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« Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso (5)

Publié le lundi 7 décembre 2015 à 23h53min

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« Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso (5)

C’est, incontestablement, la métamorphose la plus rapide de l’histoire politique du Burkina Faso. Il y près de six ans, il affirmait que la limitation du nombre de mandats présidentiels était « antidémocratique ». Il y a trois ans, il était encore le patron du CDP. Il y a moins de deux ans, il en claquait la porte et fondait son propre parti. Aujourd’hui, il est président du Faso, élu dès le premier tour. Et son parti, le MPP, est devenu le premier parti politique du « Pays des hommes intègres ». Et tout cela résulte d’une « insurrection populaire » qui a fait des morts, de nombreux blessés et plus encore de dégâts politiques, économiques et sociaux.

La première leçon de tout cela, c’est que sans « insurrection populaire », il est probable que la révision de l’article 37 aurait été adoptée et que Blaise Compaoré aurait été réélu à la présidence du Faso. Le CDP, bien que vidé d’une partie de ses cadres, ceux qui ont fondé le MPP, et disqualifié par les événements des 30-31 octobre 2014, obtient 18 députés ; ce qui en fait la troisième formation politique du pays derrière le MPP de Roch Marc Christian Kaboré et l’UPC de Zéphirin Diabré alors que je défie quiconque de citer, spontanément, le nom de l’actuel patron du CDP.

C’est dire que la stratégie que voulaient mettre en œuvre les hommes de Blaise Compaoré en 2014 était la bonne ; sauf qu’ils considéraient alors que l’armée les soutiendrait et qu’ils mésestimaient la capacité de riposte – y compris violente – des populations de Ouagadougou et de Bobo Dioulasso. Si Roch Kaboré l’a emporté aujourd’hui, c’est parce qu’il a été… l’homme de Blaise Compaoré pendant un quart de siècle, qu’il a été ministre, ministre d’Etat, premier ministre, président de l’Assemblée nationale, président du parti présidentiel. Et qu’à ses côtés, il y a des hommes tels que Salif Diallo – de longues années ministre de l’Agriculture – et Simon Compaoré, incontournable maire de la capitale. Ajoutons à cela que Roch Kaboré appartient au groupe ethnique majoritaire dont l’image se confond avec celle de la Haute-Volta d’hier comme du Burkina Faso d’aujourd’hui.

Si dans les villes, l’alternance a été une revendication de la jeunesse et – naturellement – des leaders politiques de l’opposition, le monde rural et le monde provincial souhaite plutôt la permanence des interlocuteurs ; pas question de faire confiance à des « étrangers » dont on ne sait rien ou pas grand chose. Or, il n’est qu’un seul parti politique qui ait eu cet ancrage national, c’est le CDP ; et comme, aujourd’hui, le MPP c’est le CDP d’hier, le trio Kaboré/Diallo/Compaoré était le mieux placé pour l’emporter. D’ailleurs MPP + CDP, c’est un total de 73 députés, les 54 autres sièges de députés se partageant entre 12 partis (dont 33 pour l’UPC mais Zéphirin Diabré, son candidat à la présidentielle, érigé leader de l’opposition pendant plusieurs années, recueille moins de 30 % des voix).

Roch Kaboré, c’est la fin de l’aventure, c’est la fin d’un rêve pour quelques uns, c’est la fin de la « transition », c’est le point final mis à une « insurrection populaire » dont les plus critiques diront qu’il ne restera qu’une seule chose tangible (hormis le renversement du régime de Blaise) : le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, ex-membre du RSP dont il était le numéro deux, Premier ministre de la « transition » après avoir ambitionné, un temps, d’être chef de l’Etat, a été promu au grade de général de division à titre exceptionnel le 27 novembre 2015 pour « ses services rendus à la nation et pour avoir accepté de céder le pouvoir aux civils ».

Il est vrai que les généraux Gilbert Diendéré et Djibrill Y. Bassolé étant actuellement « indisponibles », l’armée burkinabè manquait sûrement de chefs charismatiques et expérimentés. Trois nouvelles étoiles vont donc briller dans le firmament militaire du « Pays des hommes intègres » ; voilà un avatar de « l’insurrection populaire » auquel on ne s’attendait pas ou, plus exactement, auquel on souhaitait ne pas avoir à s’attendre tant les exemples similaires en Guinée et au Mali ont consacré des tocards. Mais c’est, une fois encore, la confirmation du principe d’Antoine Lavoisier selon lequel « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Y compris un lieutenant colonel en général de division.

Il y a un an, alors qu’il venait d’être nommé premier ministre, Zida avait assuré qu’il allait « œuvrer en toute humilité et dans un engagement sacerdotal et patriotique ». Il avait évoqué « le don de soi, sans calculs égoïstes »*. Me Bénéwendé Sankara, leader d’UNIR/PS, avait même écrasé une larme se disant « ému » d’entendre Zida évoquer « les valeurs qui ont fondé la Révolution du 4 août 1983 ».

