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« Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso (11)

Publié le jeudi 17 décembre 2015 à 17h10min

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« Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso (11)

Sitôt élu à la présidence du Faso, Roch Marc Christian Kaboré a appelé à se « mettre au travail immédiatement ». Son directeur de campagne, Salif Diallo, quant à lui, a rappelé en conférence de presse, que « notre perspective n’est pas de créer un exécutif uniquement avec les partis politiques et d’entretenir des relations qu’avec les partis politiques ». Autrement dit : « Nous prenons très au sérieux les organisations de la société civile ». Et ajoutera-t-il : « les syndicats ».

Compte tenu du timing actuellement envisagé quatre semaines au moins vont s’écouler entre la présidentielle du dimanche 29 novembre 2015 et la cérémonie d’investiture actuellement prévue au cours de la dernière décade de l’année (soit entre le 22 et le 29 décembre 2015). Cette investiture étant, également, la fin de la « transition », il est bien évident que les actuels dirigeants du pays – qui vont quitter le devant de la scène – entendent lui donner « un cachet particulier » pour reprendre l’expression de Michel Kafando, le président de la Transition, président du Faso. Kafando, pour justifier cette exceptionnalité, a d’ailleurs souligné que « ce sera la première fois dans l’histoire du Burkina Faso qu’un président civil va remettre le pouvoir à un autre élu civil ».

Roch Kaboré a fait le déplacement à Kosyam le mercredi 9 décembre 2015. Pour, justement, examiner la question de la passation du pouvoir, mais également en visite de courtoisie auprès du président Kafando (qui était à Paris dans le cadre de la COP 21 quand Roch Kaboré a été déclaré, provisoirement, vainqueur de la présidentielle 2015). Jusqu’à présent les résultats de la CENI n’ont pas été confirmés par le Conseil constitutionnel, d’où ce sentiment que la « transition » perdure au-delà du strict nécessaire. Mais il est vrai que la victoire, dès le premier tour, contre toute attente (sauf dans le camp du MPP bien sûr), a quelque peu précipité les événements et que du côté du gouvernement on entend mettre à profit les derniers jours passés au pouvoir pour ficeler quelques arrangements entre amis et prendre des décisions dont on peut penser qu’elles sont du ressort des nouvelles autorités.

Ce délai est mis à profit pour organiser le nouveau pouvoir. S’il semble de plus en plus acquis que Salif Diallo, député élu sur la liste nationale, va présider l’Assemblée nationale, il reste à nouer des alliances politiques afin d’établir une « majorité stable ». Le MPP, premier parti politique, a 55 députés. Il lui en manque 9 pour avoir la majorité (64 députés). Or, hormis l’UPC (33 députés) de Zéphirin Diabré et le CDP (18 députés) dont nul ne sait qui est le chef, aucun autre parti ne dépasse les 5 élus. Roch Kaboré l’a dit* : « Nous sommes un parti social-démocrate. Il serait difficile que, dans le nouveau gouvernement, nous ayons des libéraux, des ceci, des cela. On ne pourrait pas fonctionner correctement. Donc, nous avons dit à tous ceux qui ont travaillé avec nous dans l’esprit de l’insurrection populaire, tous ceux qui sont de la même obédience politique, que nous seront tout à fait ouverts à travailler avec eux au niveau des postes les plus importants ». L’UPC (libéral) et le CDP (ex-parti présidentiel) étant exclus, tout comme d’ADF/RDA (3 députés) de Gilbert Noël Ouédraogo, ex-allié du CDP, ainsi que le NAFA (2 députés) de Djibrill Y. Bassolé, le choix est limité dès lors qu’il doit être multiple : il faudra au moins les députés de trois formations politiques pour rassembler 9 députés.

