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Roukiéta Ouédraogo : « Je ne ris pas des gens, je ris avec les gens »

Publié le mercredi 10 février 2016 à 01h17min

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Roukiéta Ouédraogo : « Je ne ris pas des gens, je ris avec les gens »

L’humour burkinabè est en train de se faire une place à l’international, avec un « rapport genre » de plus en plus affirmé. Parmi ces représentantes de charme, il faut citer Roukiata Ouédraogo, que beaucoup ont découverte sur la chaine Canal plus et qui vient de participer au festival Le Parlement du Rire, organisé à Abidjan par Mamane, le « Gondwanais ». Celle qui a fait ses premières armes dans l’hexagone revient au pays natal avec son troisième ‘’one woman show’’, intitulé Tombe le masque. Dans cet entretien, réalisé le 24 janvier 2016, au lendemain de sa prestation à Bobo-Dioulasso, Roukiata Ouédraogo évoque son parcours et de ses choix artistiques.

Voici un retour au Burkina qui se passe dans un contexte assez particulier...

C’est vrai que le contexte est très particulier, comme vous le soulignez. Le pays a vécu des choses très dures, très douloureuses et je compatis. Bien que résidant en Europe, mon cœur est toujours ici et tout ce qui touche à mon pays me touche aussi. Et, vraiment, je souhaite que la paix revienne dans le pays et un peu partout dans le monde parce que ces derniers temps c’est très difficile. Malgré tout cela, l’accueil a été très, très chaleureux au Burkina et à Bobo-Dioulasso en particulier, où je suis venu jouer mon spectacle, Tombe le masque.

Que peut apporter un élément de culture, un spectacle, dans ce contexte-là ?

Voyez-vous, moi je fais de l’humour. Donc j’essaie de faire rire les gens. C’est ce qui me fait plaisir ; ça me fait du bien. Je ne ris pas des gens, mais je ris avec les gens. Je pense que ce qui s’est passé hier à l’Institut français de Bobo-Dioulasso a été très bien puisque le public est venu nombreux malgré tout ce qui se passe.

Autour de deux cents personnes !

Je n’ai pas compté mais j’ai été agréablement surprise. Je crois que j’ai mis un peu d’humour dans les cœurs. Ma mission est remplie.

Comment une Burkinabè arrive-t-elle à ce niveau ?

(Hésitation) Je ne sais pas trop… En travaillant ! J’ai beaucoup travaillé. Ce n’est ni facile, ni évident, mais je m’accroche. Heureusement, j’ai des gens qui m’aident aussi, parce que seule c’est difficile. Déjà en tant que femme ce n’est pas évident et en tant que femme africaine, c’est encore plus difficile en Europe là-bas. Moi, je suis vraiment ravie que le public me soutienne. C’est important et je le souligne. Je persiste et je signe : le public est toujours là pour moi et je n’ai pas de mots pour lui dire merci.

Et cela malgré l’accent africain et burkinabè, par exemple. On sait que ça pose souvent problème…

C’est vrai que j’ai eu beaucoup, beaucoup de soucis pour avoir des rôles en France. Des gens voyaient mes photos sur des sites internet ou sur facebook, aimaient beaucoup mon profil et m’appelaient pour des films. Lorsque j’arrivais et que je commençais à jouer, ils disaient que j’étais bien, mais que j’avais un accent africain très prononcé qui ne convenait pas au rôle de nana qui est née en France et qui y vivait. Pour moi c’était assez difficile. Mon professeur à l’époque m’avait conseillée de suivre des cours. J’ai suivi quelques cours. Je suis allée à des castings où j’ai essayé de changer, d’entrer dans leur moule, mais ce n’étais pas moi. J’en ai eu marre et j’ai laissé tomber. Mon accent, pour moi, est essentiel. Il fait partie de ma personnalité et je le garde ! J’écris mes pièces et je les joue. Je n’oublie pas mes racines. Donc, voilà ! je parle avec mon accent africain et je suis fière de ça. Si quelqu’un veut me prendre dans son film, qu’il me prenne. S’il ne veut pas, tant pis pour lui !

D’aucuns jugent que le Burkinabè (surtout la femme burkinabè) est introverti. Pourtant, avec ce métier, vous êtes dans l’exposition…

(Rires) C’est ce qu’on dit souvent, mais, moi je ne le pense pas ! Il ne faut pas résumer la femme burkinabè à l’introversion. Je vois les femmes vivre ici – car j’y viens chaque année ! Je vois ma mère qui est une femme à poigne, qui a su prendre son destin en main. La femme burkinabè est très forte. Elle se soumet à son mari parce qu’elle est très modeste. Mais cela ne veut pas dire qu’elle se laisse faire. Moi, je suis assez réservée, timide même. Mais quand je suis sur scène, j’oublie la Roukiata dans les coulisses et j’entre dans un personnage. Et quand on me voit, on pense : « Oh là là ! Celle-là, son mari doit souffrir ! » Mais non, pas du tout ! Dans la vraie vie je suis très, très calme. J’aime les choses simples. Mais sur scène je joue différents personnages. C’est mon métier.

