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Non exécution des marchés de travaux publics : "C’est la faute à l’Etat"

Publié le vendredi 22 avril 2005 à 06h39min

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"C’est à l’Etat de savoir qu’il ne faut pas charger les entreprises au risque de ne pas voir des projets exécutés", telle est la conviction du président du Syndicat national des entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics, M. Boukary Ouédraogo.

Dans cet entretien, il aborde la question de la non exécution des travaux routiers par les entreprises. Il évoque la rigidité des modalités de paiement des marchés publics et donne sa lecture de la corruption qui gangrène tous les secteurs de la vie économique du pays.

Boukary Ouédraogo dénonce également les conditions actuelles d’octroi des agréments techniques qui favorisent le laxisme et l’inefficacité.

Sidwaya (S.) : Des chantiers publics (construction d’écoles, de barrages, de routes...) confiés à des entrepreneurs connaissent à travers le pays des difficultés d’exécution. Quelles explications le Syndicat des entrepreneurs donne-t-il à cette situation ?

Boukary Ouédraogo, président du Syndicat national des entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics : "La corruption prend de l’ampleur dans notre pays"

B.O. : Nous avons eu plusieurs fois des réunions avec le ministère des Infrastructures par rapport à l’exécution de tous ces marchés. Au Burkina Faso, on applique toujours des prix vieux de plus de 20 ans. Même la dévaluation survenue en 1994, n’a pas eu d’effet sur les prix auxquels nous sommes assignés depuis une vingtaine d’années !

Les difficultés que les entrepreneurs rencontrent dans l’exécution des marchés publics de construction commencent par là.

Les prix ne sont pas bons. J’ai même demandé au ministre des Infrastructures de mettre une commission en place qui s’occupera de la réactualisation des prix. Tous les jours, les prix augmentent. Il y a l’inflation et l’entreprise doit aussi suivre cette inflation. Si l’Etat contraint aujourd’hui les entrepreneurs à exécuter des marchés selon des vieux prix, il va de soi qu’il y aura des blocages.

Le comble est qu’on trouve des entrepreneurs de nos jours qui soumissionnent à des prix inférieurs au vu et au su de l’Etat. Dans cet esprit, c’est sûr que les travaux ne peuvent pas être exécutés.

S. : Voulez-vous soutenir que c’est la faute à l’administration ?

B.O. : Oui ! l’Etat est responsable. L’Etat a des spécialistes, des techniciens, des ingénieurs... Des gens qui savent bel et bien que les prix ont évolué. Aujourd’hui, on ne peut pas se permettre d’appliquer les vieux prix d’il y a 20 ans et vouloir que les travaux marchent.

Pour un ouvrage estimé par exemple à 25 millions par l’autorité, si quelqu’un se propose de le réaliser à 5 ou 10 millions. Si elle accepte, c’est sa faute. Cela traduit une mauvaise foi.

Mais comme il s’agit d’œuvres qui appartiennent à toute la population du Burkina Faso, personne ne se soucie de ce problème. La situation doit être re-examinée très sérieusement.

S. : Pour la plupart des marchés publics, l’Etat vous autorise d’importer du matériel en hors taxe, hors douane. N’est-ce pas là une compensation sur le coût des travaux que vous estimez très bas ?

B.O. : Non. Tous les marchés ne sont pas en hors taxe (HT), hors douane (HD). Ensuite, les prix des matériaux au plan mondial connaissent régulièrement une hausse. On note l’augmentation sans cesse du prix du carburant, du fer à béton. La tonne du fer à béton est passée de 145 000 F dans les années 90 à environ 500 000 F aujourd’hui. Quant à celle du ciment elle est passée de 30 000 F à 100 000 F. Les entrepreneurs sont de grands consommateurs de gas-oil. Ils consomment des millions de litres sur leurs chantiers,... Malgré les hausses à répétition du prix du carburant, l’Etat dit que les prix ne sont pas révisables. Cela n’est pas normal.

Les prix peuvent être révisés ! Puisqu’au moment où l’entreprise signe le contrat, les prix ne sont peut-être pas les mêmes qu’au moment de l’exécution. On doit pouvoir faire des révisions de prix s’il y a inflation, afin de permettre à l’entrepreneur de pouvoir exécuter correctement le travail. Si l’entrepreneur soumissionne à des prix bas, c’est à l’administration de dire : "non, ces prix ne correspondent pas à la réalité". Il faut une cellule des prix qui va se réunir pour proposer des prix unitaires. Ainsi, celui qui soumissionne à des prix bas verra son offre rejetée. C’est seulement à cette condition que les chantiers seront exécutés. Ainsi les ouvrages seront de qualité car l’entrepreneur sera payé de manière convenable. Personne ne parlera en ce moment de marché non exécuté.

