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Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (3)

Publié le mercredi 6 janvier 2016 à 17h40min

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Le Burkina Faso de Roch Kaboré & Salif Diallo. Chronique d’une alternance sans alternative (3)

J’ai l’habitude de dire qu’au « Pays des hommes intègres », plus de 50 % des hommes intègres sont des femmes. Mais il faut bien reconnaître que leur visibilité est particulièrement faible. Dans les gouvernements, la haute administration, dans la diplomatie, à l’Assemblée nationale, dans les états-majors des partis politiques… les femmes burkinabè sont une denrée rare.

Sur quatorze candidats à la présidentielle 2015, il n’y avait que deux femmes. Et au sein de la nouvelle assemblée, nous sommes loin, très loin, de la parité : elles sont à peine une douzaine, soit moins de 10 % de l’effectif total. La « transition », en 1994-1995, n’a pas arrangé les choses. Une seule personnalité féminine a émergé pendant cette période : Joséphine Ouédraogo qui, après avoir échoué à être désignée présidente de la Transition, est devenue le numéro un du gouvernement au portefeuille de ministre de la Justice, des droits humains et de la promotion civique (cf. LDD Burkina Faso 0456/Lundi 24 novembre 2014).

Pourtant, il n’est pas, depuis « l’insurrection populaire », un leader politique qui n’ait affirmé que toute la politique mise en œuvre désormais visait, en priorité, au mieux être des jeunes et des femmes, les uns comme les autres ayant été le fer de lance des manifestations (je serais curieux de savoir combien de femmes figurent ainsi parmi les victimes des événements des 30-31 octobre 2014 et 16-17 septembre 2015). Pour autant, personne ne pensait qu’une femme pouvait être nommée au poste de premier ministre.

D’abord, Roch Kaboré & Salif Diallo appartiennent à une génération d’hommes politiques caractérisée par le fait que les politiques sont des… hommes. Ensuite, parce les femmes politiques burkinabè, ayant l’expérience du pouvoir, viennent exclusivement des rangs du CDP ; certes, on me rétorquera que c’est vrai aussi pour Kaboré & Diallo, mais on accepte toujours des hommes beaucoup plus que l’on n’est prêt à accepter des femmes sujettes, de la part des hommes, à tout un tas de suspicions. Enfin, il faut bien reconnaître que, spontanément, il est difficile de penser à telle ou telle femme pour occuper la fonction au Burkina Faso ! D’autant plus que la première question que l’on posera sera de connaître le nom de son mari car, bien sûr, une femme n’acquiert sa compétence qu’aux côtés d’un homme qui, lui, la possède d’emblée et ne doit rien à personne... !

Et puis, ce n’est pas dans les habitudes de l’Afrique ; une douzaine de femmes seulement y
ont occupé la fonction de chef du gouvernement et, pour la plupart, dans des cadres intérimaires ou pour des temps très limités. Qui se souvient de Cissé Mariam Kaïdama Sidibé (3 avril 2011-22 mars 2012) au Mali ou de Mame Madior Boye (3 mars 2001-4 novembre 2002) et d’Aminata Touré (1er septembre 2013-6 juillet 2014) au Sénégal ? Mais il est vrai que la France n’est pas mieux lotie ; une seule femme y a dirigé Matignon : Edith Cresson, et pour peu de temps : 15 mai 1991-2 avril 1992.

Le sentiment est donc fort (mais chacun sait que la francophonie, à l’instar de la langue française, est sexiste même si la présidence de l’OIF est actuellement assurée par une femme !) que ces nominations de femmes à la tête du gouvernement de leur pays ne sont que l’expression d’une volonté de « démonstration », de « justification », un acte de « communication », un « gimmick » politique. Nommer une femme à un poste de chef de gouvernement serait un acte médiatique avant d’être un acte politique.

