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Le racket dans les anciennes zones rebelles de Côte d’Ivoire, un juteux business entre forces de l’ordre et ex-combattants de Guillaume Soro

Publié le lundi 12 octobre 2015 à 22h51min

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Le racket dans les anciennes zones rebelles de Côte d’Ivoire, un juteux business entre forces de l’ordre et ex-combattants de Guillaume Soro

Ceci est un récit de voyage de vacanciers en terre d’Eburnie. La Côte d’Ivoire connut une guerre tribale entre 2002 et 2010. Pendant cette période les populations dans ce pays ont connu des brimades et des spoliations. Mais depuis sa victoire, Ouattara avait décidé de lutter contre les abus du pouvoir et les rackets des forces de l’ordre. Des barrières ont été levées et des auteurs de racket jugés et radiés des forces de défense et de sécurité. Mais Vavoua, ancienne place forte de la rébellion de Guillaume Soro résiste et la pratique se mue.

Les acteurs et les pratiques de racket

Le racket est aujourd’hui pratiqué principalement par des démobilisés de la rébellion de Guillaume Soro. Les ex-rebelles qui n’ont pu intégrer les forces de défenses et de sécurité, qui n’ont pu ou pas voulu se trouver une autre activité ont préféré rester dans leurs anciennes activités. Ils érigent des barrières sur les routes secondaires de la zone en épargnant stratégiquement les grands axes routiers. A ces barrières, personne ne passe « sans laisser tomber quelque chose ». Tout passant sauf piétons doit « lever la barrière ». En français plus simple, ça veut dire que le passant pour traverser, doit donner de l’argent à ceux qui tiennent la barrière.

La pratique est tellement instituée qu’elle a fini par se transformer en normes chez les usagers de la route. C’est ce qu’on peut lire à travers la réponse résignée du chauffeur de massa qui nous conduit de Vavoua à l’intérieur de la région quand nous lui avons demandé pourquoi il donne 1000f aux démobilisés : « c’est dans ça, ils mangent ». Aujourd’hui, tout chauffeur de massa dans la zone sait qu’à chaque barrière, il doit débourser au moins la somme de 500f.

Mais la pratique, la plus inacceptable et la plus difficile pour la population est le laissez-passer qu’il faut pour circuler à l’intérieur des villages et entre villages. Il est essentiellement adressé aux motocyclistes et coûte 1000f. Il doit aussi être renouvelé chaque semaine. Les laissez-passer seraient délivrés aux motocyclistes qui n’ont pas leurs papiers à jour. Les racketteurs préfèrent délivrer ces laissez-passer que d’inciter les fautifs à se conformer à la loi. En tant qu’acteurs stratégiques, ils ont peut-être raison parce que l’argent des laissez-passer va directement dans leurs poches. Pour les cyclistes, le registre de rackets est différent, il est fonction de la tête du client. En effet avec eux, les racketteurs sont moins exigeants ; le coût de « levée de barrière » est de 200f mais il arrive qu’on passe sans rien laisser.

De la complicité des forces régulières

Le racket dans cette zone ne se fait pas incognito. Les ex-combattants malmènent les populations aux yeux et sous la barbe des policiers et des gendarmes. Ces derniers voient ce qui se passe sur les routes, mais on décidé de rien faire, sinon de participer au racket. Eux aussi ont leurs barrières. Là-bas, le tarif est de 1000f et ne fait l’objet d’aucune négociation. Ils sont complices et acteurs : ils rackettent et permettent aux démobilisés de racketter. Le racket semble même être une opération savamment mise en œuvre avec pour tête de proue les forces de défense et de sécurité de la Côte d’Ivoire. Quand on discute avec les gendarmes sur ces opérations et leur illégalité, ils sont moins bavards. Ils reconnaissent surtout l’existence du laissez-passer, mais se justifient en disant que c’est une formule trouvée pour permettre aux non détenteurs de pièces pour la mise en circulation des engins de pouvoir continuer à circuler.

