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Présidentielle en Guinée : Dernière ligne droite

Publié le samedi 5 septembre 2015 à 01h53min

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Présidentielle en Guinée : Dernière ligne droite

Huit candidats dont une femme briguent la magistrature le 11 octobre prochain en Guinée. Avec la prime du sortant, le président Alpha Condé n’est pas le moins loti face à ses concurrents

Après la clôture le 1er septembre du dépôt des candidatures à l’élection présidentielle en Guinée dont le premier tour est prévu le 11 octobre, huit prétendants à la magistrature suprême ont rempli les formalités auprès de la cour constitutionnelle. Dans les starting-blocks de la course vers Sékhoutouréya, siège de la présidence, on retrouve bien évidemment le président sortant, Alpha Condé, candidat du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG-Arc-en-ciel), Cellou Dalein Diallo, leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), finaliste malheureux en 2010, Sidya Touré, porte-drapeau de l’Union des forces républicaines (UFR), Papa Koly Kourouma qui défend les couleurs de Génération pour la réconciliation, l’union et la prospérité (GRUP). Egalement sur la ligne de départ, il y a Faya Millimono du Bloc libéral (BL), Georges Gandhi Tounkara, candidat de l’Union guinéenne pour la démocratie et le développement (UGDD), Lansana Kouayté, président du Parti de l’Espoir pour le développement national (PEDN), un ancien premier ministre de mars 2007 à mai 2008 sous Lansana Conté et enfin Marie Madeleine Dioubaté du Parti des écologistes de Guinée (PEG). Elle est l’unique femme dans cette compétition et celle qui compte rendre obligatoire la scolarisation de tous les enfants âgés de 6 à 16 ans, n’entend pas faire de la figuration.
Comparativement au scrutin de 2010 où 24 candidats avaient été dans la compétition, cette fois-ci, ils ne seront probablement pas plus de huit à solliciter le suffrage des citoyens guinéens. Manifestement, la caution excessivement élevée, 800 millions de FG (65 millions de F CFA) contre 400 millions de FG (32.5 millions de F CFA) en 2010 exigée par la Commission électorale a eu raison de certains plaisantins et autres mythomanes qui profitent de ces occasions pour se sortir de l’anonymat et se faire de la publicité à moindre frais. Et puis, en 2010, seulement six candidats avaient atteint la barre de 5%, le score minimum requis pour bénéficier du remboursement de la caution. Le retour sur investissement est donc périlleux !
Mais de fait, cette privation légale, fondée sur la fortune, des droits de certains à la jouissance de leur citoyenneté est une violation des principes démocratiques. Elle viole l’article 1er de la constitution du 7 mai 2010, lequel « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, d’ethnie, de sexe, de religion et d’opinion ».

Peu d’engouement pour la présidentielle

Le contexte politique d’aujourd’hui pourrait aussi expliquer le peu d’engouement pour la présidentielle. Il y a cinq ans, le jeu semblait plus ouvert, le président de la Transition à l’époque, Sékouba Konaté n’étant pas candidat. Sur un continent où on n’organise pas des élections pour les perdre, dixit Feu Omar Bongo Ondimba-les quelques exceptions comme au Sénégal, Bénin, Nigeria, confirmant la règle-, on peut penser que la candidature à sa propre succession du président Alpha Conté a douché les espoirs de potentiels prétendants. Les électeurs vont donc départager huit téméraires au soir du 11 octobre, ou à défaut, deux semaines plus tard entre les deux finalistes arrivés en tête au premier tour. Il faut espérer que les résultats qui seront publiés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) seront acceptés par tous les candidats et leurs militants et éviter à la Guinée, les souvenirs douloureux de la crise post-électorale de 2010.
Au grand soulagement des partenaires régionaux et internationaux (Cedeao, Union africaine, PNUD, OIF), l’opposition et la majorité sont parvenues, à l’issue de laborieuses discussions, à un accord politique pour une présidentielle apaisée. Signé le 20 août dernier, cet accord fixe clairement les conditions qui devraient garantir l’organisation d’un scrutin libre, transparent et véritablement démocratique.
Il s’agit notamment de la répartition équitable de la gestion des communes rurales et urbaines, la recomposition paritaire des membres de la Ceni et l’assainissement du fichier électoral sous la supervision de l’Onu, de l’OIF et de la Cedeao.
Depuis 2010, le mandat des maires des 342 communes rurales et urbaines a expiré, et faute d’élections, elles sont depuis lors administrées par des délégations spéciales nommées par le président Alpha Condé. Désormais, 128 communes, dont 38 rurales et 90 urbaines, seront recomposées en tenant compte des résultats de chaque parti lors des législatives de 2013.

