LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (5)

Publié le vendredi 8 janvier 2016 à 22h44min

PARTAGER :                          
Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (5)

« Le premier ministre Paul Kaba Thiéba, nommé le 06 janvier 2016, est arrivé ce matin à l’aéroport international de Ouagadougou en provenance de Dakar où il servait à la BCEAO ». L’info, publiée ce jeudi 7 janvier 2016, en fin de matinée (10 h 50), par lefaso.net met fin à cette psycho-comédie qu’a été la désignation d’un premier ministre au Burkina Faso.

Le ratage total quant à l’annonce de la nomination de Rosine Sori-Coulibaly a conduit chacun à être excessivement prudent. Paul Kaba Thiéba a été nommé hier soir, mercredi 6 janvier 2016, après que la rumeur « Rosine » ait alimenté le net tout au long des deux jours précédents. C’est donc VOA, la Voix de l’Amérique, qui, dès ce matin, à 6 h 32, a annoncé que l’économiste Paul Kaba Thiéba (Thiéba étant écrit sans « h ») était le nouveau premier ministre.
A 7 h 06, lefaso.net, échaudé par la rumeur « Rosine » qu’il avait officialisée (rançon de la gloire), a pris soin de répercuter l’information en citant sa source cette fois : « Selon Radio Burkina ».

Si Rosine Sori-Coulibaly n’était pas une figure majeure de la vie politique burkinabè (et c’est un euphémisme) que dire de Paul Kaba Thiéba qui, depuis qu’il a entrepris des études supérieures en France – c’était en 1979 – n’a jamais mis les pieds au Burkina Faso pour des activités professionnelles. Rosine avait l’avantage d’être une femme ; cela donnait du grain à moudre. Mais le parcours de Kaba Thiéba est d’une aridité totale : de la technique financière et rien d’autre. Vox of America (VOA) pouvait bien préciser, ce matin, que « sa nomination était attendue depuis la prestation de serment de Roch Kaboré le 29 décembre », il faut ramer pour trouver à raconter trois mots sur le plus mystérieux chef de gouvernement que le Burkina Faso ait jamais eu et que VOA a présenté comme un « employé » de la BCEAO. Lefaso.net, mieux outillé que nous tous, pour savoir qui est qui et qui pourrait faire quoi, évoque de son côté une « surprise du chef » : « Son nom n’était apparu dans aucun des pronostics pour ce poste ».

Kaba Thiéba après Sori-Coulibaly, Norbert Toé, Bissiri Joseph Sirima… – autres noms cités, parfois avec insistance, pour la primature – c’est la confirmation du profil du PM recherché : pas une tête d’affiche politique, pas même un « politique », mais un homme (ou une femme) qui, ayant mené une carrière internationale, n’a pas été mêlé, de près ou de loin, à l’évolution de la société burkinabè au cours du quart de siècle passé.

Thiéba, installé dès son débarquement de Dakar ce matin, jeudi 7 janvier 2016, à l’hôtel Laïco, a reçu la presse ce soir à 19 h. « Bonjour à tous, mon nom est Paul Kaba Thiéba » a-t-il précisé d’emblée, confirmant qu’il était bien, jusqu’à présent, « l’homme invisible » du Burkina nouveau qui, jusqu’alors, était entre les mains d’hommes – Kaboré & Diallo – dont la « visibilité » est totale depuis près de trente ans ! Déclaration sans droit aux questions. Thiéba, qui s’est engagé à « faire tout ce qui est en [son] pouvoir pour être à la hauteur », a insisté sur l’engagement de la jeunesse contre un « régime antipopulaire ». « Courage, clairvoyance, détermination » ont, selon lui, caractérisé les jeunes Burkinabè qui « ont pris leur responsabilité de marcher dans la rue, de braver les armes, de braver la mort », qui « se sont également battus pour lutter contre la tentative de récupération du pouvoir à travers le coup d’Etat manqué ». Et puisque le changement est le fait de la jeunesse, c’est à ses aspirations que le chef du gouvernement entend répondre.