S. : Les solutions que vous proposez pourraient s’appliquer à l’avenir, il y a actuellement des marchés qui sont attribués et des travaux qui n’avancent pas. Concrètement quelle est la solution immédiate pour en finir avec tous ces chantiers qui n’avancent pas depuis des années ?

B.O. : Quand le vin est tiré, il faut le boire ! Le bureau de notre Syndicat a rencontré le ministre des Infrastructures. Nous avons parlé de tous ces chantiers qui sont bloqués. C’était moins d’une semaine avant la rencontre avec le chef de l’Etat à Ouaga 2000. Nous avons convenu qu’il ne fallait pas que les entreprises soient chargées. Notre pays est l’un des pays de la sous-région où il existe beaucoup de Petites et Moyennes Entreprises (PME) en matière de Bâtiments et de travaux publics (BTP). Pour avancer, progresser et grandir, il va falloir revoir les conditionnalités dans les marchés. Il faudra qu’on limite à 2 marchés, (s’ils sont importants), par entreprise. Il faut que cela soit dit dans les dossiers d’appel d’offres. C’est une question de volonté politique. Il faudra que le politique discute avec les bailleurs de fonds pour bien baliser le terrain. Si l’Etat accorde 10 marchés à une entreprise qui ne remplit pas les conditions, ce n’est pas la faute au bailleur de fonds. Les barrages non exécutés, les routes non construites,... A qui la perte ? C’est bien sûr, nous les Burkinabè qui perdons. C’est eux qui récoltent les pots cassés. Quand des ouvrages ne sont pas exécutés, c’est l’avancée du pays qui est freinée. C’est le développement du pays qui prend un coup. En tant que Syndicat des entrepreneurs, nous estimons que l’Etat doit prendre ses responsabilités et discuter avec les bailleurs de fonds pour la redéfinition des conditions plus claires. Certains entrepreneurs devront éviter la gourmandise. Parce qu’il y a aussi d’autres qui paient des impôts et qui participent au développement du pays et qui méritent également d’avoir des marchés. L’Etat doit éviter de charger des entrepreneurs pendant que d’autres n’ont rien. Sinon, vous voyez les résultats sur le terrain. Comment une entreprise qui n’a pas suffisamment du personnel et du matériel et qui doit être présente sur plusieurs fronts à la fois peut-elle réussir ou faire un bon travail ? Il faut accepter la vérité. Aucun entrepreneur honnête ne peut soutenir le contraire. C’est une question nationale. Les bailleurs de fonds n’ont rien à y voir. Une relecture de la réglementation introduisant les critères permettant l’appréciation des offres financières en fonction des conditions économiques en vigueur à un référentiel des prix aurait l’avantage d’attribuer des marchés économiquement rentables et garantir leur bonne exécution à la satisfaction de toutes les parties. La présente réglementation permettant de déclarer attributaire tout soumissionnaire dont l’offre est évaluée le moins disant quel que soit le nombre de lots.

Cette disposition peut se révéler très dangereuse pour l’essor des PME des BTP. On constate de plus en plus l’attribution de plusieurs marchés à une seule et même entreprise sans tenir compte de ses réelles capacités à les réaliser simultanément. Si toutes ces conditions étaient réunies, les chantiers seraient exécutés et les travaux de bonne qualité.

S. : Reconnaissez-vous par là que les torts sont partagés pour ce qui est de la non exécution des marchés ?

B.O. : Si j’affirme que les responsabilités sont partagées, ce n’est pas juste. Si une entreprise est chargée, c’est la faute à l’Etat.

L’Etat est garant des intérêts de tout le peuple burkinabè. C’est donc à l’Etat de savoir qu’il ne faut pas charger les entreprises au risque de ne pas voir des projets exécutés. Pour les barrages non exécutés par exemple, c’est du tort qui est causé aux pauvres populations. Celles-ci en ont besoin pour abreuver leurs animaux, pour des cultures de contre-saison, etc. Et si elles ne peuvent se le permettre, à qui le tort ? Toujours est-il qu’un entrepreneur ne peut pas s’auto octroyer un marché. Même l’Etat octroie 1 000 marchés à un entrepreneur, il va les prendre. C’est à l’Etat d’édicter des règles claires pour l’octroi des marchés.