Les hommes politiques jouent à se faire peur

Sur le second point, il reviendra à l’opposition de nommer deux commissaires en remplacement d’Ibrahima Diallo et de Yaya Kane, tous deux décédés. Enfin, une commission composée de l’opposition, la majorité, la société civile et des experts internationaux devrait être mise sur pied et procéder au toilettage du fichier électoral. « Nous avons fait des concessions dans l’espoir que les engagements seront cette fois-ci appliqués par le gouvernement et la Ceni. Seul l’avenir nous dira si on a eu raison ou non », a commenté, méfiant, Cellou Dalein Diallo, le chef de file de l’opposition et président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) peu après avoir paraphé le document. « C’est une avancée pour la démocratie et l’Etat de droit », estime pour sa part le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Cheik Sako.
Mais deux semaines après la signature de l’accord, l’enthousiasme du début s’émousse et l’opposition montre des signes d’agacement face à la lenteur dans sa mise en œuvre. « La Ceni n’est pas encore recomposée et est toujours partiale, le fichier électoral n’est pas assaini alors que l’édition des cartes d’électeurs doit débuter le 02 septembre. La recomposition des 128 conseils communaux n’est pas encore faite, alors que la campagne électorale présidentielle va s’ouvrir dans deux semaines », peste Aboubacar Silla, un des leaders de l’opposition. Puis il menace : « Il ne sera pas question pour l’opposition républicaine d’aller aux élections du 11 octobre dans ces conditions ». Faut-il redouter que l’opposition mette cette menace à exécution ? « C’est toujours comme ça en Guinée. Les hommes politiques jouent à se faire peur, mais à chaque fois, ils ont toujours trouvé un terrain d’entente au dernier moment pour sauver l’essentiel », confie un confrère guinéen.