Si les 3 députés de NTD (Nouveau temps pour la démocratie), le groupuscule créé en 2015 par Vincent Dabilgou, ex-CDP lui aussi, ancien ministre de Blaise Compaoré, qui a soutenu d’emblée la candidature de Roch Kaboré** après que celle de son leader ait été retoquée, ne doit pas faire défaut, il sera plus délicat de négocier avec l’UNIR/PS, le parti « sankariste » qui compte 5 députés mais également un leader, Me Bénéwendé Stanislas Sankara, qui a été candidat à la présidentielle (il est arrivé en 4è position) et aime à flirter, idéologiquement, avec l’extrême-gauche mondiale. Tahirou Barry, du PAREN (2 députés), adepte d’une 3è voie (« ni communisme, ni capitalisme ») qui ne conduit nulle part (mais qui lui a permis d’arriver 3è de la présidentielle 2015), voudra sans doute capitaliser sur son score. Il ne reste donc que les six partis qui ont obtenu chacun 1 député pour assurer l’appoint. Autrement dit, il faudra se fier à un seul homme, avec ce que cela comporte d’ambitions (et de suspicion) personnelles. A ce jeu, il semble que ce sera Ahmed Aziz Diallo, député PDS/Metba de la province du Séno, et Salfo Téhodore Ouédraogo, député RDS de la province du Sanmentenga – deux partis qui ont soutenu la candidature de Roch Kaboré – qui pourraient faire l’affaire.

Il ne fait aucun doute que, dans cette opération de « majorité stable », c’est l’UNIR/PS qui est l’enjeu principal. Diallo l’a dit lors de son point presse du 5 décembre 2015 : « L’UNIR/PS et le MPP […] sont de la même famille idéologique avec des variantes. Mais le tronc est commun. Idéologiquement, nous partageons les mêmes fondamentaux. Il n’y a véritablement même pas de problème à ce niveau ». « Pas de problème » au sein de cette « même famille idéologique » ? On pourrait s’en étonner quand on connaît le parcours (divergent) de Diallo et celui de Sankara (« sankariste » de longue date mais sans affiliation avec Thomas Sankara). Mais le Burkina Faso n’est pas Cuba et encore moins l’URSS d’autrefois. C’est un « village politique ». Et Me Sankara ne nie pas être proche de Roch Kaboré : il revendique la même « vision de la démocratie » que le futur président du Faso. Il le reconnaissait déjà quand Roch Kaboré n’était pas encore en rupture de CDP, même s’il avait abandonné la direction du parti présidentiel depuis quelques mois. C’était lors d’un entretien avec Morin Yamongbé et Désiré Théophane Sawadogo (Fasozine – mardi 3 juillet 2012). « J’ai été parlementaire et j’ai travaillé à ses côtés [il s’agit bien sûr de Roch Kaboré] comme député, président de groupe parlementaire et vice-président de l’Assemblée nationale. C’est un homme qui a de la retenue et qui est très attaché au débat démocratique. Si c’est pour cela que l’on nous dit proches, je ne vois pas où se trouve le problème ». Pas de problème donc, d’autant plus que Me Sankara, interrogé par Benjamin Roger voici quelques mois (Jeune Afrique – 19 juin 2015) sur « l’adaptation » de « l’œuvre » de Thomas Sankara, avait répondu : « Si nous parvenons au pouvoir, la première chose que nous allons faire sera de restaurer l’autorité de l’Etat. Nous allons faire en sorte d’avoir une justice adéquate et appropriée pour lutter contre la corruption et l’impunité. Nous allons faire en sorte que les Burkinabè soient sécurisés. Qu’il n’y ait pas deux types d’armées dans notre pays et que l’armée soit vraiment républicaine. Que les citoyens soient égaux devant la loi, et que personne ne soit protégé seulement parce qu’il a tiré la bonne carte à la naissance ».

On le voit, on est très loin du Discours d’orientation politique, le fameux DOP, prononcé par Sankara le 2 octobre 1983 pour définir ce que devait être la « révolution démocratique et populaire ». Un DOP dont la paternité incombe à Valère Somé qui n’est pas dans les meilleurs termes (c’est un euphémisme) avec Diallo qui, le 2 novembre 2015, a proposé de lui décerner le prix Nobel du mensonge pour sa mise en cause dans l’assassinat de Sankara et la répression qui s’ensuivit contre les « sankaristes ».

* Entretien publié par Point-Afrique du 4 décembre 2015.

** Dix-sept partis ont soutenu la candidature de Roch Marc Christian Kaboré à la présidentielle 2015 mais trois d’entre eux seulement ont des députés à l’Assemblée nationale : le Rassemblement pour la démocratie et le socialisme (RDS), Nouveau temps pour la démocratie (NTD) et PDS/Metba.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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