LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Le protocole d’accord de gestion commune : une innovation dans le droit burkinabè du tourisme ?

Publié le mercredi 2 décembre 2015 à 19h37min

PARTAGER :                          
Le protocole d’accord de gestion commune : une innovation dans le droit burkinabè du tourisme ?

Le décret n°2006-072 / PRES / PM / MCAT / MFB / MECV /MATD / MAHRH /SECU du 03 mars 2006 portant classification et réglementation de l’aménagement, de l’exploitation et de la gestion des sites touristiques, en son article 62 institue le protocole d’accord comme une forme contractuelle de gestion et d’exploitation des sites touristiques au Burkina Faso.

L’article 63 le définit comme « une convention par laquelle des partenaires décident d’exploiter en commun un site et s’engagent mutuellement à respecter les modalités d’intervention ainsi que les droits et obligations de chaque partie ». Le protocole d’accord indique :
-  Les structures parties et leurs représentants à la convention ;
-  La description du site, objet du contrat ;
-  L’apport, les droits et obligations de chaque partie ;
-  La fixation des tarifs et la répartition des recettes ;
-  Les conditions de dénonciation, de révision, et de résiliation ;
-  Et les clauses relatives au règlement des différends.
A s’en tenir à cette définition, rien ne différencierait de prime abord ce type de contrat d’autres formes contractuelles pour lesquelles des « partenaires » se retrouvent à exploiter ensemble un service public (Soumaïla MARE, 2013 : 42).
Mais la question mérite toujours d’être posée de savoir quelle est la nature réelle de ce contrat. Est-ce une délégation de service public ? Ou s’agit-il d’une innovation dans le droit burkinabè du tourisme ?
L’intérêt de la distinction réside à plusieurs niveaux. D’abord, elle permettra de savoir quelle procédure appliquer à la conclusion des protocoles d’accord de gestion commune ; quelle juridiction (administrative ou civile) saisir pour le règlement des litiges ; et enfin, quelle instance saisir préalablement à la saisine du juge administratif au cas où il s’agirait d’une délégation de service public.

I. Le protocole d’accord de gestion commune et les délégations de service public
La délégation de service public est un contrat administratif écrit par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public relevant de sa compétence à un délégataire dont la rémunération est substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation. Le code des marchés publics et des délégations de service public cite expressément les différents contrats faisant l’objet d’une délégation par l’autorité administrative de l’accomplissement du service public. Il s’agit de :
-  L’affermage : convention par laquelle l’autorité contractante charge le fermier, personne publique ou privée, de l’exploitation d’ouvrages qu’elle a acquis préalablement afin que celui-ci assure la fourniture d’un service public ; le fermier ne réalisant pas les investissements initiaux. Dans un contrat d’affermage, l’opérateur privé paie « un loyer » à l’autorité délégante, alors que dans le cas du protocole d’accord, les parties se redistribuent les recettes de l’exploitation conformément à la grille convenue dans leur contrat ;
-  La concession : contrat par lequel un opérateur exploite un service après y avoir fait des investissements ; il doit cependant verser une redevance. Dans un protocole d’accord de gestion commune, aucun montant fixe n’est donné à l’avance ; seule une clé de répartition des recettes provenant de l’exploitation du site est fixée par les différentes parties sous forme de pourcentage.
-  La régie intéressée : c’est une convention par laquelle l’autorité publique contractante finance elle-même l’établissement d’un service, mais en confie la gestion à une personne privée ou publique qui est rémunérée par l’autorité contractante en tenant compte des résultats que ce soit au regard des économies réalisées, des gains de productivité ou de l’amélioration de la qualité du service. Ici, l’autorité délégante « emploie » l’opérateur.
Il est donc clair qu’au regard des tâches et des modes de rémunération des partenaires dans les délégations de service public, le protocole d’accord de gestion commune s’identifierait mal à l’une d’elles ; surtout que la loi a pris le soin d’indiquer les maxima quant à la durée de ces conventions, ce qui n’apparaît nullement dans les protocoles d’accord.
A cela, il faut ajouter le mode de conclusion qui passe nécessairement par un appel d’offre publique pour les délégations de service public. A ce sujet, le décret 2006-072 instituant le protocole d’accord est muet. Cependant, en se référant à la pratique administrative, aucun protocole n’a fait l’objet d’un appel d’offre. Toutes choses qui pourraient s’expliquer par l’absence de promoteur touristique privé dans ces contrats, car dans la plupart des cas, les protocoles sont intervenus entre l’administration du tourisme, la famille ou la communauté villageoise ou religieuse « héritière » ou « propriétaire » du site et la collectivité territoriale concernée. On pourrait néanmoins se demander, comment l’autorité publique sélectionnerait son cocontractant si celui-ci était purement un entrepreneur touristique, n’ayant aucune prétention de légitimité de sa participation « naturelle » à la gestion du site, et cela selon quelque source de droit que ce soit. Toutefois, si le protocole d’accord de gestion commune ne peut être envisagé comme une délégation de service public, peut-être pourra-t-il l’être en tant que contrat spécial.