S. : Mais pourquoi un entrepreneur va-t-il soumissionner à des prix bas et à plusieurs marchés tout en sachant qu’il pourrait avoir des difficultés à les exécuter ?

B.O. : Les entreprises sont des personnes comme toute autre. On ne peut pas empêcher à quelqu’un de rêver. Cependant, l’Etat ne doit pas rêver. C’est là tout le problème. L’entrepreneur peut soumissionner à 300 ou 500 millions à un marché évalué à un milliard. Mais il appartient à l’Etat de savoir qu’on ne peut pas exécuter un marché d’un milliard avec 300 millions seulement. Si l’Etat ferme les yeux pour suivre le bailleur de fonds qui demande d’attribuer le marché au moins disant, alors le marché sera attribué sans être exécuté ou mal exécuté.

S. : Des PME prennent beaucoup de travaux et n’arrivent pas à les exécuter à temps. Et cela crée des retards. Pourtant, il y a la sous-traitance dans votre milieu. Pourquoi ne pas promouvoir cette alternative auprès des entreprises "gourmandes" ?

B.O. : Le problème se trouve à deux niveaux : le Burkina Faso est un pays spécial et différent des autres. Les entrepreneurs n’ont pas encore compris que l’union fait la force. Le Syndicat a maintes fois interpellé des entreprises pour tenter de leur faire comprendre ceci : "si vous voyez que vous avez trop de boulots, essayez de sous-traiter vos travaux. On ne vous oblige pas à sous-traiter avec Pierre ou Paul, mais à le faire avec une personne avec laquelle vous pourrez travailler". Cette dernière précaution a été prise pour éviter qu’on dise que le Syndicat veut arracher le marché d’un tel pour donner à une tierce personne. Si cette suggestion de sous-traitance avait été suivie, les chantiers n’allaient pas être bloqués comme c’est le cas présentement. Mais en plus, les prix sont tellement bas et irréalistes que la sous-traitance n’est pas envisageable. L’administration doit être capable de déceler des erreurs ou des failles dans un dossier d’appel d’offres.

Un contrôle des devis des entreprises qui ont des difficultés pour achever leurs travaux aide à comprendre pourquoi les marchés ne sont pas exécutés. Il en est de même pour leur plan de charges. L’on s’aperçoit que les entreprises ont plusieurs chantiers en même temps. Il faut qu’il soit précisé dans les dossiers d’appel d’offres qu’une entreprise doit présenter ses plans de charges. Et en fonction des plans de charges, la commission décidera si oui ou non l’entreprise peut réaliser le chantier malgré ses charges du moment. Aussi, la commission répondra en cas de problème. C’est parce qu’on ne demande pas à la commission d’attribution de répondre de ses actes que cette pagaille continue.

Il faut que chacun réponde de ses actes. C’est ainsi dans un Etat de droit. Il ne faudra pas passer le temps à se jeter la balle. Il faut que les responsables d’une situation répondent de leurs actes.

S. : Mais en attendant, l’Etat semble être plus fort que vous et il a décidé de tout mettre en œuvre pour que les entreprises exécutent les travaux, au risque même de jeter quelques entrepreneurs en prison. Au niveau du Syndicat, quelle organisation avez-vous mise en place pour éviter la prison ?

B.O. : Il y a des entreprises ici au Burkina Faso qui ne savent même pas qu’il existe un Syndicat des entrepreneurs au Burkina Faso. Il y en a qui connaissent son existence, mais qui ne s’y intéressent pas. Elles ont leur agrément technique, elles font leurs affaires. C’est tout. Le Syndicat n’est pas leur tasse de thé. Pour que le Syndicat défende un entrepreneur, il faudra que celui-ci soit affilié. Tous les adhérents du Syndicat peuvent compter sur le Syndicat pour la défense de leurs intérêts. Toutefois, il faut savoir que la réglementation des achats publics et les contrats des marchés prévoient les procédures de gestion des marchés. Il appartient aux parties de veiller à leur mise en application.

S. : Des entreprises qui n’ont pratiquement pas grand chose en terme de matériel et de personnel qualifié, arrivent quand même à décrocher des marchés de l’Etat. Comment cela est-il possible ?

