Relecture de la loi 013 : entre trahison et piège présidentiel ?

Le processus de relecture de la loi 013 a connu son épilogue en octobre 2015 avec la fin des négociations gouvernement-syndicats et l’adoption en conseil des ministres du projet de loi soumis au Conseil national de la transition (CNT).
Ce qui préoccupe l’ensemble des fonctionnaires, au-delà du contenu de la loi, c’est bien la traduction de ce langage juridique élitiste en monnaie sonnante et trébuchante au bas de leur bulletin de paie. Pour tous ceux d’entre eux qui avaient fait de savants calculs autour d’une quelconque indemnisation liée au préjudice qu’ils ont subi depuis le 1er janvier 1999, il va falloir déchanter : la loi leur oppose son silence. La question principale qui se pose alors est de savoir si l’Unité d’Action Syndicale (UAS) peut s’arroger le droit d’admettre que l’indemnisation d’un agent suite à un préjudice quantitatif, de valeur exacte par essence, soit effacée sans son consentement qui semble n’avoir jamais été franchement recherché, ne serait-ce que par voie de vote.
En rappel, il y a lieu de signaler que la loi 013 s’est attachée à promouvoir la gestion rationnelle des ressources publiques et accroître l’exigence de reddition de comptes vis-à-vis de tout agent public. C’est pourquoi, au regard du caractère évolutif du rôle de l’État dans le processus de développement et la part de plus en plus croissante qu’il doit céder à l’initiative privée, l’esprit de la loi 013 a acté la flexibilité comme principe de gestion rationnelle des ressources humaines de l’État. L’objectif d’une telle option était de faire la distinction entre les emplois pouvant être mieux pris en charge par le secteur privé, pour accroître la production de richesses, et ceux devant rester de la compétence exclusive de l’État, pour des questions de souveraineté.
Pour ce faire, des droits avaient été ouverts à ces agents contractuels pour qui les retenues salariales ont été aménagées, du fait de la flexibilité, afin que ceux-ci aient un différentiel salarial positif sur un fonctionnaire de "niveau" égal. Il s’agit entre autres de la contribution au régime de retraite qui a évolué pour les contractuels de 16 à 18% pendant qu’il est de 20% pour les fonctionnaires.
Cette contribution a été portée par l’agent contractuel à hauteur de 5,5% (contre 10,5% pour l’État, gestion CNSS), avant de s’établir à 8% (contre 10% pour l’État, gestion CARFO), après l’entrée en vigueur du décret n° 2003-140/PRES/PM/MFPRE/MFB/MTEJ 20 mars 2003 (JO N°14-2003) portant modalités d’application de la loi n° 006-2001/AN du 17 mai 2001 (loi portant extension du champ d’application de la loi no 47/94/ADP du 29 novembre 1994 portant régime général des retraites des fonctionnaires, militaires et magistrats aux agents contractuels).
Ce décret dispose :
Article 1 : Les agents contractuels de la fonction publique engagés en cette qualité à partir du 1er janvier 1999 bénéficient de toutes les prestations prévues par la loi n° 47/94/ADP du 29 novembre 1994 portant régime général de retraite des fonctionnaires, militaires et magistrats.
Article 2 : Les agents contractuels visés à l’article 1 ci-dessus sont exclusivement ceux régis par la loi n° 013/98/AN du 28 avril 1998 portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la fonction publique.
Article 3 : Le taux de cotisation pour la constitution des droits à pension est fixé à 18 % du salaire soumis à cotisation. Il se décompose comme suit :
– 10 % du salaire soumis à cotisation pour la part supportée par l’État employeur (part patronale) ;
– 8 % du salaire soumis à cotisation pour la part supportée par l’agent (part ouvrière).
Article 4 : Le salaire soumis à cotisation est le salaire de base augmenté de la prime d’ancienneté.
Article 5 : L’État est débiteur vis-à-vis de la Caisse autonome de retraite des fonctionnaires (CARFO) de l’ensemble des cotisations dues. Il est responsable de leur versement, y compris de la part mise à la charge du travailleur et qui est précomptée sur la rémunération de celui-ci lors de chaque paie.
Article 6 : Les cotisations pour pension (part patronale et part ouvrière) déjà versées par l’État à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) au titre des agents contractuels visés par le présent décret, seront reversées par elle dans leur intégralité à la CARFO. Au cas où le versement n’est pas effectué à la CNSS, l’État reste redevable à la CARFO desdites cotisations.
Le rappel de cotisation restant dû à la CARFO, résultant des différentiels de taux de cotisation pour pension entre la CNSS et la CARFO sont à la charge de :
– l’État en ce qui concerne la part patronale, soit 5,5 % du salaire soumis à cotisation ;
– l’agent contractuel en ce qui concerne la part ouvrière, soit 3,5 % du salaire soumis à cotisation.
Sur cette base, il est aisé de dire à quel niveau se trouve l’argent que les fonctionnaires réclament pour leur indemnisation (CNSS pour les contractuels avant leur transfert à la CARFO et CARFO pour les fonctionnaires). S’il ne s’y trouve pas, il est aussi aisé de situer les responsabilités. Peut-être comprendrait-on mieux pourquoi des dignitaires du régime déchu ont tant joué avec l’argent de la poule aux œufs d’or (CARFO et CNSS) !
Comme dans tout changement, la résistance à la mise en œuvre de la loi 013 initiale et de la contractualisation qu’elle prônait a été forte, aidé en cela par la crise sur la mort de Norbert ZONGO. Les contractuels ont alors eu tous les droits et conservé leurs acquis salariaux sans que les fonctionnaires voient leur préjudice réparé. Ils ont eu le droit de passer par exemple les concours professionnels. Ce qui leur était refusé auparavant.