Nous sommes le 24 janvier, le lendemain du cinquième anniversaire du Pr Jean-Pierre Guingané. En suivant votre prestation, on trouve qu’il y a du Guingané dans votre jeu. Avez-vous rencontré cet acteur et metteur en scène dans votre parcours et vous a-t-il influencée ?

C’est bien sympa de le souligner. Et c’est vrai qu’hier j’ai eu une pensée pour Monsieur Guingané et, avec le directeur de l’institut français, nous en avons parlé. C’est quelqu’un qui m’a apporté beaucoup. J’ai commencé le théâtre en France et je ne connaissais pas du tout le théâtre du Burkina Faso. Quand je suis venue jouer ma première pièce, Yennenga, l’épopée des Mossis, à Ouagadougou à l’Espace Gambidi qui est son établissement, il ne me connaissait pas. Mais à la fin de la représentation, il est venu me saluer et il m’a dit : « C’est bien, ce que tu fais. Vraiment, tu es une bonne comédienne. » Cela m’a réconfortée parce que l’entendre de quelqu’un comme Jean-Pierre Guingané ne peut que me tirer vers le haut et me renforcer dans les choix que j’ai faits. Malheureusement, il est parti quelques mois plus tard. Ça m’a fait beaucoup de peine.

Dans le spectacle "Tombe le masque", vous jouez sur la dérision dans les rapports interraciaux, et la vie d’un couple mixte. Vous n’y allez pas avec le dos de la cuiller et chaque communauté en prend pour son compte !

(Rires) Comme je le disais, j’essaie de faire un théâtre où les gens vont se retrouver. Et je répète que je ne ris pas contre les gens, mais avec les gens. Je me moque de moi aussi, car je suis dedans.

En effet, il y a une forte dose d’autodérision…

Exactement ! Après, il faut dire les choses telles qu’elles sont. Est-ce qu’on peut rire de tout ? Je pense que « oui », mais cela dépend de comment c’est fait, de comment on rigole. Je trouve important de faire passer des messages sur l’éducation des enfants ou la santé publique en Afrique. Par exemple je souligne que le paludisme fait plus d’un million de victimes par an dans le monde. Ce sont des statistiques prouvées et jusqu’au jour d’aujourd’hui on n’a pas encore trouvé de vaccin au paludisme. J’essaie de l’amener avec de l’humour, mais à la fin je pique les gens avec ça !

Vous parlez aussi des salles de classes où les effectifs atteignent deux cents élèves...

C’est une situation que j’ai connue, ayant grandi au Burkina. J’ai fréquenté une école à trois classes qu’on dit multigrade : tu faisais le Cours préparatoire première et deuxième année dans la même salle. Les maîtres ont parfois beaucoup d’élèves et tiennent même deux classes. C’est difficile et pour le maître et pour les élèves. Je pense que les choses ont évolué au jour d’aujourd’hui, du moins je l’espère ! Je parle aussi de la migration qui n’est pas évidente : les gens partent parce qu’ils n’ont pas le choix. Celui qui se décide à faire ce voyage-là emprunte parfois de l’argent pour acheter son billet d’avion ou passer par le désert ;

Et, souvent, ce sont les meilleurs !

Je ne sais pas si ce sont les meilleurs. En tout cas, c’est l’extrême parce qu’ils n’ont plus le choix. Déjà pour traverser le désert à pied, pour prendre une barque qui traverse la mer alors qu’on ne sait pas nager, il faut que l’on soit au bout du rouleau, qu’on ait plus d’alternative. Je pointe tout cela du doigt parce que j’espère que l’on fera quelque chose pour que les jeunes restent en Afrique. On a besoin d’eux ici ; on a besoin de médecins, d’avocats et autres. Si on pouvait leur donner du travail, ce serait bien !

Dans la pièce, vous ne ménagez pas votre mari, Stéphane Eliard, qui est Breton. Vous portez un regard moqueur sur son amour de la montagne, du biniou, etc.

(Rires) Je l’attendais, celle-là ! Vous savez, c’est le couple mixte. Déjà un couple « normal » (je veux dire une femme et un homme issus de la même culture, du même pays) c’est difficile. Alors quand lui vient d’un côté et elle d’un autre côté, on se mélange. Avant tout, il faut avoir le pardon, l’acceptation de l’autre, l’ouverture vers l‘autre. Moi, j’ai rencontré un Breton en France là-bas et (rires) et étant Africaine il y a des choses que je ne comprends pas. Et puis, lui, il aime faire de l’escalade. Et moi, l’escalade, ce n’est pas mon truc. Aller monter sur des cailloux comme ça avec la chaleur qu’il fait…(rires) Pourquoi faire ce truc-là, se faire mal aux pieds pour rien ? Enfin, lui y trouve son compte ! J’ai voulu rigoler avec ça, mettre de l’humour pour relativiser les choses.

Votre mari est aussi votre metteur en scène. Qu’est-ce que cela apporte dans votre travail ?