B.O. : Effectivement, il y a des entreprises qui n’ont pas les moyens matériels et humains pour faire face à certains marchés mais qui arrivent quand même à les avoir. Je vais vous expliquer comment et pourquoi cela arrive. Quand la Banque mondiale a demandé au gouvernement burkinabè de privatiser l’entretien des routes qui était fait par les TP, ils ont demandé d’organiser les PME en leur donnant des agréments techniques. Ces agréments techniques étaient divisés en 4 ou 5 catégories. Il y a les petits, les moyens, entre les moyens et les grands, et enfin les grands. Cette catégorisation prend en compte les entreprises qui n’ont pas de matériel, celles qui en ont un peu, celles qui en ont beaucoup, celles qui possèdent tout le matériel. Cette dernière catégorie s’appelle la catégorie B2+D. Aujourd’hui beaucoup d’entreprises sont en B2+D. Elles possèdent cet agrément qui a été octroyé par le ministère des Infrastructures. Elles n’ont pas en réalité tout le matériel mais elles sont dans la catégorie de ceux qui ont le matériel. Avec cet agrément, elles sont autorisées à soumissionner dans les gros travaux. Cela a constitué l’objet de discussions avec le ministère de tutelle et le décret portant sur les agréments techniques des travaux des routes a été révisé et publié dans la presse.

Les anciens agréments resteront valables pendant un an. Tous les intervenants devront demander leur requalification aux nouveaux agréments. A ce propos, il faut saluer cette clairvoyance du ministre en charge des Infrastructures qui permettra ainsi d’assainir le milieu.

Une autre commission a été mise sur pied. Le Syndicat siège pour la première fois pour l’octroi des agréments techniques. Dans cette commission, les membres du syndicat vont veiller sur la régularité des demandes d’agréments sur la base des documents. Au final, les travaux seront mieux exécutés.

S. : Mais au-delà de tout ce que vous venez de dire, il y a la corruption, phénomène maintes fois dénoncé. Qu’est-ce que vous avez entrepris pour l’arrêter ?

B.O. : La corruption est un phénomène très complexe. Elle prend de l’ampleur dans notre pays. La corruption affecte de façon très inquiétante tous les secteurs de l’économie. Ses effets néfastes interviennent tant à l’encontre du développement du secteur privé que de l’Etat lui-même. Seul l’Etat peut lutter efficacement contre ce fléau. Il faudra dans tous les cas éradiquer la corruption conformément à la volonté du chef de l’Etat.

S. : Vous aviez évoqué tantôt les retards de paiement. Expliquez-nous les modalités de paiement au niveau des PME et comment ces retards peuvent entraîner la non exécution d’un marché ?

B.O. : Pour les paiements, les délais sont de 45 jours pour les avances de démarrage et de 90 jours pour les décomptes. Ces délais sont déjà exagérément longs comparés au délai moyen d’exécution des marchés. Malgré cela, on assiste encore à des retards de paiement de plus de six mois, voire un an. Les intérêts moratoires sont aussi royalement ignorés, alors que les entreprises sont tenues de faire face aux découverts bancaires avec des agios exagérément élevés.

Normalement, il devrait avoir les intérêts moratoires quand on paie en retard. Quand c’est une entreprise qui est en retard sur l’exécution des travaux, des pénalités de retard lui sont appliquées et diminuent le montant du marché. Ces pratiques influencent négativement le financement des marchés. Les entreprises se heurtent à une réticence des banques qui estiment que les paiements des marchés de l’Etat sont très lents. Aussi les avances de démarrage, préalablement plafonnées à 30% ont été ramenées à 10% dans la nouvelle réglementation.

Cette disposition se révèle être fortement préjudiciable surtout dans le cadre des marchés des travaux. A 30%, elles permettaient de disposer de ressources suffisantes pour le lancement des chantiers d’autant qu’elles sont toujours cautionnées à 100% par un établissement financier agréé. Le relèvement de ce taux à 30% au moins contribuerait au renforcement de la capacité des entreprises et favoriserait un meilleur financement des marchés. Notre syndicat est disponible pour toute rencontre que l’administration voudrait initier afin d’assainir totalement notre milieu et éviter le spectre des chantiers non exécutés.

Interview réalisée par Rabankhi Abou Bâkr ZIDA et
Jolivet Emmaüs
Sidwaya

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