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« Les nuits froides de décembre, l’exil ou… la mort » : Valère Somé, ses années de torture et ses tortionnaires

Publié le samedi 12 septembre 2015 à 20h28min

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« Les nuits froides de décembre, l’exil ou… la mort » : Valère Somé, ses années de torture et ses tortionnaires

Après « Thomas Sankara : L’espoir assassiné » paru en 1990, le Docteur Valère Somé revient avec un nouvel ouvrage, « Les nuits froides de Décembre, l’exil ou… la mort ». C’est un livre qui retrace la détention de l’auteur dans les geôles de la gendarmerie nationale, ainsi que les tortures que lui et ses camarades ont subies. Jean-Pierre Palm et Salif Diallo sont des tortionnaires nommément cités par l’ancien ministre de l’enseignement supérieur et la recherche scientifique qui aujourd’hui dit n’avoir aucune haine envers ses bourreaux. L’ouvrage a été dédicacé dans la soirée du 10 septembre à Ouagadougou.

Le livre avait été annoncé depuis la parution du premier en 1990. Puis silence radio. Entre temps, pour taire et remplacer les noms de ses tortionnaires, Dr Valère Somé avait décidé de faire dans le style roman fiction afin de mettre le doigt sur les faits et non sur les individus. Mais le 18 juillet dernier, sur les ondes d’une radio de la place, Jean-Pierre Palm, le tortionnaire en chef selon Valère Somé, le traite de « menteur » quand celui-ci le désigne comme son tortionnaire. Il aurait même menacé la victime.

« Quand le bourreau refuse de se repentir, il n’appartient pas à la victime de taire », clame Valère Somé qui décide alors que publier l’ouvrage tel qu’il l’a écrit en 1980, « sans y rien ajouter, ni rien supprimer ». Voilà le contexte de la sortie du livre.

Des faits corroborés

« 

Les nuits froides de Décembre, l’exil ou… la mort » est un livre d’histoire. En 92 pages, l’ancien compagnon du président Thomas Sankara raconte les horreurs inhumaines subies par lui et ses camarades à la gendarmerie. « Je persiste et signe : c’est le Capitaine Jean-Pierre Palm, commandant de la gendarmerie nationale, qui à l’époque, a ordonné et supervisé les tortures que mes camarades (Salvi Charles Somé, Firmin Diallo, et Basile Guissou) et moi avons subies lors de notre détention » peut-on lire dans le document.

Des nuits de tortures, sous la fraîcheur de décembre. « Lorsqu’ils m’abandonnèrent inanimé, tout mon corps était en feu. Le mal s’était installé dans mon corps et ne se laissait pas localisé. J’entendis néanmoins Firmin de l’autre côté, pris en main par « le vrai », en train de crier. De tels cris ne peuvent, en aucun cas, être assimilés à des pleurs. Ce sont des exutoires aux douleurs. Ce sont des cris sans larmes ».
Justement, Firmin Diallo était là, à la cérémonie de dédicace. Il a confirmé les faits tels que contés par Valère Somé. C’est depuis 1999 qu’il a reçu le texte, a-t-il tenu à préciser. L’ouvrage qui en est né, est selon lui fidèle à la situation vécue. « Je suis entièrement d’accord avec tout ce qu’il a produit », a précisé Firmin Diallo qui a par ailleurs ajouté que du document de base, certains éléments concernant Saran Sérémé ont été enlevés parce qu’assez choquant pour être diffusé.

« Je suis heureux que quelqu’un ait pu restituer cette histoire. Ce que nous souhaitons, c’est qu’on ne travestisse pas l’histoire de notre pays », a précisé celui auprès de qui, à l’époque, le tortionnaire a tenté de soutirer des informations compromettantes pour Valère Somé, en ces termes. « Si tu es disposé à mourir pour Valère, c’est tant pis pour toi. Moi Jean-Pierre Palm, même pour mon frère Jean-Marc, je ne suis pas disposé à me sacrifier. De toutes les façons je m’apprête à m’envoler pour la France et j’ai laissé des instructions fermes afin de ne pas le retrouver vivant à mon retour ».

Une autre victime de cette période, Mousbilla Sankara, également présent à la dédicace, a confirmé ce que les prisonniers politiques ont vécu. « J’étais nu, couché en caleçon…quand on les a ramenés, c’était des lambeaux, ce n’était plus des personnes humaines. Je ne l’ai (Ndlr. Valère Somé) pas connu tout de suite. C’est lui qui m’a reconnu, il est venu sans caleçon, ce n’était pas humain. Quand je suis sorti, j’ai mis du temps à m’habiller, souvent je voulais marcher nu, puisque j’étais habitué » a dit pour sa part celui qui était ambassadeur du Burkina Faso en Lybie sous la révolution.

« Je l’ai entendu crier et j’ai même comparé leurs cris à ceux de certains animaux. C’est mon ministre de la recherche scientifique qui se cherchait… », a-t-il poursuivi avant d’ajouter qu’il y a des éléments qui étaient heureux de participer aux séances de torture.

Salif Diallo aussi

Outre Jean-Pierre Palm, l’autre tortionnaire cité par Valère Somé, c’est Salif Diallo. Mais cette fois, ce n’est pas l’auteur du livre qui a subi, mais plutôt Saran Sérémé et ses camarades, qui ont été interpellés après la marche des élèves et étudiants du 19 mai 1988. Extraits. « Salif Diallo, à l’époque directeur de cabinet du président blaise Compaoré, dirigeait personnellement les séances de tortures, y prenant même une part active ; lui un civile ».

Selon l’auteur, Saran Sérémé, l’une des victimes de Salif Diallo l’a autorisé à en parler, même si la décence lui interdit de rentrer dans les détails de la scène de torture. « Aucune partie de son corps ne fut épargnée. On usa de mégots de cigarettes, de brins d’allumettes allumées, de la flamme des bougies, pour brûler tout son corps, même dans ses parties les plus intimes ». Un poignard commando, un grillage, pour labourer son corps.
Malgré tout cela, indique l’auteur, « Saran Sérémé , l’héroïne, résista aux diverses manœuvres , et n’avoua rien » .

Malgré tout, pas de rancune

« Je n’ai aucun ressentiment vis-à-vis de mes tortionnaires. L’homme qui porte la haine en lui , se détruit. C’est pour dire aux jeunes de savoir se surpasser et que la haine ne construit pas une famille, elle ne construit pas un pays », a déclaré le père du Discours d’orientation politique sous la révolution, pour qui son livre n’a aucun agenda caché. C’est la sortie « hasardeuse » de son tortionnaire d’hier qui a guidé la sortie du livre.

Sentiment partagé par Firmin Diallo qui a ajouté n’avoir aucune haine envers ses malfaiteurs d’hier. « Nous les côtoyons tous les jours, il n’y a pas de haine. Nous avons dépassé cela. Pour construire ce pays, il faut que nous soyons capables de dépasser ce que nous avons subi », foi de la victime.

Ses douloureux souvenirs, Valère ne voulait pas se les remémorer. Mais il le fait pour la postérité, et surtout pour que l’histoire ne soit pas travestie.
« Je ne l’ai pas fait pour me venger, pour que certains soient punis, je n’ai même pas l’intention de déposer une plainte quelconque. Juste qu’en lisant ce livre, chacun sache qu’il ne faut plus jamais cela au Burkina »

L’ouvrage est disponible dans les librairies comme Diacfa, Jeunesse d’Afrique et autres alimentations de la capitale au prix de 7 500 f CFA.

Tiga Cheick Sawadogo
tigacheick@hotmail.fr
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