Bobo-Dioulasso.
Du point de vue des acteurs qui vont animer ces pôles, il faut citer :
  d’abord une police judiciaire spécialisée composée de policiers et de gendarmes, parce quand une infraction est commise, en amont, c’est la police judiciaire qui rassemble les preuves, recherche les délinquants qu’elle met à la disposition du parquet ;
Donc, il y aura une unité de police spécialisée
  Ensuite, un parquet spécialisé constitué de magistrats du parquet (procureurs, substituts…).
  Au niveau de l’instruction, il y aura des cabinets d’instruction spécialisés,
  Au niveau du jugement il y aura des juges de jugement spécialisés.
  il y aura dans les pôles des assistants spécialisés, qui seront des spécialistes des questions économiques et financières (fiscalistes, experts comptables, autres experts liés aux finances). Ces spécialistes apporteront assistance à la police judiciaire et aux magistrats des pôles
  il y aura des greffiers spécialisés également.

Est-ce qu’on a toutes ces compétences ou bien il va falloir les former avant la mise en place desdits pôles judiciaires ?

Au stade actuel, il y a quelques compétences. Mais ce n’est pas suffisant, en nombre et en qualité, en plus ce n’est pas organisé comme on l’aurait souhaité. Au niveau de la police judiciaire, il y a des agents, et officiers de police judiciaire qui ont des compétences dans le domaine, le travail se fait déjà avec pas mal d’entre eux. Il y a des unités spécialisées dans le traitement de ces infractions au niveau de la police judiciaire, que ce soit au niveau de la police ou de la gendarmerie. Au niveau des procureurs, il y a certains qui ont suivi des formations dans ces domaines, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il y a des juges qui ont aussi suivi des formations dans ces domaines. Il y a pas mal de magistrats qui commencent à maîtriser ces aspects.

Est-ce qu’il faut aussi s’attendre à ce qu’on nomme des fiscalistes, des experts comptables et autres spécialistes de la finance comme juges ?

Les assistants spécialisés peuvent être des fiscalistes, des experts comptables, des gens qui ont une connaissance approfondie dans les matières économiques et financières, ils peuvent faire partie des pôles, pas en tant que juges, mais comme assistants spécialisés, chargés d’éclairer les magistrats et officiers de police judiciaire.

A quand la mise en œuvre de ces pôles judiciaires spécialisés dans la répression des infractions économiques et financières ?

C’est un processus qui a commencé il y a pratiquement trois ans. Mais, on a eu pas mal de difficultés liées à la mobilité des ministres qui se sont succédé à la justice, et aux événements politiques. Doucement, mais surement, on est en train de voir le bout du tunnel. Le texte a été adopté en conseil des ministres le mercredi passé (ndlr, 03 février 2016), il y a un certain nombre d’amendements que le Conseil des ministres a apportés au texte. Ces amendements ont été intégrés et le texte sera transmis pour la saisine de l’Assemblée nationale qui va l’examiner et éventuellement l’adopter. Après, il y aura la promulgation.

A l’élaboration de ce projet de loi, est-ce que les structures de contrôles où dorment des rapports sur des malversations financières ont été associées aux discussions ?

C’est un processus qui est en cours depuis plusieurs années. Dès le début du processus, nous avons invité les différents acteurs à contribuer. D’abord, en 2013, avec un expert, on a fait ensemble le constat de la situation pour voir le dispositif législatif et institutionnel qui est en place au Burkina pour faire face à ce type d’infractions. Dans ce cadre, l’expert a approché plusieurs acteurs, notamment l’ASCE, la CENTIF, les avocats, les notaires, les experts comptables pour avoir leur vision de la question. Certains de ces acteurs n’étaient pas disponibles en raison de leur calendrier. Ensuite, il a fallu faire les propositions pour voir ce qu’il y a lieu de faire pour être plus efficace.

Après cela, un atelier de validation a été organisé pour examiner le travail de l’expert. Cet atelier a eu lieu à Koudougou en mars-avril 2013. Le texte adopté là-bas a fait l’objet de finalisation au niveau du ministère. Le texte est passé une première fois en conseil des ministres qui avait fait des observations et avait mis l’accent sur le fait qu’il fallait inviter certaines autres structures qui n’avaient pas pu répondre à l’invitation. Il s’agissait, entre autres, du ministère de la fonction publique, du ministère de l’économie et des finances et du ministère du commerce qu’on a invités par la suite. Sinon, on a impliqué le maximum de personnes dans l’élaboration de ce texte.

Le projet ira bientôt à l’Assemblée nationale, avez-vous foi que le texte va passer quand on sait qu’il y a de gros intérêts économiques et financiers qui entrent en ligne de compte ?

Nous avons essayé de travailler le texte pour tenir compte du contexte que nous avons présentement au Burkina, pour tenir compte de nos moyens et de nos contraintes. Nous pensons que le texte devait pouvoir être adopté. Certainement, il y aura des amendements, mais dans le fond, je crois que le texte sera adopté parce que c’est une nécessité. Aucun pays ne peut se mettre en marge de ces pôles. La lutte contre ces infractions spécifiques nécessite une mutualisation des efforts au plan national et même international. Les délinquants utilisent des moyens sophistiqués, si on se bagarre sur des détails, ça risque d’être compliqué. Je crois que chacun doit être conscient. Il me semble que le président lors de la campagne électorale avec son parti avait déjà appelé à ce qu’on mette en place des structures de ce genre.

Monsieur le Directeur général, le mot de la fin vous revient

Je voudrais encourager la presse à se rapprocher le plus souvent des spécialistes pour mieux comprendre les textes parce que quand le texte a été adopté, les premiers commentaires que j’ai vus, j’étais un peu perdu. Je me demandais s’il s’agissait du texte qui a été soumis. Donc, il faut que la presse se rapproche mieux des professionnels, ça va permettre de porter l’information aux justiciables. Rapidement, des justiciables peuvent se mettre contre un texte parce qu’ils n’ont pas la bonne information.

Propos recueillis par Moussa Diallo
Lefaso.net

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