Au final, la loi 013 a été vidée de son esprit au fil des modifications qu’elle a subies. Elle n’était en réalité plus vraiment exploitable à cause des multiples contradictions qu’elle a créées. Dès lors, naît un préjudice au détriment des agents fonctionnaires dont le principal aspect visible est d’ordre salarial. En effet, d’un point de vue juridique, il y a préjudice parce qu’à travail égal, les fonctionnaires ont un gain inférieur à celui d’un contractuel qui peut être perçu comme un dommage subi par l’agent public dans ses biens, et peut-être dans son honneur, si l’on doit tenir compte d’attitudes et propos frustrants qui ont été signalés dans certains milieux.
Le piège dans lequel sont tombés les leaders syndicaux, c’est d’avoir laissé conduire le processus de restauration de l’équité salariale comme un objet de chantage, alors qu’il reste un droit non négociable au regard de la constitution et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Hommes et des peuples, dès lors que le principe de flexibilité de la loi 013 a été sauté. En effet, le régime déchu voulait l’utiliser comme un passe-droit pour la révision en sa faveur de l’article 37 de la constitution, tandis que la Transition a brandi la menace sur la paix sociale pour faire plier l’UAS. Le piège a été plus grand et porteur parce que le type de gouvernance promue par la société civile n’a simplement pas été mis en œuvre par l’UAS dans ce processus. Il appartient à l’UAS, pour se déculpabiliser, de procéder au niveau de ses membres à une consultation franche sur sa volonté d’effacer l’indemnisation du préjudice, à travers un vote. S’ils manquaient d’arguments, quelqu’un parmi leurs membres aurait pu les leur en fournir. Si toutes les coutures de l’accord leur avaient été présentées et expliquées clairement, il n’est pas évident que les syndiqués et les fonctionnaires auraient souscrit à cet accord.
Si les agents s’attendaient à des rappels sur leur salaire à la signature de l’accord, à l’image de ceux dont il se susurre que de nombreux ministres ont reçu fin novembre 2015, c’est simplement parce que dans tout processus de réparation d’un préjudice patrimonial, on est en droit d’obtenir une indemnisation proportionnelle à la valeur du patrimonial affecté. Dans le cas présent, la restauration de l’équité salariale n’était juste qu’un pan de la réparation, mais l’essentiel est la question de l’indemnisation. C’est pourquoi, ils ne peuvent pas comprendre pourquoi la question a été éludée, d’où l’idée de trahison. Trahison, parce que cette indemnisation n’est pas liée à la création de nouvelles charges pour l’État. Il s’agit tout simplement de faire parler les chiffres de la CNSS et de la CARFO afin de restituer une cotisation injustement perçue sur le dos des fonctionnaires, à la suite des modifications de la loi 013 initiale.
La nouvelle loi portant "statut général de la fonction publique d’État" n’ayant prévu aucune disposition transitoire pour régler la question de l’indemnisation, il va de soi que les fonctionnaires ne perçoivent rien à l’entrée en vigueur de celle-ci. Et pourtant, la loi aurait pu prévoir cette indemnisation à travers une disposition sous cette forme :
Article 212 bis : L’indemnisation liée au préjudice causé aux fonctionnaires sur leur patrimoine sera supportée par la contribution au régime de retraite à la CARFO, à hauteur de la différence de contribution patronale qui a existé entre les agents fonctionnaires et contractuels sous l’empire de la Loi n°37/61/AN du 24 Juillet 1961, instituant le Régime Général de Retraite des Fonctionnaires et ses modificatifs et ses textes d’application, ainsi que les effets nés de la coordination entre ce régime et le régime de pension des travailleurs régis par le code de la sécurité sociale qui a géré les contributions des contractuels de l’État, à travers la CNSS, avant leur reversement à la CARFO, à partir de l’adoption de la loi n°33/98/AN du 18 mai 1998.
Dans ces conditions, l’indemnisation ne devient qu’un simple transfert de ressources, augmentées des intérêts produits par leur utilisation, de la CARFO et de la CNSS, vers d’éventuels comptes Trésor chargés de l’opérationnaliser. Quand on sait ce qu’il est advenu des ressources accumulées à la CNSS qui a longtemps défrayé la chronique avec ses anciens dignitaires qui se servaient, il faut espérer que soit enfin venue l’heure d’expliquer réellement où est passée la cotisation qui doit servir au dédommagement des fonctionnaires. Il ne s’agit donc pas ici d’opposer fonctionnaires et contractuels, ni d’opposer agents publics et population comme certains pourraient se laisser tenter. Il s’agit juste de rendre justice, toute la justice et rien que la justice !
L’erreur des syndicats a été de ne pas réclamer cet argent qui dort depuis trop longtemps dans les coffres-forts de la CNSS et de la CARFO. Mais, à la veille des élections présidentielle et législatives, cela ressemble fort à un piège pour le futur président qui doit expliquer pourquoi la loi ne prévoit pas d’indemnisation pour un préjudice si évident ! Quand Bassolma BAZIÉ, avec sa casquette de la CCVC, met en garde le futur président, pendant ses discours de sensibilisation, il faut vraiment le prendre au sérieux. Il n’y a pas de doute que cela présage de lendemains chauds pour le président qui sera élu et son gouvernement. Il faut se souvenir que c’est bien Bassolma BAZIÉ qui a été le premier à semer l’idée d’insurrection dans les esprits, à sa conférence à l’université de Ouagadougou. L’on sait la tournure qu’a prise l’histoire du pays. Leur tort, à lui et à l’UAS qu’il dirige, a été de n’avoir pas dit clairement au gouvernement, depuis 2011, de cesser son chantage et d’aller chercher l’argent des fonctionnaires, là où il se trouve, pour les leurs restituer.
Ted TUINA