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Conflit foncier à Gagnoa : Le drame des étrangers et des allogènes

Publié le dimanche 7 décembre 2003 à 18h17min

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Depuis le 21 octobre dernier, plusieurs centaines de Maliens, Burkinabé et des Ivoiriens d’autres régions ont été chassés des villages par des jeunes autochtones Bété, dans la région de Gagnoa. Un mois après, que deviennent ces infortunés ?

Ouragahio, Mahinadopa, Gbadi-est, Nagadougou, Badiépa... dans le département de Gagnoa. Nous sommes au 21 octobre 2003. Ce jour-là, plus de 600 agriculteurs maliens, burkinabé et des Ivoiriens d’autres régions de la Côte d’Ivoire, notamment du Centre et du Nord ont fui leurs plantations, après des altercations avec des jeunes Bété.
Au centre de cette tension, le café et le cacao. Des violences qui remettent au goût du jour, la sempiternelle question de la terre.

Les origines du conflit
Qu’est-ce qui pourrait expliquer subitement ce regain de tension entre allochtones, allogènes et autochtones Bété ; eux qui depuis plusieurs décennies et générations, vivaient en bonne intelligence ? Pour Claude Zadi, jeune planteur Bété de la région de Ouragahio que nous avons rencontré lors de notre séjour à Gagnoa, du 14 au 15 novembre dernier, les raisons du conflit sont multiples. « Les étrangers qui sont d’ailleurs les plus grands planteurs de notre canton ne participent pas au développement de notre village. Ils ne font aucune cotisation quand il s’agit des questions de développement », a-t-il expliqué.

Et de poursuivre : « Depuis le déclenchement de la guerre, l’insécurité règne ici. Pour éviter toute surprise désagréable, surtout que ceux qui nous font la guerre viennent des pays frères, nous avons décidé de faire partir chez eux les Maliens et les Burkinabé qui sont ici ». Ces griefs contre les étrangers sont les mêmes ou presque pour les villages de Mahinadopa, Pissékou ou Badiépa ; selon Ousmane Dramé, Ilboudo Ouindé et Issiaka Nakoulma, tous réfugiés à Gagnoa au quartier "220".

« Je ne comprends pas ce qui nous arrive. Tout ce qu’on nous reproche n’est pas fondé. Ce sont des artifices pour nous cacher les vrais mobiles de leur harcèlement contre nous », avance Ousmane Dramé de Mahinadopa. Avant d’ajouter : « Nous aidons le chef du village dans ses travaux champêtres. Mieux, nous cotisons pour tous les événements heureux ou malheureux. Cela ne les a pas empêchés de brûler nos maisons, de voler nos récoltes et tous nos biens. Vous voyez dans quel état je vis avec ma famille ».
Ses deux enfants et sa femme d’une trentaine d’années fondent en larmes.

Crise économique
Toutefois, la crise économique et le conflit armé qui a dégradé les relations entre diverses communautés pourrait expliquer ce conflit. Ilboudo Ouindé de Pissékou ne dit pas le contraire. « A cause de la crise économique, nos tuteurs Bété veulent aujourd’hui contrôler la filière cacaoyère », dit-il. « Cette volonté se concrétise, poursuit-il, par la création de nouvelles coopératives par les Bété ». Des informations dignes de foi parlent d’une trentaine de coopératives, créées seulement en 2003, avec en ligne de mire, casser le monopole de la gestion cacaoyère tenue par les nombreux groupements à vocation coopérative, aux mains des Ivoiriens d’autres régions, des Maliens et des Burkinabé.

Jules Yao Kan est un planteur baoulé de la région de Ouragahio, aujourd’hui réfugié à Gagnoa. Il ne manque pas de fustiger la décision inattendue des Bété de les exproprier des terres qu’ils exploitaient depuis belle lurette. « Depuis que nous avons senti que la création par les Bété de plusieurs coopératives avait pour but de nous éloigner de la gestion de la filière cacaoyère, nous avons commencé à nous méfier », a-t-il soutenu.

Et pourtant, les témoignages sont constants. « Dans tous les villages bété, les étrangers ont des comportements honorables ». Mais, cela n’a pas empêché les autochtones de brûler leurs maisons, de piller leurs récoltes avant de les chasser des terres qu’ils cultivent. Un mois après, que sont devenus les expulsés ? La galère en attendant le père Noël Obligés de fuir leurs maisons et leurs biens, les Maliens, Burkinabé et Ivoiriens du Centre et du Nord ont pour la plupart trouvé "des refuges" de fortune à Gagnoa.

