Crises universitaires au Burkina : Une interpellation de l’opinion publique
Point de vue
Depuis de nombreuses années, les universités africaines, surtout celles des pays francophones connaissent des crises régulières. Que ce soient les universités ivoiriennes, béninoises, togolaises, sénégalaises, maliennes, nigériennes…, aucune ne semble échapper. Le Burkina Faso ne fait pas exception à la règle, bien au contraire…
Ces crises sont devenues si récurrentes et routinières que cela n’interpelle pratiquement plus personne. Les gens se disent "fatigués" et ne veulent même plus en entendre parler. Il y a d’autres problèmes plus importants et plus urgents que l’éducation nationale, disent-ils.
Même si il est vrai que les universités burkinabè ont depuis toujours traversé des difficultés plus ou moins importantes, malheureusement la situation semble empirer d’année en année.
Je ne ferai pas l’historique de ces différentes crises, des gens plus qualifiés que moi l’ont fait et le referont au besoin. Néanmoins, je trouve nécessaire de préciser brièvement le contexte dans lequel j’écris le présent texte. En effet, une fois de plus, l’Université de Ouagadougou (et aussi celle de Bobo, mais je m’appesantirai sur la crise de celle de Ouagadougou car directement affecté par celle-ci) traverse une situation critique, triste et déplorable…
Depuis le début de la rentrée universitaire (de quelle année académique il s’agit, je ne saurais vous le dire, et allez savoir pourquoi) un malheureux bras de fer complètement inutile oppose les étudiants et les autorités universitaires (essentiellement celles du Centre National des Œuvres Universitaires : CENOU).
Tout aurait commencé par une occupation "illégale" des chambres des cités universitaires par les étudiants. Tout le monde sait aujourd’hui que cette histoire des 274 portes vandalisées n’est qu’un grotesque mensonge, mais peu importe…
Pour éviter de revenir sur les détails de ce qui s’est réellement passé ou pas, j’invite tout un chacun à revoir les déclarations des autorités universitaires et celles des structures estudiantines avant de trancher avec justice, objectivité et impartialité.
Quoiqu’il en soit, nous assistons aujourd’hui aux conséquences désastreuses de ce bras de fer. Les autorités du CENOU en guise de répression contre les étudiants ont suspendu toutes les œuvres universitaires. Ce qui met les milliers d’étudiants qui en dépendent (qu’ils habitent dans les cités ou non) dans une situation extrêmement précaire. Cela fait déjà plusieurs semaines que des milliers d’étudiants venus des différentes localités du Burkina, et n’ayant donc pas forcément de parents à Ouagadougou, sont privés de nourriture et de soins médicaux.
La fermeture des restaurants universitaires a pour seul but d’affamer les étudiants pour les soumettre, les asservir, voire les assujettir. Cette stratégie de répression machiavélique doit susciter indignation et consternation de la part de l’opinion publique. Malheureusement nous constatons avec désarroi qu’il n’en est rien. Pire encore, l’opinion publique semble aujourd’hui révoltée contre ces enfants rebelles, malpolis et ingrats que seraient les étudiants. Ces voyous qui ne feraient que grever et s’agiter à tout bout de champ, au lieu d’étudier.
Je suis même extrêmement choqué d’entendre de nombreuses personnes demander : « D’ailleurs même, est-ce que l’Etat est obligé de loger et nourrir les étudiants ? », « Pourquoi l’Etat ne s’occupe que des étudiants, au détriment des autres indigents et couches défavorisées de la population ? Les autres pauvres qui n’ont pas accès aux œuvres sociales semblables aux services fournis par le CENOU… » Comme quoi les étudiants ne seraient que de pauvres indigents, de misérables mendiants, une charge sur le dos du contribuable, des parasites qui sucent injustement le maigre budget de l’Etat…
Je voudrais informer ces gens-là que l’Etat a effectivement l’obligation d’éduquer sa jeunesse, et par conséquent de lui fournir logement, nourriture et soins pendant cette période de vulnérabilité. Et il s’agit là d’une obligation fondamentale, inaliénable, universelle et éternelle. L’accès à l’éducation est un droit fondamental garanti par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, les conditions y afférentes le sont donc par simple implication logique.
Tous les Etats du monde le font, ou du moins les Etats sérieux qui savent que l’éducation de la jeunesse est le seul gage d’un développement véritable et durable. Tout Etat qui croit en son avenir investit massivement dans l’éducation. Et aujourd’hui il n’est vraiment pas étonnant de voir que les pays les plus puissants sont bien ceux qui investissent le plus dans leur éducation. L’émergence fulgurante de certains pays asiatiques en est un argument irréfutable. Ils ont alloué des parts colossales de leurs budgets nationaux à l’éducation, ayant su très tôt que l’éducation est le seul moyen de s’affranchir de la misère et de la dépendance. Hélas, la majorité des Etats africains relèguent l’éducation au second plan des priorités nationales et par conséquent jettent de leurs propres mains leur avenir à la poubelle.
Pourquoi l’Etat doit-il loger, nourrir et soigner ses étudiants ?
D’abord parce que par définition, les étudiants sont une classe non encore productive. Théoriquement, ils ne travaillent pas encore et n’ont par conséquent aucune rémunération. Mais dans notre contexte, ils sont obligés de travailler, le plus souvent dans des conditions très précaires, pour survivre et espérer étudier. C’est ainsi que les étudiants pullulent dans tous les chantiers de construction à Ouagadougou et y servent de main-d’œuvre bon marché (des contrats de tout au plus mille francs la journée de dure labeur). Ils abondent également dans toutes les sociétés de service de surveillance (gardiennage) et sont recrutés comme vigiles de nuits. Aussi, et très malheureusement, certaines étudiantes, pour faire face aux réalités cruelles de la vie en ville se voient-elles dans l’obligation de vendre leur dignité, leur corps (et à qui se vendent-elles, c’est à se demander aussi…). Seul l’Etat peut empêcher de telles situations ignobles et indignes en améliorant leurs conditions de vie.