Bon, Zida amiral de la flotte, c’est peut-être le prix à payer pour une « démilitarisation » du pouvoir politique. Ce qui serait une première depuis la chute de « Monsieur Maurice » voilà cinquante ans ! A défaut de se défaire des « compaoristes », les Burkinabè vont-ils parvenir à se défaire des militaires ? Car, pour les « compaoristes », c’est râpé. Ce qui ne manque pas d’amuser la presse française. « C’est le paradoxe burkinabè. Pour tourner définitivement la page des années Blaise Compaoré, les électeurs de ce pays ont largement choisi celui qui, des années durant, fut considéré comme son principal dauphin, son successeur désigné » a écrit Cyril Bensimon dans Le Monde (daté du mercredi 2 décembre 2015). « Le nouveau chef d’Etat est vraiment très loin d’être un opposant à l’ancien régime. Longtemps, il fut même un pilier du système Blaise Compaoré et son héritier présomptif », rappelle Tanguy Berthemet (Le Figaro du mercredi 2 décembre 2015). « Pour le Burkina, c’est une nouvelle ère, écrit Laurent Larcher dans La Croix* (mercredi 2 décembre 2015). Mais pour Roch Marc Kaboré, l’histoire continue ». Marc de Miramon, dans L’Humanité (mercredi 2 décembre 2015) n’a pas évoqué la victoire de Roch Kaboré mais la « défaite des héritiers de Sankara »*** ; le quotidien fondé par Jean Jaurès et « bureaucratisé » par le PCF reste nostalgique du capitaine putschiste Thomas Sankara, sans doute un goût des icônes contracté pendant sa (longue) période stalinienne.

Roch Kaboré a encore quelques jours devant lui pour passer des promesses électorales de la campagne aux réalités politiques et sociales du Burkina Faso. D’autant plus que le MPP n’est pas majoritaire à l’Assemblée nationale. Or, il faut le rappeler, et l’opposition ne manquera pas de le faire, Salif Diallo, stratège politique du MPP, avait été suspendu en 2009 sous… Roch Kaboré de ses responsabilités au sein du CDP pour avoir réclamé plus de parlementarisme et moins de présidentialisme (cf. LDD Burkina Faso 0534/Jeudi 3 décembre 2015). Aujourd’hui, les mots d’ordre de Roch Kaboré sont travail, réconciliation, justice, vérité. Sa première étape, c’est la recherche d’alliances parlementaires dans une perspective de « majorité absolue pour pouvoir mener à bien notre programme » puis la mise en place d’un gouvernement « social-démocrate » sans les « libéraux » ni « des ceci, des cela ».

* Cf. LDD Burkina Faso 0454/Jeudi 20 novembre 2014.

** Le quotidien catholique français ne manque pas de souligner que Roch Marc Christian Kaboré est « catholique », qu’il a « décroché le bac au lycée catholique Saint-Jean-Baptiste-de-la-Salle » et qu’il est « un ancien scout ».

*** La référence sankariste a plus que jamais « du plomb dans l’aile ». L’Humanité ne manque pas de souligner que le leader d’UNIR/PS, Me Bénéwendé Sankara, a subi un « sévère revers » n’obtenant que 2,77 % des voix. Le quotidien communiste ajoute : « Il se place en 4è position derrière Tahirou Barry (3,09 %), « candidat de la jeunesse », dont le principal apport pendant la période de transition fut un projet de loi (rejeté) réprimant l’homosexualité ». 2015 étant un scrutin qui s’inscrivait dans la suite d’une « insurrection populaire » au cours de laquelle le nom de Thomas Sankara a été acclamé par tous, y compris les dirigeants de la « transition » et des leaders politiques, on mesure l’échec des « sankaristes » que Mariam Sankara elle-même, la veuve du leader, n’est pas venu soutenir ne voulant pas, sans doute, « injurier l’avenir » (officiellement, sa venue à Ouagadougou a été annulée « pour raisons de santé »).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 8 décembre 2015 à 04:56, par Souké En réponse à : « Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso (5)

    nous avons élu démocratiquement le président Rock ! nous l’attendons à l’œuvre pour le juger. la majorité des Burkinabé a estimé que le fait d’avoir été aux côtés de Blaise Compaoré ne constitue pas un handicap pour réussir là où il a échoué. Si Blaise avait révisé sa position sur la question de l’article 37 il serait entrain de terminer son mandat et son image serait moins ternie.
    nous avons besoin d’un burkina de paix de stabilité et de dialogue entre tous les concitoyens. Si dans cinq ans le président Rock n’apporte pas de solutions à quelques préoccupations de la population nous le sanctionnerons à travers les urnes. Qu’on ne vienne pas nous apprendre ce que nous aurions dû faire, ou le choix que nous aurions dû opéré.