Parce que le MPP n’a pas encore acquis des réflexes de parti présidentiel, voilà donc que ce mardi 5 janvier 2016, la rumeur, partie de ses rangs, laisse penser que Rosine Sori Coulibaly est nommée au poste de Premier ministre du Burkina Faso. Lefaso.net s’en est fait l’écho. L’écho enfle. Avec d’autant plus de vigueur que tout le monde trouve le temps long dans la capitale du Burkina Faso : Kaboré & Diallo ont pris leurs fonctions, respectivement, les 29 et 30 décembre 2015. Les jours s’ajoutent aux jours et on s’étonne que le nom du premier ministre du Burkina nouveau ne soit toujours pas connu. Et là, ce mardi 5 janvier 2016, c’est coup double : on connaît le nom du PM mais, en plus, c’est une femme. Et pas n’importe laquelle puisqu’elle est pratiquement totalement méconnue des Burkinabè, ayant mené l’essentiel de sa carrière au sein des Nations unies et de ses démembrements comme on aime à dire en Afrique.

Sauf que la rumeur n’est qu’une rumeur et que cette nomination non seulement n’est pas officielle mais tarde à être officialisée. Lefaso.net va donc devoir corriger le tir : « Rosine Sori-Coulibaly n’est pas (encore) premier ministre ». Ce qui ne va pas faciliter la tâche de Kaboré & Diallo : infirmer cette nomination, c’est ouvrir la porte à des polémiques interminables ; la confirmer, c’est laisser penser que le nouveau pouvoir ne maîtrise pas sa « com » et qu’au sein du MPP il y a des langues qui devraient apprendre à tourner sept fois dans la bouche de ceux qui pensent être mieux informés que les autres. Wikipédia va réagir immédiatement : « Rosine Sori-Coulibaly, née en 1958, est une femme politique burkinabée [sic]. Elle est désignée le 5 janvier 2016 Première ministre par le président Roch Marc Christian Kaboré ». A part le prénom, le nom et la date de naissance, tout le reste est faux. Pour l’instant, peut-être ; mais si elle est, finalement, nommée au poste de Premier ministre, ce ne sera pas le 5 janvier 2016, le 6 peut-être ou le 7… Et quant à la qualifier de « femme politique », c’est beaucoup dire. C’est quand elle a été nommée représentante spéciale adjointe du Bureau des Nations unies au Burundi (BNUB), coordonnatrice résidente des Nations unies, représentante résidente et coordonnatrice humanitaire au Burundi par Ban Ki-moon, le 5 mai 2011, que Rosine Sori-Coulibaly est sortie (partiellement) de l’ombre.

Titulaire d’une maîtrise en économie du développement de l’université Cheikh Anta Diop (Dakar), diplômée de troisième cycle en management et planification de l’Institut africain de développement économique et de planification (IDEP), dont le siège est également à Dakar, Rosine Sori-Coulibaly sera économiste au ministère de la Planification et du Développement économique, membre du Conseil économique et social, conférencière à l’ENAM, membre de l’Organisation pour l’émancipation des femmes et des droits de l’homme. Elle a été consultante auprès du département des affaires économiques et sociales des Nations unies, économiste hors classe au PNUD au Burundi et représentante résidente adjointe en Mauritanie. Elle a été coordonnatrice résidente et représentante résidente des Nations unies au Togo avant d’être nommée, en mai 2011, représentante spéciale adjointe du BNUB au Burundi (cf. supra). Elle va alors se retrouver dans l’œil du cyclone (en l’occurrence le redoutable Service national de renseignement, le SNR), étant mise en cause dans la transmission d’un câble diplomatique incriminant le Burundi dans une affaire de distribution d’armes aux populations civiles dans le Sud du pays. Quelques mois plus tard, en août 2014, elle quittera Bujumbura. Son dernier poste sera Cotonou.

Une femme chef de gouvernement au Burkina Faso, l’info fait le tour du net. Avant même d’être officiellement annoncée. Au lendemain de la victoire de Kaboré, Ouaga bruissait déjà de la nomination de Bissiri Joseph Sirima (cf. LDD Burkina Faso 0541/Lundi 14 décembre 2015), un économiste lui aussi, député MPP et qui avait fait toute sa carrière au Burkina Faso mais y avait mis en place le PAS. Plus récemment, on parlait encore de Norbert Toe, là encore un économiste chef de division adjoint au FMI. PAS et FMI ne font pas bon ménage, semble-t-il, avec le Burkina nouveau. Sori-Coulibaly est, hormis le fait d’être une femme, également économiste mais « onusienne », donc moins « typée ». Sera-t-elle nommée Premier ministre ? A ce jour, la question reste posée.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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