L’idée du boycott n’est pas la chose la mieux partagée

L’idée d’un boycott de la présidentielle, entre-temps évoquée par Sidya Touré n’est d’ailleurs pas la chose la mieux partagée dans l’opposition. Cellou Dalein Diallo doute de sa pertinence, et parallèlement aux discussions, presque tous les leaders des grands partis sont déjà lancés à la conquête de l’électorat. Officiellement, la campagne électorale commence un mois avant le premier tour, mais depuis pratiquement quatre mois, le président candidat Alpha Condé a pris une longueur d’avance sur ses concurrents. Des quartiers Almamya, Sandervalia dans la commune de Kaloum à ceux de Touguiwondy, Hermakönon dans la commune de Matam en passant par Hafia-mosquée, Belle-vue-marché à Dixin, la propagande pro Alpha Condé est omniprésente. Au détour d’une rue, une affiche gérante promet la « Guinée émergente avec le Pr Alpha Condé », une autre, « un étudiant une tablette » et comme un message subliminal adressé à ses concurrents, une troisième pronostique « un coup K.O dès le premier tour ». Mieux, certains partisans du président nourrissent pour lui un désir d’éternité : « Après lui, c’est lui », proclame une affiche.
Politicien expérimenté, Alpha Condé sait que la bataille sera rude à Conakry et qu’il n’est pas certain de la gagner la capitale. Ce n’est un secret pour personne que sous les tropiques, les victoires se construisent dans les campagnes. Depuis plusieurs mois, il multiplie les tournées dans l’intérieur du pays, visitant les préfectures et les contrées rurales les plus lointaines. « Qui m’a fait élire ? Ce sont des gens qui ne savent même pas parler français. Et ils sont où ? Je suis devenu président pour travailler pour eux. Voilà pourquoi je vais dans ces districts. Et je vais continuer à travailler pour eux », a t-il récemment répondu à ceux qui l’accusent de mener campagne avant l’heure.
Autre catégorie de la population à laquelle il s’intéresse de plus près, les femmes. Sur le continent, la problématique de l’autonomisation financière des femmes est un casse-tête pour les gouvernements. S’inspirant d’un modèle de financement inventé au Cameroun, celui des micro-banques de développement rural, connu sous l’appellation MC2, une Mutuelle financière des femmes africaines (MUFFA) a été mise en place il y a deux ans, dotée d’un capital d’un milliard de FG (plus de 80 millions de F CFA). Son but ? Financer les projets portés par les adhérentes dans toutes les régions de la Guinée. Plus de 1000 mutualistes auraient bénéficié de ce financement depuis son lancement.
Il y a enfin les jeunes. Bombe sociale pour certains, atouts pour d’autres, l’insertion professionnelle des jeunes taraude les pouvoirs publics au Nord comme au Sud. En Guinée, 85% des 11 millions d’habitants ont moins de 45 ans avec un taux de chômage qui frappe 60% des moins de 30 ans. A défaut de trouver des solutions à court terme à leurs problèmes, le gouvernement guinéen a opté de les écouter en lançant fin mai dernier une vaste consultation nationale. « Nous voulons demander aux jeunes directement sur le terrain, dans leurs lieux de vie au quotidien, dans les zones urbaines ou rurales, les besoins auxquels ils font face, les problématiques réelles auxquelles ils sont confrontés et les approches de solution qu’ils ont à apporter », expliquait le ministre de la Jeunesse et de l’emploi, Moustapha Naïté. Après deux mois et demi d’une consultation qui aura mobilisé 2000 Guinéens de 15 à 35 ans, la synthèse des doléances prioritaires par région, y compris la diaspora, a été remise au président Alpha Condé le 8 août dernier dans la salle du Palais du peuple Mohamed VI. Coût de l’opération : 12 milliards de FG (1,5 million d’euros).

Ce que réclament les Guinéens

Que réclament les jeunes Guinéens ? Une adéquation entre la formation et le marché de l’emploi, l’accès au logement, aux transports et aux soins de santé. « Des attentes, qui sont finalement celles de tout le peuple de Guinée, tant elles couvrent l’ensemble des domaines de la vie de la Nation », résume le président Condé. Avec toutefois des spécificités selon les régions. Quand les jeunes de Mamou, en Moyenne Guinée souhaitent la réhabilitation d’une usine de fabrication d’outils agricoles, ceux de N’zérékoré, en Guinée forestière, demandent l’implantation de magasins céréaliers, pendant que leurs congénères de Conakry exigent la sécurité des biens et des personnes. En contrepartie, les jeunes se sont engagés à participer aux actions de développement dans leurs régions en consacrant deux heures par mois à des travaux d’intérêts communs et à cotiser 1000 FG par mois afin de financer des projets de développement. « Il est difficile de prendre en compte dans un avenir immédiat ses besoins exprimés, mais la prise en compte sera progressive. Il y a des besoins urgents auxquels nous devons faire face et nous y ferons face. Il y a des besoins par localité qui nécessitent une réponse immédiate, à long terme, à court terme et à moyen terme », a prévenu le ministre Naïté, invitant les jeunes à la patience.
Depuis l’accession de la Guinée en 1958, c’est la deuxième fois qu’une élection présidentielle libre et ouverte est organisée dans le pays, et il n’est pas exclut qu’un deuxième tour soit à nouveau nécessaire pour départager les finalistes comme en 2010. Si le scénario de 2010 se reproduit, Alpha Condé ne pourra plus bénéficier du soutien de Dadis Camara, qui a préféré nouer une alliance avec Cellou Dalein Diallo. Au deuxième tour où il faut ratisser large, les partisans du capitaine réfugié au Burkina pourraient bien se souvenir de ses récentes mésaventures au moment de glisser le bulletin dans l’urne. Par deux fois, il a tenté, sans succès, de rentrer en Guinée où il est pourtant inculpé pour son rôle supposé dans le massacre de plus de 150 personnes fin septembre 2009.

Joachim Vokouma ; Lefaso.net (France)

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