D’autres, les plus courageux, sont restés à côté de leurs compatriotes, dans les villages environnants, épargnés pour l’heure par cette barbarie inouïe. Dans la commune de Gagnoa, selon les autorités administratives, 600 "fuyards" s’y sont réfugiés. « Dès leur arrivée, 200 parmi eux ont été hébergés au centre de formation de l’Anader », nous raconte notre guide. Les autres sont éparpillés dans des familles au quartier "Château" ou "220". A l’Anader, situé à environ 4 kilomètres de la ville où nous nous sommes rendus, tout était presque vide. « Mes pensionnaires de circonstance ne sont plus là. Les réfugiés ne sont plus ici. Ils sont allés en ville. Mais, je ne sais pas où exactement », nous dit le gardien du centre.

Aboubacar Sylla, taximètre, nous apprend quelque temps après que la plupart de ces réfugiés dorment désormais à la belle étoile. Sous des hangars du quartier Château d’eau. « Leur situation, indique M. Sylla, est tellement préoccupante que l’imam de la grande mosquée a demandé aux fidèles de leur faire des dons de riz, sucre, couvertures, etc. ». Au quartier 220. Le spectacle est désolant. Assis côte à côte, enfants, femmes et vieillards attendent leurs pères, leurs maris ou leurs fils sortis très tôt, à la recherche d’une hypothétique pitance.

Mahi, 21 ans, est Burkinabé. La gorge étreinte par la douleur, elle raconte son calvaire : « Je suis une "déplacée". Le 21 octobre dernier, les jeunes Bété ont détruit notre campement à côté de Mahinadopa et nous ont chassés. Moi, j’ai eu le malheur d’être violée. Vous voyez mon état ! ». Amaigri par la précarité, elle a visiblement besoin de soins. Comme elle, plusieurs jeunes filles souffrent ainsi le martyre. Selon plusieurs indiscrétions, l’organisation humanitaire Médecins sans frontières (MSF), venue au secours des déplacés, n’a pu avoir accès à ces derniers, par la faute des autorités administratives locales.

La version du préfet de région
Une position que ne partage pas le préfet de région du Fromager. Pour lui, dès le début de la crise, le gouvernement n’est pas resté inactif. René Mohiro tente de rassurer. « Le calme commence à revenir dans les campements. Les cadres se sont impliqués dans le règlement de ce conflit », confie-t-il. Selon lui, la situation est maîtrisée. « Le ministre Dano Djédjé a effectué le déplacement pour renouer les ponts avec les autochtones, en vue du retour des étrangers dans leurs plantations », a-t-il poursuivi.

Un retour qui semble toutefois soumis à des conditions. Les conditions du retour La majorité des autochtones Bété, interrogés, se disent prêts à accueillir de nouveau les allogènes et allochtones sur leurs plantations, mais encore faut-il que les candidats au retour acceptent de confier leurs récoltes aux nouvelles coopératives créées et contrôlées par eux-mêmes. Par ailleurs, pour une question de sécurité et sur demande des villageois, le préfet René Nioulé Mohiro a suggéré que "tous les nouveaux venus dans chaque campement ou village se présentent aux chefs de villages".

Si ces deux conditions sont acceptées, elles ne donnent pas automatiquement droit aux étrangers de regagner leurs fermes. Ils doivent, en plus, accepter d’investir dans les projets de développement de leurs terres d’accueil. Du côté des étrangers, à entendre Traoré Issouffou expulsé de Ouragahio, aucun problème ne se pose à eux pour se soumettre à ces conditions. Puisque, dit-il : "Nous faisions davantage déjà avant le conflit. Je pense que le problème est ailleurs. Nous doutons de la bonne foi des autochtones Bété quant à leur volonté de nous voir revenir sur nos terres ».

Le paysan allogène n’avait pas tort de garder cette méfiance. Les événements ont dû lui donner raison, la semaine dernière, avec la résurgence de la violence dans des villages de la sous-préfecture de Ouragahio où des villages d’étrangers ont encore été brûlés, après avoir chassé les occupants. En attendant la réaction du gouvernement, ce sont aujourd’hui des centaines de planteurs burkinabé, maliens et ivoiriens du Centre et du Nord qui sont réfugiés à Gagnoa et tendent de reconstruire une vie brisée par l’intolérance.
Touchés psychologiquement et moralement, ils ont tous une chose en commun : le besoin de l’aide humanitaire.

F.G Envoyé spécial à Gagnoa
Le Jour- 5/12/2003

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