« La jeunesse burkinabè, aujourd’hui, a besoin de changement, de démocratie, de progrès économique et social qui soient à la hauteur du sacrifice consenti » a dit Thiéba. Qui a répondu à la demande du chef de l’Etat de diriger le gouvernement « parce que je pense que la politique qu’il va impulser sera en mesure de répondre aux attentes des jeunes, en termes de démocratie, en termes de progrès économique et social ». C’est pourquoi il va former « un gouvernement qui sera à la hauteur des attentes, des défis auxquels le peuple burkinabè est confronté ».

Cette ode à la jeunesse surprendra. C’est faire la part belle aux populations urbaines qui ont fait tomber le régime de Blaise Compaoré, incendié l’Assemblée nationale, mis à sac des entreprises et des établissements publics… lors de « l’insurrection populaire » ; autrement dit, pour les populations rurales, qui représentent plus de 80 % des Burkinabè, la « chienlit » qui a semé le désordre dans le pays. Il n’est pas certain, loin de là, que cette jeunesse qui « a besoin de changement » ait voté pour Roch Kaboré qui n’est pas le parangon du changement. Mais c’est désormais un passage obligé : le pouvoir de Kaboré & Diallo sort de la rue avant de sortir des urnes. Alternance sans alternative : « l’insurrection populaire » va, un temps encore, formater le discours politique. Avant qu’on n’entre dans le dur : remettre en route l’économie avec ce que cela va imposer de décisions… impopulaires. A ce sujet, on notera que Thiéba a caractérisé le régime mis à bas par la rue « d’antipopulaire », loin des caractérisations de Kaboré dans son discours d’investiture du mardi 29 décembre 2015 (cf. LDD Burkina Faso 0542/Vendredi 1er janvier 2016) : « obscurantisme », « oppression », « arbitraire », « dictature », « oligarchie », « opacité dans la gouvernance ».

Depuis l’instauration de la IVè République, huit personnalités ont été Premier ministre. Thiéba est le dernier d’entre elles. Faisons l’impasse sur son prédécesseur, Yacouba Isaac Zida, qui a débuté comme lieutenant-colonel pour finir général de division ; ce qui marquera son passage à la primature. Pour ce qui est des six autres, on notera qu’ils ont été « pluridimensionnels ». Ce qui n’est pas le cas de Thiéba, « unidimensionnel ». Si j’emploie ce concept, ce n’est pas dans le sens d’Herbert Marcuse, qui en a fait le fondement de sa sociologie (« L’homme unidimensionnel » étant le produit d’une société contemporaine bureaucratisée qui refuse esprit critique et comportements « antisystémiques »), c’est que Thiéba est un économiste qui a mené toute sa carrière dans les institutions financières (pendant plus de vingt ans, au siège de la même banque centrale) quand, pour la majorité d’entre eux, ses prédécesseurs avaient des parcours variés.

Youssouf Ouédraogo (16 juin 1992-22 mars 1994), que l’on présentait alors comme « le meilleur économiste du Burkina Faso », avait été auparavant professeur, « révolutionnaire », chargé de mission à la présidence du Faso, ministre, président du Conseil économique et social (qui était encore « révolutionnaire »), député. Chacun sait ce qu’il en est de son successeur Roch Marc Christian Kaboré (22 mars 1994-6 février 1996). Paramanga Ernest Yonli, qui détient un record de longévité à la primature (7 novembre 2000-3 juin 2007), était un économiste comme ses prédécesseurs et il sera le premier Premier ministre non mossi de l’histoire du Burkina Faso ; militant politique, il a été député et ministre avant d’être nommé à la primature. Tertius Zongo va lui succéder (4 juin 2007-18 avril 2011) : économiste, il était auparavant haut fonctionnaire, ministre, ambassadeur à Washington. Puis ce sera Luc-Adolphe Tiao (18 avril 2011-30 octobre 2014), journaliste, haut fonctionnaire puis ambassadeur à Paris avant d’être appelé à la primature.

