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Centrafrique : Un scrutin malmené

Publié le lundi 21 mars 2005 à 07h10min

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Si les élections présidentielle et législatives du 13 mars dernier en Centrafrique se sont déroulées dans le calme, l’après-scrutin, dont on attend vainement la proclamation des résultats, risque d’être de tous les dangers et de toutes les incertitudes.

Et si on n’y prend garde, la situation risque de déboucher sur un scénario à l’ivoirienne, à l’époque où le général Guéï, ayant pris goût au pouvoir et se sentant désormais à l’étroit dans sa tenue Kaki, avait tenté un hold-up électoral.

En effet, près d’une semaine après le déroulement du scrutin, les Centrafricains, longtemps sevrés de démocratie par une classe politique prédatrice qui s’est toujours accommodée à tous les régimes et qui n’a pas toujours su incarner leurs aspirations légitimes, attendent toujours. Le retard dans la publication des résultats du scrutin, loin s’en faut, n’est pas uniquement lié à des problèmes logistiques, humains , matériels et financiers souvent pris comme prétextes par les apprentis sorciers de la politique plus omnibulés par la mauvause foi que par une réelle volonté de contribuer à l’enracinement de la démocratie.

Il trouve également son explication dans les tentatives du pouvoir en place qui, percevant les signes avant-coureurs d’une probable défaite, s’essaie lui aussi, après tant d’autres régimes d’exception, à cet exercice de tripatouillage dont la plupart des palais africains sont coutumiers.
Ce laxisme dans la publication du verdict des urnes paraît suffisamment suspect pour mettre en ébullition un climat politique déjà échaudé par des années de comportement irresponsable des faux messies dont regorge la Centrafrique.

En tant que Chef d’Etat ayant reçu de ses pairs africains, de la communauté internationale et des Centrafricains la responsabilité de conduire à bon port une transition devant déboucher sur des institutions démocratiques, Bozizé avait le choix entre sortir grandi de cette noble mission, entrer dans l’histoire, être admis au Panthéon des illustres hommes et patauger dans les eaux saumâtres de la mare centrafricaine où nagent des requins aux dents longues et insensibles aux revendications démocratiques de l’immense majorité des Centrafricains.
Bozizé croyait-il que son élection allait passer comme une lettre à la poste ?

C’est vrai que son coup d’Etat avait été applaudi. Les Centrafricains l’avaient même considéré en son temps, comme une bénédiction du ciel, car il avait mis fin au régime de l’incompétent et bouffon Ange-Félix Patassé, qui répétait comme un perroquet les mérites de son régime et s’attribuait la palme de président "démocratiquement élu".

Mais autant Patassé s’était rendu coupable en croyant que le peuple centrafricain, comme tous les autres peuples, privé du minimum vital, pouvait se satisfaire de cette démocratie du verbe qui ne nourrissait pas son homme, autant Bozizé a commis l’erreur de croire que l’électorat centrafricain pouvait le plébisciter alors qu’il n’a apporté, depuis son arrivée au pouvoir, aucun antidote à sa détresse sociale.

Arrivé au pouvoir en effet à la faveur d’une grave crise sociale qui a ébranlé tout le tissu socio-économique et même moral du pays, Bozizé, qui fait de son maintien au pouvoir une fixation, s’est illustré par ses diatribes politiciennes plutôt que d’apporter des solutions adéquates à la quête de bien-être des citoyens centrafricains et à leurs légitimes revendications sécuritaires. Il n’a même pas réussi à se démarquer de la compagnie de certains chefs de guerre de la RDC qui traversent impunément la frontière entre les deux pays.

Plutôt que de conserver un despote camouflé dans des habits démocratiques de circonstance et qui, en dehors de toute légalité constitutionnelle, avait essayé par un simple trait de plume, de disqualifier et de recaler des opposants à sa chevauchée royale et triomphale vers son maintien au pouvoir, le peuple centrafricain avait le choix entre onze candidats. Des candidats, il est vrai, imposés par la communauté internationale.

En fait, ce qui se passe actuellement en Centrafrique n’est pas un cas isolé. C’est même une situation récurrente qui fait trop de concessions à tous les putschistes auxquels on demande de conduire des transitions alors que par la manière même dont ils sont parvenus au pouvoir, ils ne peuvent jamais se débarrasser de leurs instincts de dictateurs.

Bozizé avait même déjà annoncé les couleurs de sa soif du pouvoir en refusant de dissoudre une Cour constitutionnelle à sa dévotion. Même si elle a été dépouillée de certaines de ses prérogatives telle l’organisation des scrutins désormais confiée à la commission électorale mixte, il n’en demeure pas moins qu’elle reste un instrument facilement malléable.

Toujours est-il qu’en décidant de proclamer les résultats par doses calculées et en empêchant les observateurs de se faire une idée des tendances générales qui se dégagent du scrutin, cette commission ne peut lever tous les soupçons de complicité qui, à tort ou à raison, pèsent sur elle. En plus, cet attentisme ne peut que faire monter la fièvre de la contestation des Centrafricains peu enclins à accepter cette démocratie au rabais. De toute évidence, la triste évocation de la présence actuelle du général Bozizé marquée par de multiples entorses aux droits humains, fait trembler des Centrafricains.

En cadenassant les résultats du scrutin, le général Bozizé a-t-il compris que les Centrafricains refusent désormais d’être électoralement "ces bêtes sauvages" dont le vote était acquis à l’avance ? On ose l’espérer. On ose surtout espérer que tous les démocrates prendront acte de cette volonté de l’électorat africain en général et centrafricain en particulier de s’affranchir de la mainmise de ces charlatans politiques qui écument les arcanes de la politique africaine et compromettent l’avenir des citoyens.

Dans le cas contraire, l’Afrique risque, pour longtemps encore, d’être victime de cette amère répétition de l’histoire où la parole donnée, fût-elle militaire, n’est pas respectée et où il suffit à des assoiffés du pouvoir, sur simple engagement verbal de faire respecter la légalité, de se faire ouvrir le grand boulevard qui mène au cimetière où ils enterrent la démocratie.

Le Pays

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