On s’est rencontrés sur mon premier spectacle, Yennenga, l’épopée des Mossis, que j’avais déjà monté et créé. Stéphane vient des arts plastiques et il avait déjà fait des voyages en Afrique et au Burkina. Il est venu le voir et il m’a dit : « Ecoutez, votre pièce est très bien. Il y a des choses qui s’entendent mais on peut y ajouter d’autres. » Je lui ai fait confiance et, effectivement, il m’a apporté beaucoup d’idées, beaucoup de souplesse dans la pièce sans pour autant la dénaturer. A partir de là on a commencé à travailler et ce qui devait arriver est arrivé : aujourd’hui, nous sommes en couple et nous travaillons ensemble. Il y des gens qui, au début, disaient que ça n’allait pas tenir. Eh bien, non ! Pour moi, ça m’apporte beaucoup parce qu’il me connaît ; il sait comment me prendre. C’est vrai que parfois il est très dur avec moi, mais j’aime cela. Il prend du recul et a le pouvoir de me regarder en tant que comédienne et non comme sa femme. Et puis, nous sommes très complémentaires au niveau de l’écriture. Moi, j’apporte le matériau et lui il sélectionne et recadre. En tout cas, pour moi ça se passe super bien.

« Tomber le masque », vous le faites vraiment ! Vous parlez de vous-même, de vos parents, des métiers que vous avez pratiqués, etc. Est-ce facile pour une princesse du Yatenga de se mettre ainsi en scène ?

Moi, je n’ai pas de tabous ! J’ai toujours été et je reste moi-même. Je ne passe pas par quatre chemins pour dire qui je suis. Et quand on fait quelque chose avec de l’amour, quand on est vrai et authentique, cela plaît. En faisant ce métier, je ne savais pas que j’en serais là, que j’allais rencontrer un public qui me porterait. Et puis, je représente quand même un pays, le Burkina ! Donc j’essaie de ne pas faire n’importe quoi. Mais je reste modeste. Je suis princesse, mais avant tout je suis Burkinabè, je suis Roukiata Ouédraogo et puis voilà !

Quelles sont vos relations avec le monde des arts au Burkina, particulièrement avec les praticiens du théâtre et de l’humour ?

J’ai eu la chance d’aller jouer en Côte d’Ivoire pour un grand festival dont c’était la première édition : Le Parlement du Rire du Gondwana, qui a été instauré par Mamane de RFI. Du fait que j’ai commencé le théâtre en France et pas en Afrique, cela a été une occasion de rencontrer des humoristes, des comédiens africains comme moi. De voir l’autre côté des choses, cela m’a aidé aussi. Je retiens que l’Afrique est très riche avec de très, très bons comédiens. Au Burkina, je vois que ça émerge. Il y a pas mal d’humoristes et j’encourage le public à continuer de nous soutenir, d’apporter son soutien aux comédiens locaux. Enfin, j’espère qu’il y aura des collaborations entre nous !

Quelle est la suite de cette tournée après Bobo-Dioulasso ?

Je retourne à Ouagadougou où je rejoue ma pièce que le public réclame. Il faut dire qu’au premier passage de ce spectacle à l’Institut français pour une seule date, la salle était très, très pleine. Beaucoup n’ont pas pu le voir et on m’a envoyé plein de messages disant : « On aimerait bien voir ce spectacle ». Voilà : le 6 février, au CITO, je rejoue Ouagadougou Pressé. Ensuite, je vais à Niamey où je joue Tombe le masque le 13 février à l’Institut franco-nigérien. Et je reviens à Ouagadougou où je joue Tombe le masque à l’Institut français le 20 février. Après, je rentre en France où je continue la tournée sur d’autres localités.

Vous allez jouer au CITO, le Carrefour International du Théâtre de Ouagadougou. Est-ce à dire que vous ne vous cantonnez pas au réseau des Instituts français ?

Il le faut ! D’ailleurs, j’ai commencé au CITO avant que l’Institut français prenne ma pièce. Le CITO m’a ouvert les portes et je trouve normal de garder les liens. Dans tous les endroits où je pars, je garde toujours les liens, même si par chance je gravis des échelons et que je joue dans des salles un peu plus conséquentes. Il ne faut pas oublier le passé, les gens qui nous ont fait, qui nous ont donné notre chance. Et ça me permet aussi de trouver un autre public (parce que ce n’est pas le même qui va à l’Institut français) à qui je donne quelque chose. Et cela est important.

Un dernier mot ?

Je suis très contente d’être à Bobo. Avec le metteur en scène, le contexte étant ce qu’il est, on craignait que le public n’ose pas trop sortir. On vient de Paris où il y a eu des attentats aussi en novembre, le jour de la première de Tombe le masque. Ces attentats ont eu un impact très négatif sur la fréquentation des salles de spectacles. On craignait qu’il y ait un effet identique ici. Mais les Bobolais sont venus très, très nombreux. Merci Bobo, infiniment. Ç’ a été un très grand plaisir de vous retrouver.

Entretien réalisé par Sid-Lamine SALOUKA
Crédit photo Michaela Salnickà

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