Il n’est qu’un seul de ces premiers ministres qui soit dans une configuration proche de celle de Thiéba. Il s’agit de Kadré Désiré Ouédraogo (6 février 1996-7 novembre 2000). HEC, il va faire carrière, auparavant, au sein de la CEAO puis de la Cédéao (il est, aujourd’hui, président de la Commission) avant de rejoindre la BCEAO en tant que vice-gouverneur. Quand il sera nommé Premier ministre, il débarquera de… Dakar et apparaîtra, pour les Burkinabè, comme un parfait inconnu. « Le temps des idéologies, disait-il, c’est fini, la priorité étant le développement et le bien-être des populations ». C’était oublier que la vie politique n’est pas « un long fleuve tranquille » : Ouédraogo va être confronté à « l’affaire Norbert Zongo » en 1998 et à la chute de Henri Konan Bédié en Côte d’Ivoire en 1999.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 8 janvier 2016 à 17:36, par KEITA Askia En réponse à : Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (5)

    A l’attention de la rédaction de lefaso.net ! Je n’ai pas encore commencé la lecture de cet article mais je vous fais la suggestion de créer des liens qui permettent de retrouver les numéros précédents. ex : j’ai lu le num 1 et le num 2 mais pour des raisons sociales j’ai été en déplacement j’ai manqué les num 3 et 4...
    Merci d’avance et bravo à vous pour la diversité des opinions que vous publiez et pour votre contribution à l’approfondissement de la démocratie dans notre pays !

  • Le 8 janvier 2016 à 19:00, par togsida En réponse à : Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (5)

    Nous pensons que ce premier ministre va au moins rompre au profit de la population avec COTECNA. Sinon nous risquons de sortir marché

  • Le 8 janvier 2016 à 20:49, par Mathias En réponse à : Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (5)

    Bonne analyse. Mais l’important n’est pas d’être pluridimensionnel. Il peut bien réussir, s’il a la volonté de travailler. Pas travailler pour son ventre, mais travailler pour la satisfaction des besoins réels des populations. Autrement, il aurait lui-même creuser sa propre tombe. Qu’il travaille à faire des burkinabè des artisans de leur propre épanouissement. En leur créant des conditions pour un développement harmonieux. Que Dieu l’aide à réussir sa mission.

  • Le 8 janvier 2016 à 20:50, par Mathias En réponse à : Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (5)

    Bonne analyse. Mais l’important n’est pas d’être pluridimensionnel. Il peut bien réussir, s’il a la volonté de travailler. Pas travailler pour son ventre, mais travailler pour la satisfaction des besoins réels des populations. Autrement, il aurait lui-même creuser sa propre tombe. Qu’il travaille à faire des burkinabè des artisans de leur propre épanouissement. En leur créant des conditions pour un développement harmonieux. Que Dieu l’aide à réussir sa mission.

  • Le 9 janvier 2016 à 10:54, par banse tahirou mamadou En réponse à : Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (5)

    L’essensielle est de ne pas ranger les bonnes idees dans les tiroires et de l’obliger a boire le lait au lieu de le laisser compter les vaches pour voir comment il va les paitres. que dieu l’accompagne dans sa lourde tache

  • Le 9 janvier 2016 à 11:10, par guantanaméen En réponse à : Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (5)

    C’est au pied du mer qu’on voit le vrai maçon.
    Pas de mauvais présage ; souhaitons plutôt le meilleur pour lui, ce ne sera que meilleur pour nous aussi.
    Bon vent, SEM PKT !

  • Le 10 janvier 2016 à 11:45, par Amadoum En réponse à : Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. LA PLURIDIMENSIONALITE, EST ELLE UNE FIN EN SOI ?

    N’importe quel jour de la semaine, un homme unidimensionnel qui se donne corps et ame a sa mission, est integre et honnete, et sert son peuple, est preferable a un homme pluridimensionnel qui ne pense qu’ a ses seuls interets. Tous ces premiers ministres pluridimensionnels qu’a cites M. Bejot, qu’ont-ils fait pour le peuple burkinabe ? Malgre leur pluridimensionalite, ils ont tous servi un seul homme et son clan qui ont passe plus d’un quart de siecle a accumuler des fortunes colossales au detriment des pauvres contribuables burkinabe ; eux-memes se sont bien servis. Le dernier premier ministre du president Compaore, Luc-Adolph Tiao, pour expliquer la corruption dans notre pays, disait a peu pres ceci, "compares aux fonctionnaires de la sous region, ceux du Burkina ne gagnent pas assez...". Peut-etre c’est cela aussi la multidimensionalite.

    Si nous donnons un peu de temps au premier ministre Thieba, il se peut qu’il nous surprenne positivement. Pluri ou unidimensionnel, que Dieu le guide !

    La pluridimensionalite, est-elle une fin en soi ?

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : En attendant l’investiture de Roch Kaboré