Mais dans la pratique, ce qui intéresse les racketteurs c’est de s’assurer que l’usager de la route est à jour des 1000f de laissez-passer hebdomadaire. Une comptabilité régulière est même tenue sur le paiement de ces frais. Peut-être que les collecteurs rendent compte à quelqu’un d’en haut à quelque part en ville. La situation arrange bien ces gens (ex-combattants, policiers et gendarmes) qui spolient les populations sans pitié. Ils préfèrent avoir affaire à des « illégaux » à qui ils imposent des papiers dont la légalité ne va pas au delà de la région, que d’avoir des gens qui respectent la loi.

Traumatiser les populations pour obtenir leur silence

« Tu comptes sur quoi pour me poser cette question ? ». C’est la réponse sèche et pleine de menace qui nous a été servie par un ex-combattant à qui nous demandons « où va l’argent qu’ils prennent avec les usagers et qui l’a instauré ? ». A de telles questions, les racketteurs deviennent nerveux. Les ex-combattants ne veulent pas de gens qui posent des questions sur leurs activités illégales. Pour cela, ils ne sont pas bien disposés à établir une communication avec des personnes qu’ils ne connaissent pas et surtout qui ressemblent comme ils le disent à « des gens de gros français ».

Ne pas communiquer avec cette catégorie de personnes est une stratégie de protection face à des gens qu’on ne connait pas et qui pourraient dénoncer cette pratique illégale. La violence verbale est les menaces sont donc servies pour empêcher l’indélicat passager qui veut connaître la logique de cette perception. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance, la violence physique a été utilisée. Les racketteurs ne répondent à aucune question surtout si elle est un peu gênante. Ils rentrent dans une posture défensive et se contentent de rappeler que ce qui les intéresse, c’est le fait que l’usager s’acquitte des frais de « lever de barrière ». Après avoir engagé une discussion avec les ex-rebelles, on reçoit la réponse suivante : « tout ce que je sais, il faut déposer mon bolokrou avant de passer ». C’est clair, les racketteurs ne veulent pas vérifier la validité des papiers des usagers de la route ; il veut seulement leur extorquer des fonds.

En attendant l’accentuation du racket ?

Le racket est bien ancré, les populations commencent à s’y habituer à tel point que personne ne s’émeut quand on intime l’ordre à un passant de lever la barrière. Les ex-rebelles ont utilisé un argument machiavélique pour faire accepter leur présence et surtout le racket des populations. Ils font croire qu’ils sont le seul rempart contre l’insécurité dans la zone et surtout contre les velléités des pro-Gbagbo qui seraient toujours prêts à perturber la « normalisation du pays ». On veut accepter, mais, l’argumentaire est tellement décalé qu’il ne convint personne. Les seules justifications qui vaillent, c’est le besoin d’argent facile, c’est le refus des démobilisés de rentrer dans la République et se trouver d’activités légales.

Le silence coupable, sinon la complicité des autorités de la zone conforte les racketteurs dans cette activité. Les ex-combattants deviennent de plus en plus nombreux, et de plus en plus voraces à tel point, qu’il faut craindre la généralisation et la montée des enchères. C’est ce qu’on peut penser en écoutant ce récit d’un agriculteur plusieurs fois abusé : « au départ, ils étaient 4 ici et ils disaient qu’ils sont venus parce qu’il y a beaucoup de vols de motos dans la zone. Mais aujourd’hui, comme ils ont remarqué qu’il y a l’argent dedans, ils sont plus de 10 et ils ne demandent plus 200 mais 500f ». Ce propos, nous avons pu le confirmer quand nous quittions Bienoufla pour Vavoua. A la barrière, notre conducteur essaie de négocier pour « lever la barrière » à son retour, mais les ex-rebelles sont réticents, et quand ils acceptent, ils rappellent à l’usager que la donne a changé : « il ne faut pas venir avec 200f ici, maintenant, on a changé. On veut 500f ». Voilà qui est clair, le phénomène va prendre des proportions si des mesures fortes ne sont prises.

A cette allure, les autorités ivoiriennes seront tenues responsables malgré elle, de la non application de la libre circulation des personnes dans l’espace CEDEAO. Alors, autorités ivoiriennes, à vous de jouer pour ne pas mettre en souffrance le pacte que vous avez signé avec les Etats frères de l’Afrique de l’ouest.

Zakaria Soré, sorefils@hotmail.fr
Ezaï Nana, nana_fils@yahoo.fr

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