II. Le protocole d’accord de gestion commune et les contrats spéciaux

De prime abord, il faut souligner pourquoi nous faisons la comparaison avec des contrats soumis au droit civil. Cette comparaison tient au fait que rien du décret 2006-72 ne présume du caractère administratif du protocole d’accord de gestion commune. Ensuite, tous les contrats dits spéciaux peuvent être administratifs ou mixtes selon les critères d’appréciation retenus en droit administratif. Toutefois, dans le cadre de la présente analyse, il sera inutile d’examiner tous les contrats. Aussi, nous contenterons-nous seulement eu égard à la grande ressemblance entre les modes d’exécution, d’établir la comparaison avec le contrat de gestion.

Dans les contrats de gestion, pris dans leur élan de collaboration public-privé, la personne publique confie la gestion d’un service ou d’un équipement à un opérateur privé tout en lui assurant une rémunération. Dans ces contrats tels que passés au Burkina Faso, les deux partenaires se retrouvent à participer ensemble à la gestion de l’établissement objet du contrat .
Toutefois, malgré cette gestion commune, le contrat de gestion ne peut pas totalement s’apparenter auprotocole d’accord.

D’abord, le décret 2006-72 définit clairement la nature de l’objet sur lequel peut porter un protocole d’accord. Il s’agit toujours d’un site touristique. Alors que le contrat de gestion peut en principe porter sur tout objet.

Ensuite, dans la pratique de la conclusion des protocoles d’accord, les parties se retrouvent impliquées dans tous les aspects de la gestion du site objet du contrat ; par contre, les contrats de gestion conclus jusqu’à présent au Burkina Faso , portent sur un ou deux aspects de la gestion. Néanmoins, rien n’interdirait d’élargir le partenariat à tous les domaines de la gestion. En tout état de cause,hormis les cas de partenariat public-privé, les contrats de gestion portenthabituellementsur tous les aspects de la gestion.
A la lumière de cet exposé, il apparait qu’il n’est pas aisé de trouver dans le décret 2006-72 du 03 mars 2006, une disposition pouvant justifier de la singularité du protocole d’accord de gestion commune.

Mais la mise en œuvre des partenariats issus de cette forme contractuelle (le protocole d’accord) tranche totalement avec ce qui existait jusqu’à présent dans le droit burkinabè du tourisme. En effet, les protocoles d’accord fonctionnent comme des Sociétés d’Economie Mixte (SEM) à la différence que la structure représentant les intérêts des partenaires manque de personnalité juridique.

Malheureusement, la rédaction lacunaire des protocoles d’accord de gestion commune ne permet pas d’avoir plus de détails de qualification. En effet, autant le protocole d’accord de gestion commune cumule des ressemblances avec les contrats cités, autant ce qui le distingue desdits contrats n’est pas négligeable. Au final, ce type de contrat se veut comme une innovation, une spécificité par rapport aux contrats « traditionnels » connus dans le droit burkinabè du tourisme.

Toutefois, cette spécificité du protocole d’accord parait moins résulter de la volonté du législateur que d’une série de lacunes dans la rédaction aussi bien de la loi que des contrats conclus à ce jour. Certainement qu’une révision du texte réglementaire et des contrats en cours pourra introduire plus de précision à même de faciliter la compréhension de la nature juridique exacte de ce type de contrat qui semble innovant.

Soumaïla MARE
Juriste-administrateur des services touistiques
Directeur régional de la Culture
et du Tourisme des Cascades

BIBLIOGRAPHIE
-  Code des marchés publics et des délégations de service public ;
-  Décret n°2006-072 / PRES / PM / MCAT / MFB / MECV /MATD / MAHRH /SECU du 03 mars 2006 portant classification et réglementation de l’aménagement, de l’exploitation et de la gestion des sites touristiques ;
-  Frédéric Marty, Arnaud Voisin et Sylvie Trosa, (2006) Les Partenariats Public-Privé ; Ed. La Découverte, 86 p
-  Soumaïla MARE, (2013) Tourisme et partenariat public privé au Burkina Faso, Ed. Universitaires Européennes, 89 p

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina / Musique : Patrick Kabré chante Francis Cabrel