En outre, les étudiants des universités publiques viennent de toutes les localités du Burkina Faso, et ne sont donc pas pour la plupart des résidents de Ouagadougou, Bobo, Koudougou… selon le cas. Ils viennent de villages reculés avec l’espoir d’un avenir meilleur. Ils ne sont pas seulement leur propre espoir, ils sont l’espoir de familles entières, de centaines de personnes qui comptent sur leur succès afin qu’ils puissent leur apporter un soutien dans leur misère. Cet avenir meilleur, ils se battent jour et nuit pour l’atteindre, ils consentent à d’énormes sacrifices pour y parvenir et endurent d’atroces difficultés (non sans broncher et heureusement d’ailleurs).
Enfin, les étudiants des universités publiques sont pour la plupart issus de familles peu aisées. Ce n’est pas moi qui ferai ici l’état de la pauvreté au Burkina ; si vous ne le savez pas, retournez sur la planète dont vous venez, vous êtes certainement un extraterrestre. Oui Monsieur/Dame, ce sont bien, pour nombre d’entre eux, des "enfants de pauvres" comme aime à le rappeler dédaigneusement et orgueilleusement cette petite bourgeoisie affolée aux affaires (ceux d’hier sont encore là aujourd’hui, sous d’autres noms certes, mais ce sont bien les mêmes).
Non Monsieur/Dame, ce ne sont pas les étudiants la classe privilégiée parce qu’ils ont eu la chance d’aller au CP1, en tout cas pas les étudiants d’aujourd’hui… Parce que ce n’est pas un privilège de faire le rang des heures durant sous un soleil de plomb pour payer à manger (le restaurant universitaire n’est pas gratuit comme le pensent de nombreux ignorants : c’est bien moins cher parce qu’en grande partie subventionné par l’Etat, mais ce n’est pas gratuit !). Ce n’est pas un privilège aussi d’être servi dans un restaurant universitaire où certains prestataires vous prennent pour des nécessiteux et vous traitent tels des mendiants. Ce n’est pas un privilège également de courir derrière les services de la MUNASEB (Mutuelle Nationale de Santé des Etudiants Burkinabé) pendant des semaines dans l’espoir d’obtenir un petit remboursement sur les frais de soins qu’ils ont dû supporter durant la maladie. Ce n’est pas un privilège de vivre dans ces cités universitaires que nous vous invitons à visiter avant de raconter des calomnies.
Etre pauvre ne signifie vraiment pas ne pas avoir de dignité ! Même si nous reconnaissons être pauvre (nous n’avons pas choisi de l’être et nous n’avons pas honte de l’être non plus) nous refusons d’être considérés et traités comme des mendiants. Nous ne demandons charité à personne. Nous revendiquons nos droits !!!
C’est dommage que la plupart de ceux qui ont des réactions si violentes à l’égard des étudiants sont aussi ceux qui n’ont jamais connu la situation de misère que doivent endurer la majorité des étudiants au Burkina.
La classe privilégiée, c’est en réalité ces anciens "enfants de pauvres", venus eux-aussi pour la plupart des villages profonds du Burkina, et qui sont aujourd’hui ces "grands types du pays"…Ces enfants dont l’Etat burkinabè a pris entièrement l’éducation en charge. Ces enfants qui ont bel et bien été lotis, nourris, blanchis et soignés par l’Etat burkinabè lorsqu’ils furent étudiants. Ces enfants qui ont profité des bourses d’études octroyées par l’Etat burkinabè ; ce qui leur a permis de faire des études dans de prestigieuses universités du monde (en Asie, en Europe et en Amérique). Et sans cette prise en charge par l’Etat burkinabè, ils seraient certainement encore au village avec leurs parents qu’ils semblent mépriser.
Ce sont ces anciens "enfants de pauvres" qui aujourd’hui devenus de riches parents, veulent abandonner les "enfants de pauvres" d’aujourd’hui à leur propre sort. Ces "enfants de pauvres" dont l’avenir est rendu incertain par l’irresponsabilité de certains dirigeants, sont en réalité l’avenir du Burkina. Ces enfants dont l’image est vilipendée, dénigrée, trainée dans la boue, ces enfants qui sont diabolisés, ne sont rien autre que vos propres enfants !!! Ces enfants qui se battent avec acharnement, jour et nuit, dans la douleur certes mais avec courage, espoir et abnégation, pour leur avenir et pour l’avenir du Burkina, ces enfants-là devraient plutôt être chouchoutés, choyés, et surtout encouragés et non combattus comme cela semble être le cas.
Cher papa, chère maman, chers frères et sœurs, chers amis… tous ceux qui ont lu ce message, je vous demande humblement de reconsidérer vos positions, d’abandonner vos préjugés, de faire une analyse pertinente de la situation, de juger avec justice, impartialité mais aussi avec bonté. Si les étudiants ont un tant soit peu "déconné", ils devraient être rappelés à la raison mais pas par des mesures aussi inhumaines que celles employées présentement. En affamant les étudiants, en les privant de leurs droits fondamentaux, en les méprisant, en les humiliant, c’est l’avenir de tout un pays qui se sent menacé. Merci pour votre aimable attention.
Signé : Un Etudiant qui souffre plus du mépris affiché pour sa souffrance, que par la souffrance elle-même.