  • Le 8 décembre 2015 à 04:57, par Moussa En réponse à : « Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso (5)

    Ces pretendus specialistes du Burkina Faso manquent de saisir la substance de la Revolution d’Octobre. Il leur faut comprendre une chose :
    - Que Roch Kabore, l’ancien pilier du CDP soit elu president, cela ne pose pas de probleme aux Burkinabe !
    - Que meme si le CDP avait presente un candidat aux elections et gagnait les elections cela n’aurait pas non plus pose un probleme aux Burkinabe. Si c’etait l’inverse on aurait pas donne la possibilite au CDP de remplacer leur candidate Komboigo recale par la CC.
    - Les jeunes ne sont pas desdendus dans les rues pour empecher les anciens du CDP de gagner les elections.
    - Ils sont sortis pour empecher Blaise Compaore d’etre candidat et eventuellement president du Faso en 2015 ! Si Compaore avait quitte et qu’il revenait en 2020 aucun Burkinabe ne trouverait a redire. Les Burkinabe ont meme vote la loi d’amnistie pour Compaore pour lui donner cette possibilite.
    - Les Burkinabe sont sortis les 30 et 31 Octobre 2014 pour empecher la dictature Compaore car personne au Burkina ne veut d’un dictateur a la tete de notre pays. C’est cela le sens de revolution du peuple bukinabe.

    Parce qu’ils ne comprennent pas tout ce qui y developpe ci-dessus les pretendus specialistes comme l’auteur de cet article et les differents journaux francais cites dans son cet article tentent de ridiculiser les Burkinabe en faisant croire, ou en insinuant que en elisant Roch president c’est comme si nous ne savions pas ce que nous voulions : "Ils ont chasse le parti de Compaore mais en fait avec Roch comme president les Burkinabe ont ramene le CDP au pouvoir". La revolution BF et les elections n’avaient pas pour but de decapiter ou de supprimer le CDP sur la scene politique au Burkina Faso. Empecher le CDP de revenir a la presidence aurait consiste simplement a interdire au parti CDP de participer aux elections (exemple par la suppression administrative du parti) ; En autorisant le parti CDP de prendre part a la presidentielle, les Burkinabe savaient que tout pouvait arriver (une victoire CDP par exemple contre le MPP ou l’UPC). Que l’on cessse donc de presenter le fait que le CDP n ;etait a la course pour Kossyam comme une veleite du peuple de l’avoir empecher de revenir au pouvoir ! Le CDP avait des candidats aux legislatives. Personne ne remet en cause leur election. Cet un amalgame que d’additionner le nombre de deputes MPP et CDP et dire que le parti ce Compaore a 73 deputes contre 54 a l’opposition (UPC et les autres). Le MPP et le CDP ne sont pas allees aux elections presidententielles en tant que partis allies ! SI demain ils se rallient on pourra alors faire ces additions qui n’ont pas de sens aujourd’hui. Et si le CDP decide d’aller dans l’opposition radicale comme le MPP l’a ete avant la revolution des 30 et 31 octobre, le tableau se presentera autrement. Cela dit on est en politique et aucun Burkinabe ne sera surpris de voir des alliance contre nature en 2016.

  • Le 8 décembre 2015 à 08:42, par sidzabda En réponse à : « Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso (5)

    C’est vrai que tout écrit est partisan , mais le votre est tres flagrant. quant vous faites une addition tel que CDP+MPP=73% et que vous ne faites pas ....+UPC+LE FASO AUTREMENT+...............+........ , ça veut dire que vous n’avez pas été bon en Mathematiques quand vous etiez au lycée ou tout simplement parce que vous n’etes pas professionnel.

  • Le 8 décembre 2015 à 10:44, par Mite En réponse à : « Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso (5)

    Au Président nouvellement élu, accompagnez le peuple dans sa volonté d’un changement radical de son histoire en refusant toute présence militaire dans votre gouvernement !

    Mettez fin à cette mainmise militaire depuis des décennies dans la politique de notre pays. Ce sera du changement radical, ce que le peuple attend.

    La présence de l’armée n’est pas ce qu’il y a de plus tranquille ni pour le pouvoir ni pour le peuple ! Assurez nous notre quiétude !

    Nous osons d’entrée vous accorder notre confiance Président !

  • Le 8 décembre 2015 à 15:34, par Afou En réponse à : « Kaborévolution » ou « changement dans la continuité » ? Voilà « Le Rocco » élu président du Faso (5)

    Plus rien ne sera comme avant ! sous l’ancien régime, les femmes des différents députés touchaient mensuellement un salaire de 200.000 F CFA environs, et celles des ministres encore plus soit disant pour leur entretien. Etant donné que plus rien ne sera comme avant, nous demandons la suppress° pure et simple de ces avantages.
    Qu’ont - elles fait pour mériter cela ? Ce montant pourrait servir a améliorer un temps soit peu les conditions de vie des étudiants, ou même celles des enseignants du primaire qui souvent après 20 ans de service ne peuvent même pas avoir 200.000 F cfA comme salaire mensuel. Kôrô Yamyélé, STP vérifie cela de très près car plus rien ne sera comme avant.

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